Le Nouvelliste vient de boucler la 25e édition du festival « Livres en Folie ». Immersion.
De l’ambassade américaine au parc Unibank, il faut compter une quinzaine de minutes à pied. Quinze minutes d’une procession sans fin, de voitures à l’arrêt, de piétons forcés de circuler sous un soleil plombant. Il est quatorze heures ce jeudi 20 juin, un vent léger soulève la poussière et se mêle aux conversations. « Je compte m’acheter un livre sur les sciences juridiques », balance un jeune gringalet, dans la vingtaine. Il ne sait pas combien il va payer à l’entrée, mais il porte la conviction qu’au-delà du portail du parc, se cache un monde foisonnant, riche d’intelligence.
Une forte participation
Passé l’entrée, les silhouettes grouillent. Dany Laferrière, le visage vif, l’œil pénétrant, observe du haut d’une affiche grandeur d’homme. Pas aussi grand que son statut d’immortel de l’Académie française, mais assez pour dire aux curieux qu’ils ont en face l’invité d’honneur de la 25e édition de Livres en Folie. Cette année, les participants se comptent par centaines. Haïti souffre peut-être de l’une des crises politiques et économiques les plus graves de son histoire. La faim tord peut-être les tripes, mais le public majoritairement jeune, s’est démené pour payer les 400 gourdes exigées pour participer à ce buffet de culture et de livres organisé par le journal Le Nouvelliste depuis 1995.
Au sein du Parc, la canicule étouffe. Elle précipite les participants sous les tentes recouvertes d’une épaisse étoffe en plastique. Les exposés de 178 auteurs attendent patiemment leurs lecteurs cette année. Une trentaine de plus que 2018 précise Djenika, hôtesse sous l’abri provisoire de Legs Édition. La jeune maison d’édition présente 52 des 1821 bouquins disponibles. Quelques romans. Une quinzaine de livres poétiques. De la littérature jeunesse. Ainsi que les treize différents numéros de leur revue éponyme traitant des thèmes allant de l’insularité aux plumes émergentes francophones.
Des livres de tous genres
Un peu plus loin, une autre tente. Les occupants y sont moins méthodiques. Sur une table basse, deux exemplaires du volume 3 de « Santé et vitalité par les plantes médicinales » trônent. L’auteur, Berthony Jean Charles, se présente comme herboriste, voyageur et thérapeute sans cabinet fixe. Son livre n’est sanctionné ni par le ministère de la Santé publique, encore moins par un comité scientifique. Livres en Folie se lave les mains. Quiconque écrit et publie mérite sa place à l’événement. « On joue un rôle de facilitateur et de promoteur », explique Max Chauvet, directeur et propriétaire du groupe Nouvelliste.
La foule au pouvoir économique fragile de Livres en Folie n’attise pas que les convoitises des auteurs. Les marchands de boissons répondent « présent ». Unibank appose son logo sur tout ce qui se lit. Les journalistes font le plein d’interviews, mais l’intelligence collective veille. Elle s’énerve quand le Premier ministre nommé Jean Michel Lapin a cru bon de se pointer au parc, comme un fantassin en territoire conquis. « Bare volè, bare yo » a crié la foule en colère alors qu’elle raccompagne l’autorité à la sortie.
On s’arrête et on réfléchit
16 h 40. Une ligne interminable de voitures se dispute les quelques places de parking du parc Unibank. L’embouteillage persiste au Boulevard du 15 Octobre. C’est finalement une belle métaphore pour expliquer l’utilité de Livres en Folie. Dans ce pays où tout va vite, où les autorités décident sur un coup de tête, où l’instabilité demeure la seule certitude, il y a un besoin énorme de pensée, de dialogue et de silence. « Nous sommes dans une période très difficile, élabore Max Chauvet. Depuis quelque temps, les gens sont cloîtrés chez eux, ils ne peuvent pas sortir. Et là, il y a eu un petit espace, ils se sont engouffrés. La question du bilan et combien de livres vendus est dépassée pour moi, ce qui m’importe c’est le public de plus en plus jeune ! »
Photo couverture: RFI
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