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L’histoire tragique de Claudine Saintal

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La féministe Claudine Saintal est décédée le 2 mars 2020, à 40 ans. Le 2 mars 2021, des organisations de femmes en Haïti ont réalisé une cérémonie pour saluer sa mémoire

Claudine Saintal a 24 ans quand le feu des projecteurs se pose sur elle. Elle venait de remporter le concours Miss Vidéomax Été 2004, organisé par la Télémax. À l’époque, cette compétition attirait beaucoup de jeunes filles qui rêvaient d’être couronnées un jour reines de beauté.

Gedilia Saintal, la mère de Claudine Saintal, se souvient encore de la soirée ou sa fille a été élue Miss. Ce soir-là, Claudine Saintal, dans une robe blanche, portait fièrement sa couronne. Sa mère conserve encore une photo de sa fille et elle, qui posent avec un bouquet de roses.

« C’était un moment merveilleux pour Claudine et moi. Je sentais qu’elle m’avait honorée parce que je l’avais élevée seule, en vendant du charbon de bois. On était toutes les deux très contentes », se souvient la mère de Saintal. Même après 17 ans, la fierté ressentie ce soir-là n’a pas disparu.

Pourtant, ce débordement de joie n’avait pas duré longtemps. Le soir même de la finale, une source a informé Telemax que la nouvelle Miss était mère d’un enfant. Cela violait l’un des règlements du concours, qui n’autorisait que les jeunes filles sans enfant à postuler.

À 17 ans, Claudine Saintal avait mis au monde un garçon. Elle s’est alors vu refuser les récompenses du concours. « Elle avait perdu l’opportunité de représenter Haïti à l’étranger. Mais cela ne nous a pas beaucoup affectées parce que Claudine et moi, nous savions qu’elle était talentueuse. Elle me disait qu’elle ne pouvait pas échanger son enfant contre une couronne, et que sa vraie couronne était dans son cœur », se souvient Gedilia Saintal.

Source de motivation 

L’expérience Miss videomax a fait réfléchir Claudine Saintal. Elle s’est mise à penser que les filles-mères ne devraient pas être exclues des initiatives visant à honorer de jeunes filles. En 2012, après ses études en gestion, elle crée avec des collaboratrices l’Initiative pour un développement équitable en Haïti (IDEH).

« Les sujets liés aux femmes fascinaient Claudine. Elle voulait accompagner des filles-mères, ou des femmes vivant avec un handicap. Mais elle voulait aussi travailler sur une autre problématique importante, et c’est l’idée selon laquelle les femmes âgées en Haïti sont des lougarou. Claudine était aussi l’une des féministes qui n’avaient aucun problème à assister une femme lesbienne », témoigne Esther Randiche, membre fondatrice, présidente et directrice exécutive a.i. de l’IDEH.

Selon Randiche, Claudine Saintal était une femme intrépide qui embrassait la vie avec fougue et sourire. Lovely Maignan, responsable de communication au sein de l’organisation, abonde dans le même sens. Pour elle, Saintal était une directrice dynamique qui accordait du temps à ses collaboratrices. « Elle nous encourageait toujours à faire des efforts pour nous surpasser », explique-t-elle.

Partir pour ne jamais revenir 

En 2017, Claudine Saintal rentre aux États-Unis avec ses deux fils pour y continuer leur scolarité. Saintal cherchait à régulariser ses papiers et ceux de ses enfants dans le pays.

« Elle cherchait des débouchés pour ses deux garçons, explique Gedilia Saintal. Une fois que son dossier serait régularisé, elle quitterait le pays. Mais l’avocat qui réglait les papiers de Claudine l’a fait signer un document qui l’obligeait à rester sans emploi dans le pays pendant une longue période. »

La situation devenait embarrassante pour Saintal qui n’était pas habituée à rester inactive. L’argent lui manquait pour vivre aux États-Unis, où elle a enfanté d’un autre garçon, une troisième bouche à nourrir sans compter la sienne.

« Elle avait un mari, mais les dépenses sont partagées dans le couple, et Claudine ne travaillait pas, continue sa mère. C’est moi, étant en Haïti, qui lui envoyais de l’argent. Elle stressait beaucoup. Puis elle a eu une sorte de crise soudaine, comme l’épilepsie. Il lui arrivait de perdre connaissance ».

Le lundi 2 mars 2020, l’un des fils de Claudine Saintal l’a retrouvée morte dans sa chambre. Selon Esther Randiche, Saintal aurait fait une crise cardiaque.

La même semaine, la mère de l’ancienne Miss est rentrée aux États-Unis pour organiser les funérailles de sa fille. « Claudine a été plus qu’une fille pour moi. J’ai perdu, une mère, une sœur, une amie. J’avais deux enfants, l’autre va avoir 31 ans, mais Claudine était tout pour moi. »

Gedilia Saintal est rentrée en Haïti avec le dernier garçon de Claudine Saintal qui est aujourd’hui âgé de deux ans. Elle dit ne rien réclamer au père de l’enfant puisque c’est elle qui l’a pris. « À 65 ans, je ne peux plus travailler. J’ai mal aux yeux, aux reins et aux genoux. Mais je vais devoir recommencer pour le benjamin de ma fille. »

Avant de mourir, Claudine Saintal avait confié à une amie proche, Isnise Romélus, son projet de rendre hommage à l’une de ses cousines, qu’un policier avait assassinée.

« La cousine de Claudine venait tout juste de rompre sa liaison amoureuse avec le policier. Celui-ci refusait la décision. Lors d’un rendez-vous, il lui a mis une balle dans la tête. Claudine prenait ce dossier à cœur », rapporte Romélus.

Mais Saintal n’a pas eu le temps de rendre hommage à sa proche parente. Elle a rendu l’âme onze mois après le décès de celle-ci. Ce mois de mars marque une année depuis que Claudine Saintal est partie. Dans le cœur de ses proches, elle reste une femme qui n’a jamais eu peur d’oser.

Laura Louis

Laura Louis est journaliste à Ayibopost depuis 2018. Elle a été lauréate du Prix Jeune Journaliste en Haïti en 2019. Elle a remporté l'édition 2021 du Prix Philippe Chaffanjon. Actuellement, Laura Louis est étudiante finissante en Service social à La Faculté des Sciences Humaines de l'Université d'État d'Haïti.

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