Et de son adoption ultime par la mode.
À l’exception de quelques rares jeunes adolescentes, toutes les femmes de l’Assemblée de Dieu de Poulie adoptent le mare tèt. Lors des cultes communément appelés « veille de nuit », des réunions de jeûne, ou des cultes dominicaux, les femmes attachent leur tête avec un foulard ou portent la mantille.
« C’est une pratique qui nous vient du Moyen-Orient, explique Astrel Riché, pasteur titulaire de l’Assemblée chrétienne du département du centre. Seul le mari avait le droit de voir les cheveux de la femme. Ces cheveux étaient autrefois considérés comme les poils pubiens, ils avaient donc une grande valeur. En dehors de la chambre nuptiale, le port du voile leur était alors partout obligatoire ». Mais s’appuyant sur les enseignements de l’apôtre Paul, le pasteur affirme que le mare tèt n’a rien de spirituel. Par conséquent, il ne voit pas d’objection à ce que ses fidèles féminins n’en portent pas, si elles ne le souhaitent pas.
Cette opinion ne fait pas unanimité, cependant.
Dans la ville de Corinthe, le voile différenciait les femmes vertueuses des prostituées qui gardaient leurs cheveux libres dans le vent.
Le mare tèt est « une marque de respect envers Dieu », insiste Donalson Joseph qui dirige la cellule en Jésus-Christ. Ce qui fait que toute femme pénétrant l’enceinte de son Assemblée devrait s’y plier. Dans le vodou, le principe du mare tèt existe. Mais ici, il est davantage question d’énergie et de protection du troisième œil.
Les lois tignon
En 1785, l’État de Louisiane adopte une série de lois baptisées lois Tignon. Édictées par le gouverneur d’alors de cet État du sud des États-Unis, Esteban Rodriguez Miro, ces lois faisaient deux exigences principales aux femmes noires.
Tout d’abord, que celles-ci soient esclaves ou libres, elles devaient toujours se couvrir la tête d’un tignon (aujourd’hui foulard) lorsqu’elles se présentaient en public. Venait ensuite l’obligation de ne pas s’habiller avec élégance pour ne pas attirer l’attention des hommes blancs. Autrement dit, les Noires ne pouvaient porter ni bijoux ni autres artifices. Et encore moins arborer leur chevelure naturelle.
À l’époque coloniale, les femmes noires savaient en effet administrer des soins particuliers à leurs cheveux qu’elles portaient fièrement en tresses et ornaient entre autres de perles et de plumes.
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Les lois Tignon ont été prises pour rappeler aux femmes noires leur infériorité par rapport aux dames blanches, pour les contrôler, et par la même occasion, maintenir les écarts sociaux entre les deux catégories de femmes.
Le mare tèt dans le vodou
De punition, le mare tèt finit par devenir toute une partie de la culture noire. Dans le vodou par exemple, « il sert à protéger le platon tèt parce que tout ce que l’on reçoit comme énergie passe par là », informe la prêtresse vodou Euvonie Georges. En matière de charge énergétique, l’être humain en reçoit deux qualités, poursuit la Georges. L’une vient du soleil et l’autre de la lune.
Dans le vodou, il y a communication étroite entre l’esprit et la matière. « Le soleil capable de nous brûler le crâne peut, par la même occasion, endommager notre spiritualité », avance Euvonie Georges.
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Une affaire de femme ?
Le mare tèt est généralement appelé port du voile et ne concerne que les femmes dans d’autres religions, tel le christianisme. « Si les hommes n’en sont pas concernés, c’est parce que la Bible le veut ainsi », rapporte Donalson Joseph. Quant au pourquoi, l’homme de Dieu admet n’en avoir aucune idée. Mais cela ne lui pose pas de problème puisque, dit-il, « les choses révélées sont à nous, celles cachées sont à Dieu. Nous autres n’avons pas à opiner sur ces dernières ».
En revanche, parce qu’il n’a pas pris naissance au sein de l’église, le mare tèt est surtout culturel pour le pasteur Astrel Riché. « Dans la ville de Corinthe, le voile différenciait les femmes vertueuses des prostituées qui gardaient leurs cheveux libres dans le vent. » La pratique a perduré dans le temps. Si bien que des églises font du port du voile toute une doctrine, tandis que d’autres n’y prêtent pas attention.
Dans le vodou, les perceptions au sujet du mare tèt semblent ne pas avoir une seule explication non plus. Pour le oungan Hector Pierre-Louis, il sert d’équilibre à la femme plus faible que l’homme. « Car contrairement au sexe masculin, la femme n’a pas suffisamment d’énergie en elle pour rencontrer une autre énergie et vibrer avec elle ». Cette explication est erronée et qualifiée de sexiste par la manbo Euvonie Georges.
Bien le contraire, se couvrir la tête est essentiel aussi bien qu’à la femme qu’à l’homme, informe la prêtresse. Raison pour laquelle, elle préfère parler de kouvri tèt. « Toute la différence réside dans le fait que la femme porte un mouchoir et l’homme, un chapeau. Ainsi, un loa qui possède le corps d’une personne dont la tête n’est pas recouverte, réclamera un mouchoir si c’est un loa femme, et un chapeau si c’est un loa homme ».
Un accessoire de mode fondamental
Selon les lois Tignon entrées en vigueur au XVIIIe siècle, le mare tèt était supposé rendre laides les femmes noires. Mais, ces dernières ont décidé de s’en approprier. Elles ont opté pour des foulards aux couleurs vives et ont inventé différents techniques de mare tèt.
Avec leur foulard attaché vers le haut, derrière ou encore sur le côté, des femmes noires ont inventé tout un style. Lequel a perduré au fil des ans jusqu’à devenir un réel accessoire de mode. D’ailleurs, « toute femme devrait avoir un foulard dans sa garde-robe parce qu’il s’agit d’un accessoire fondamental au même titre qu’un chapeau, une broche ou une cravate » estime Norline Bazelais Ibraïme, designer et patronne de Niou fashion.
En plus d’ajouter une touche spéciale à son look, le mare tèt rend plus élégant et original. Norline Bazelais Ibraïme a choisi de l’intégrer dans sa toute dernière collection. « Parue en juillet dernier, Bèl Nègès a été créée pour mettre en valeur les femmes noires, le cheveu afro et le mare tèt qui est tout un art, apprend-elle. Car, il ne suffit pas de porter un foulard, il y a la façon de le porter ».
Le mare tèt va au-dela de la mode, néanmoins. « Il explique notre grandeur comme peuple, soutient Euvonie Georges. Le mare tèt est la preuve que nous venons d’une grande civilisation et c’est aussi pour cela qu’il est conservé dans le vodou ».
La femme qui adopte le mare tèt est majestueuse et remplie d’énergie, poursuit la prêtresse. Ainsi, au-delà de l’acte physique, le mare tèt c’est aussi se rappeler d’où nous venons, de nos ancêtres descendants d’esclaves. Et parce qu’elle a traversé plusieurs siècles avant d’arriver jusqu’à nous, on doit considérer la pratique comme « un patrimoine immatériel à conserver », conclut Norline Bazelais Ibraïme.
Rebecca Bruny
Photo de couverture: Emmanuelle Soundjata, maretet.com. patmedias.fr
Photos: Norline Bazelais / Niou Fashion
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