ÉCONOMIE

L’histoire palpitante des chemins de fer en Haïti

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En 2018, des hommes d’affaires dominicains ont proposé de construire une ligne ferroviaire entre les deux républiques de l’île. Ce ne serait pas une grande première pour Haïti. La circulation des trains comme moyen de transport sur le territoire national est au contraire une histoire pleine de rebondissements. 

Pendant les années qui ont suivi l’Indépendance, Haïti a tenté de se moderniser dans plusieurs domaines. Une Banque Nationale, bien que tenue par des étrangers, des industries de toutes sortes ont vu le jour pour ancrer le pays dans le monde dit civilisé.

Le transport de la production agricole – principale activité économique du pays – et la circulation des personnes nécessitent aussi des investissements conséquents. Dès 1876, on peut observer les premiers rails en Haïti. Il s’agissait de lignes de tramways, nom donné aux trains utilisés en zone urbaine. Selon Georges Michel, dans son livre Les Chemins de fer de l’île d’Haïti, ces machines étaient tirées par des chevaux.

Au cours du 20e siècle, plusieurs lois et arrêtés sont pris pour acter des concessions de contrat à des compagnies de construction de chemins de fer. D’autres arrêtés sont pris aussi pour réguler le secteur, notamment en légalisant la création de certaines entreprises dans le domaine. C’est ainsi que dans Le Moniteur du 19 janvier 1907, un arrêté autorise la formation de la société anonyme du chemin de fer de Pétion-Ville. Le 13 novembre 1912, une loi crée un service d’Inspecteurs des chemins de fer.

Il fallait relier tout le pays par un grand réseau de rails sur lesquels circuleraient trains et tramways, et mettre en place des conditions pour que ce réseau fonctionne.

Guerre entre puissances

Ailleurs dans le monde, c’est la révolution industrielle, et les grandes puissances du monde exportent leur savoir-faire. Haïti est à cette époque un marché intéressant pour ces pays industrialisés. Non seulement l’ancienne colonie de Saint-Domingue a de grands besoins en termes industriels, mais il est aussi riche en gisement minier.

Trois pays se partagent la vie économique de l’île. L’Allemagne est le pays étranger le mieux établi. Les Allemands, pour contourner les lois du pays qui refusent le droit de propriété aux étrangers, n’hésitent pas à se marier à des Haïtiennes. Ils multiplient les investissements dans le pays, surtout dans le commerce de l’import-export.

Les Français sont un peu en retrait, mais gardent des intérêts très importants dans l’ancienne colonie. La langue favorise le rapport de proximité ; les écoles du pays fonctionnent selon le système de l’ancienne Métropole. De plus, la grande majorité des exportations du pays sont à destination de la France. En plus, la Banque Nationale du pays est gérée par des Français.

Pour finir, il y a les Anglais et les Américains, surtout ces derniers. Le pays de l’oncle Sam observait avec inquiétude l’établissement des Européens dans la zone. Le Môle Saint Nicolas, situé de manière stratégique, était au centre de leur préoccupation. Il ne fallait pas qu’il tombe entre des mains européennes. Petit à petit donc les Américains ont commencé à investir en Haïti, et à s’impliquer, au nom de la doctrine de Monroe.

Les chemins de fer sont l’un des domaines stratégiques de cette implication. Entre les Allemands et les Américains, la bataille était rude pour gagner des contrats avec le gouvernement. C’est à la faveur de ces différentes concessions que les trains sont apparus dans le pays.

La valse des concessionnaires étrangers

Plusieurs lignes sont mises peu à peu en circulation. De Port-au-Prince à Saint-Marc, de Cap-Haïtien à Bahon, ou encore de Gonaïves à Ennery de nouveaux rails sont posés. Rudolphe Gardère est l’un des seuls Haïtiens à avoir obtenu une concession de l’État. Il était responsable de la construction de la ligne Gonaïves-Hinche. Mais presque immédiatement après avoir reçu le contrat, l’homme d’affaires décida de céder son entreprise à deux Américains, originaires de Philadelphie, le 18 juillet 1904. La transaction a eu lieu pour la somme de 50 $ en liquide et $62 500 de stock.

Les deux Américains reçoivent le feu vert du gouvernement pour l’extension du réseau. Ils sont censés relier la précédente ligne de Gonaïves-Ennery à Port-au-Prince, et la poursuivre jusque dans le Nord. Mais ces travaux n’ont jamais abouti.

D’autres concessions seront accordées à des étrangers, pour construire des chemins de fer. Même si les entreprises créées à cet effet portent des noms comme « compagnie nationale », elles ne sont pas haïtiennes.

La Compagnie des chemins de fer de la Plaine du Cul-de-sac

En 1895, une compagnie allemande, bien qu’elle ait aussi des capitaux américains, fit l’acquisition du réseau de tramways de Port-au-Prince. C’était la PCS, la Compagnie des chemins de fer de la Plaine du Cul-de-sac. La compagnie voulait aussi agrandir les lignes existantes, pour créer de nouvelles dont l’une partirait de la capitale aux frontières de la République dominicaine.

La PCS a connu du succès dans ses débuts. Déjà, le 1er mai 1905, le président Nord Alexis saluait une si grande réussite, lors d’un discours pour la fête du Travail. De 1910 à 1911, plus d’un million de personnes empruntent les tramways de la capitale.

La Compagnie haïtienne des chemins de fer

Parmi les contrats signés avec des étrangers, le plus célèbre est celui de la compagnie haïtienne des chemins de fer, la National Railroad Co. En 1910, James P. McDonald, un homme d’affaires américain, obtient une concession de l’État haïtien pour la construction de nouvelles lignes, notamment celle qui mène de Port-au-Prince au Cap-Haïtien. Elle devait aussi récupérer deux des lignes qui existaient déjà afin de les joindre à la nouvelle, et créer ainsi un réseau national.

C’est l’opération économique la plus désastreuse que l’État haïtien ait opérée à l’époque, dira un financier américain. Les parlementaires haïtiens approuvent le contrat malgré des réticences évidentes de certains secteurs de la vie nationale. Ainsi, dans son édition du 13 janvier 1910, un journal haïtien de l’époque appelé l’Impartial, écrivait ceci : « […] il serait excessivement imprudent de confier à un seul homme, M. MacDonald, 500 km à construire […] n’oublions pas que depuis 1904, ces mêmes personnes, avec quelques changements de noms, n’ont pu faire que 20 km ».

 

Un contrat en or

Des rumeurs de pots-de-vin circulaient aussi. James P. McDonald aurait ainsi offert un collier de fausses perles à la fille du président Antoine Simon, pour obtenir le contrat.

Quoi qu’il en soit, l’entrepreneur américain sort gagnant, et les avantages qu’on lui offre sont exorbitants. La concession lui est faite pour 50 ans. De part et d’autre de la voie ferrée qu’il doit construire, James P. Mc Donald se voit attribuer 20 km de terre pour la plantation de figues. Il a en outre le monopole de l’exportation de cette denrée, et des franchises douanières. Pour financer ce projet, McDonald émet des bons à hauteur de 20 000 dollars par km de rail construit.

Pour que la National Railroad puisse réunir l’argent, l’État haïtien offre un intérêt garanti de 6 %. En échange, l’État reçoit 1/6 de tout profit de plus de 12 %, et à la fin de la concession, la compagnie devient sa propriété.

La National Railroad déraille

Vers 1913, la National Railroad a vendu pour environ 3 545 000 dollars de bons. En tout, pour la période, le contrat coûte plus de 8 000 000 de dollars à l’État. C’est une somme considérable, car de 1913 à 1924, les recettes annuelles du pays n’ont pas dépassé 6 800 000 dollars.

Malgré tous les avantages accordés à la compagnie, elle n’effectue pas les travaux comme il était précisé dans le contrat. Même le projet de bananes de Mc Donald ne réussit pas. Une procédure est lancée par l’État pour résilier le contrat.

La gestion calamiteuse de la National Railroad mène la compagnie au bord de la faillite. En 1911, McDonald est évincé de l’entreprise qui revient à un consortium d’entrepreneurs menés par la compagnie W. R. Grace. Cette compagnie est de nos jours encore un leader dans le monde dans les matériaux de construction.

Deux gros poissons de Wall Street l’accompagnaient, la National City Bank de New York, et la Speyer Company. Le vice-président et le président de la National City Bank, respectivement, Samuel McRoberts et Franck A. Vanderlip, avaient des actions dans le nouveau National Railroad. Un employé de la banque, Roger L. Farnham, dont on disait qu’il était raciste, était nommé président de la Compagnie nationale des chemins de fer.

Les chemins de fer de l’occupation

Cette nouvelle aventure de la National Railroad est l’une des raisons les plus importantes de l’occupation américaine d’Haïti, de 1915 à 1936. Les travaux pour lesquels la compagnie avait obtenu des contrats patinaient encore. Seulement 174 km de rails avaient été construits, en trois lignes séparées, alors que la compagnie devait relier Port-au-Prince au Grand Nord. En 1914, au vu de ces résultats négatifs, l’État haïtien décide de stopper les paiements qu’il octroyait à la National Railroad. Celle-ci protesta que de fréquentes révolutions dans le pays l’empêchaient de faire son travail.

Cette décision de surseoir sur les paiements a provoqué des remous considérables, car les investisseurs américains étaient puissants. Roger L. Farnham, le président de la National Railroad demanda fréquemment au gouvernement américain d’intervenir en Haïti, principalement pour protéger les intérêts de leurs ressortissants. Ces intérêts étaient non seulement dans les chemins de fer, mais aussi dans d’autres secteurs. Le 19 juillet 1915, des marines américains débarquent, officiellement pour préserver la stabilité du pays. 

Journaliste. Éditeur à AyiboPost. Juste un humain qui questionne ses origines, sa place, sa route et sa destination. Surtout sa destination.

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