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L’instabilité politique menace l’année 2021, selon les observateurs

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Jovenel Moïse, seul maître à bord face à une opposition fatiguée, fait face à une année 2021 décisive, et difficile.

C’est dans un tweet en date du 13 janvier 2020 que le président de la République Jovenel Moïse a constaté le dysfonctionnement du Parlement. « Ce lundi 13 janvier 2020 ramène la fin de la 50e législature. Nous constatons la caducité du Parlement et nous prenons acte de ce vide institutionnel occasionné par le départ de la Chambre des députés et des 2/3 du Sénat », pouvait-on lire.

Ce constat du président a inauguré un fiasco pour le pays sur le plan politique, selon l’ancien sénateur Youri Latortue, opposant farouche au pouvoir en place. L’ancien président du Sénat estime que l’ouverture de l’année politique n’a pas eu lieu. Elle coïncide avec l’ouverture de l’Assemblée nationale, le deuxième lundi de janvier 2020.

Youri Latortue déplore aussi une mainmise sur la justice, caractérisée par le refus de l’Exécutif d’y nommer de nouveaux juges, pourtant recommandés par le Conseil supérieur du pouvoir judiciaire.

Au mois de juillet, ce sont les collectivités territoriales qui capitulent et cèdent la place au président Jovenel Moïse qui les remplace par des agents intérimaires.

« Sur le plan institutionnel, le pays a connu une catastrophe en 2020 », estime André Michel, l’un des leaders de l’opposition. Lui aussi prend pour preuve le dysfonctionnement du Parlement, les nominations Ad intérim dans la fonction publique et le dysfonctionnement des tribunaux.

Pourtant, l’opposition s’est effacée pendant l’année, face à la « démocratie à la Jovenel Moise. » La faute au coronavirus, dit Youri Latortue. L’opposant assure que la pandémie a miné l’opposition, qui selon lui s’était quand même réveillée les 17 octobre et 18 novembre 2020.

Selon le professeur et historien Pierre Buteau, les dirigeants politiques actuels ne se soucient guère de la bonne marche du pays. « Nous n’avons plus de militants politiques ni de gens qui réfléchissent à la politique. On assiste à une vague de dirigeants qui voient dans la politique une opportunité », déduit-il.

Après Dieu…

L’absence du Parlement haïtien a permis au chef de l’État d’administrer le pays à sa guise. Profitant de son plein pouvoir, le président de la République dirige à coups d’arrêtés et de décrets. Entre janvier et décembre, Youri Latortue dit avoir compté 44 décrets déjà publiés.

Selon l’historien Pierre Buteau, l’administration actuelle n’a aucune légitimité pour prendre ces décisions. « On peut déjà parler d’une administration de facto parce que la conduite du pays se fait en dehors de ce qu’a  prévu la loi. »

Mais le président se défend de toute velléité dictatoriale. « C’est la démocratie à la Jovenel […] », clame Jovenel Moïse, lors d’une tournée dans le département du nord du pays durant ce mois de décembre. Cette réaction survient après la publication du décret portant sur la création de l’Agence nationale d’intelligence (ANI).

De janvier à novembre, le président a pris des décrets sur des dossiers sensibles comme l’identification des citoyens et la création d’un service secret, apte à opérer au-dessus de toute loi.

La création de cette agence fait partie des décisions les plus controversées du président de la République. Les agents de ce service secret peuvent opérer en dehors de la loi. Ils sont placés directement sous l’autorité du président. Il y a aussi le décret sur la sécurité publique en novembre 2020, celui sur le numéro d’identification nationale unique en juin 2020, et le décret modifiant la mission de contrôle de la Cour Superieure des Comptes et du Contentieux administratif sur les dépenses publiques en octobre 2020.

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Le chef de l’État a monté unilatéralement, à travers un arrêté publié le 18 septembre 2020, un Conseil électoral dans le but d’organiser des élections dans le pays.

L’allié du pouvoir Rudy Hériveaux, ancien défenseur farouche du Parti de l’opposition Fanmi Lavalas, estime que le chef de l’État ne fait rien de mauvais. « En politique, l’inertie est un poison, dit-il. Malgré le dysfonctionnement du Parlement, la machine démocratique doit poursuivre son chemin. Il revient au chef de l’État de prendre toutes les dispositions à travers des décrets pour la bonne marche du pays. »

Pour Rudy Hériveaux, le Parlement est responsable de cette situation vu qu’il n’a pas su assumer sa mission républicaine qui consiste à voter des lois pour renouveler le personnel politique.

Ce mode de gouvernance de l’Exécutif est traduit par le Réseau national de défense des droits humains (RNDDH) comme un coup d’État contre la Démocratie et la Constitution du pays. Toutes les institutions démocratiques du pays sont ruinées. Il n’y a qu’un seul élu pour toute la République : le président Jovenel Moïse.

Fort de ces constats, le professeur d’histoire, Pierre Buteau, croit que nous sommes en train de tirer les conséquences d’un mode de gouvernance instauré après le départ du président Leslie François Manigat, en 1988. Le Parti haïtien tèt kale (PHTK), parti au pouvoir, a hérité de ce mode de gouvernance. Et depuis 2011, selon l’historien, le PHTK ne cesse d’y ajouter sa touche, encore plus destructrice que les précédentes.

Des dossiers épineux

Jovenel Moïse rêve de changer la Constitution du pays, à travers un référendum, alors que cet exercice est contraire aux prescrits de l’article 284.3 de la Loi mère.

Faisant fi de la Constitution du pays, le président Jovenel Moïse a nommé et installé le 28 novembre 2020, un comité consultatif appelé à travailler sur une nouvelle Constitution qu’il espère proposer au peuple par voie référendaire en mars 2021.

Selon Rudy Hériveaux,  la Constitution de la République est totalement inadaptée à la réalité socioéconomique du pays. Il estime excellente la décision du président de doter le pays d’une nouvelle charte fondamentale qui sera, d’après lui, utilisée comme catalyseur pour l’avancement du pays.

L’historien Pierre Buteau estime pour sa part que la manœuvre du pouvoir est dangereuse. « La Constitution d’un pays ne se change pas en temps de crise où toutes les couches vitales de la nation ne s’unissent pas. Il faut avoir un minimum d’apaisement social pour se lancer dans une telle démarche », croit Pierre Buteau.

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Parallèlement, c’est aussi en 2020 que la CSCCA a soumis le rapport final de son enquête sur la dilapidation des fonds Petrocaribe. Le document avait été soumis au président du tiers restant du Sénat, Pierre François Sildor, proche du président de la République. Depuis, c’est le silence total au niveau du Sénat qui devait acheminer ce dossier aux autorités judiciaires.

Quant aux proches du pouvoir, ils continuent de clamer que le rapport est aiguillonné par des politiciens pour détruire un secteur politique. « Effectivement, il y avait eu de l’argent détourné dans les fonds Petrocaribe. Mais le rapport doit être dépouillé de toute passion politique sans être utilisé comme cheval de Troie par des politiciens pour écarter certains acteurs de la scène politique actuelle », souligne Rudy Hériveaux.

Les gangs entrent en scène  

Cette gouvernance appliquée en 2020 n’a pas pu contrer le pouvoir des gangs armés. Les données du RNDDH rapportent que l’insécurité a emporté la vie d’au moins 525 personnes et 32 policiers. 185 autres individus ont été victimes des attaques armées dans les quartiers populaires de la région ouest.

Par ailleurs, l’enquête sur l’assassinat du bâtonnier de l’ordre des avocats de Port-au-Prince, Monferrier Dorval, patine. Le bâtonnier qui prenait des positions politiques remarquées a été abattu le 28 août 2020, chez lui, à quelques pas de la résidence du président de la République.

Quant au kidnapping, les chiffres sont parlants. Selon l’organisation Défenseurs Plus, plus d’un millier de cas d’enlèvements contre rançon ont été enregistrés pour la seule période d’octobre à décembre 2020.

Diverses organisations de défense des droits humains, comme le RNDDH, indexent le pouvoir en place dans l’alimentation des gangs. Le but serait de contrôler les quartiers populaires, tuer dans l’œuf toute tentative d’organiser des manifestations contre le pouvoir et du coup maîtriser les opposants politiques en vue des prochaines élections.

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L’un des membres de la Commission nationale de désarmement, de démantèlement et de réinsertion (CNDDR), Jean Rebel Dorcenat, a admis avoir participé en 2019 à la création d’une fédération de gangs dénommée « G9 an fanmi e alye ». L’organisme CNDDR est pourtant mandaté pour désarmer les bandits.

Aujourd’hui, l’association des gangs G9 est accusée par les organisations de défense des droits humains comme responsable de massacres et d’exactions perpétrés dans des quartiers populaires comme La Saline et Bel-Air.

Des prévisions effrayantes

2021 ne sera pas meilleur, selon toutes les prévisions. Mathias Pierre pense que l’année sera difficile. « À partir du 7 février, l’opposition parlera de pouvoir de facto et toutes les décisions du président feront face à une bataille pour leur mise en échec », dit-il. Pour lui, il faut que des élections aient lieu au cours de cette année, « pour la remise en place des institutions démocratiques ».

André Michel ne jure que par le départ du président Jovenel Moïse le 7 février 2021. L’avocat prévoit déjà un nouveau calendrier de mobilisation, en 2021, « pour le respect de la Constitution ». Après le départ de Jovenel Moïse, André Michel voit un président provisoire à la tête du pays. Ce fervent opposant joue toutes ses cartes afin de rallier l’opposition, déjà divisée, autour de ces idées.

Rudy Hériveaux se montre plutôt confiant sur la fin du mandat du président de la République qui, pour lui, s’achèvera en 2022. « Les manœuvres de déstabilisation ne porteront pas fruit », prévient-il. En 2021, d’après lui, il y aura une administration qui combat l’insécurité et la montée fulgurante des cas de kidnappings dans le pays.

Les deux défenseurs de Jovenel Moïse, Mathias Pierre et Rudy Hériveaux, croient que le bilan du chef de l’État est plus que positif.

Mais pour l’historien Pierre Buteau, la crise est patente, et il n’y a qu’une seule issue pour éviter l’extrême enfoncement pendant l’année 2021 : se retirer à temps. « C’est ce que font les grands hommes politiques, et les grandes femmes d’État. Ils savent se retirer à temps », suggère le professeur.

 

Emmanuel Moïse Yves, Samuel Céliné, Laura Louis

Photo couverture : Dieu Nalio Chery/AP Photo

La rédaction de Ayibopost

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