SOCIÉTÉ

L’histoire du mouvement féministe haïtien (Deuxième partie)

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Renouveau du féminisme haïtien

L’histoire du mouvement féministe haïtien (Première partie)

Nous sommes à la fin des années 1980. La société haïtienne est en ébullition. Entre les partisans de la dictature duvaliériste qui refusent de jeter l’éponge et la population qui aspire à l’avènement d’une société démocratique, une crise politique aigüe s’installe. De cette conjoncture naissent de nouvelles structures féministes avec de nouvelles figures qui vont avoir une très grande influence sur la vie politique haïtienne.“ La refondation de la nation ne doit pas se faire sans nous et contre nous.” C’ était le mot d’ordre des militantes féministes, explique Sabine Lamour, coordonnatrice de l’organisation féministe SOFA (Solidarite fanm ayisyèn).

Certaines organisations émergeaient timidement pendant que la dictature vivait ses derniers jours. L’existence de Kay Fanm, qui devenait par la suite l’une des organisations féministes les plus influentes au cours de la période post86, remonte en 1984. Une autre organisation du nom de MFH (Mouvement Féminin Haïtien) avait également vu le jour en 1982.

La période qui suivait le départ du dictateur Jean-Claude Duvalier le 7 février 1986, allait renforcer cet élan initial.

La marche du 3 avril 1986

Environ deux mois après la chute du régime duvaliériste, soit le 3 avril 1986, plus de 30 000 femmes ont gagné les rues de la capitale haïtienne sous l’initiative de Fanm d’Ayiti. Elles exigeaient leur intégration « dans tous les mécanismes de construction de la démocratie tout en réclamant un égal accès aux droits fondamentaux, à l’emploi et à la santé ». Avoir une déléguée qui participe à l’élaboration de la nouvelle Constitution haïtienne de 1987, faisait partie également de leurs principales revendications. 

Cette mobilisation -considérée par plus d’un comme la plus grande manifestation de l’histoire de la lutte des femmes haïtiennes-  a duré environ quatre jours et s’est étendue dans d’autres villes de province comme le Cap-Haïtien.

Ainsi, une nouvelle ère s’ouvre pour le mouvement féministe local. De nouvelles organisations voient le jour. Il y a, entre autres: Rassemblement Femmes Populaires(RFP), Fanm Je Klere (FAJEK), Fanm Deside (Jakmèl), Solidarite Fanm ayisyèn (SOFA), Fanm Leve Kanpe (FALEK), Konbit liberasyon Fanm (KOLFA), Comité Féminin contre la Torture, Ligue Haïtienne de Défense des Droits de la Femme Rurale (LIDEFER). Notons aussi  l’existence des associations de quartier à Saint Matin, Maché Salomon, Rue des Remparts, Saint Jean Bosco, Cité Soleil.

A Plateau Central, en 1988, s’organise le premier grand Congrès de Femmes de la période post86 sous l’initiative de MPP (Mouvman Peyizan Papay). Cette organisation qui comportait 400 sections féminines, avait plus de 4 500 membres en 1991. Et jusqu’à aujourd’hui, elle constitue un acteur fondamental dans la lutte populaire haïtienne.

Les élections de 1990

Les scrutins de décembre 1990 constituent une étape importante dans la construction de la démocratie haïtienne. Après 29 ans de dictature et quatre ans de tâtonnement politique marqué par des coups d’Etat militaires et une tentative échouée d’un gouvernement civil,  le pays organise ses premières élections au suffrage universel. Les femmes vont jouer un rôle clé dans cette conjoncture politique. Leur influence était remarquable. Des 67 % de la population qui ont pris part au vote, 52% étaient des femmes. Parmi les candidats, on dénombrait seulement 8% de femmes. De ces élections, trois femmes sont élues au Sénat de la République et treize (13) à la Chambre basse.  

L’enjeu de ces élections était surtout au niveau des candidats à la présidence. Une seule femme, Marie Colette Jacques, faisait partie des 26 candidats inscrits. Onze ont été retenus par le Conseil Electoral Provisoire. La candidate féminine, bien avant son éviction de la course, se faisait remarquer lors d’un débat télévisé entre les candidats. A ce propos, l’historienne Suzy Castor rapporte : […] Dans les émissions télévisées qui présentaient les différents candidats au public comme l’émission « Face à la Presse », Mme Jacques signalait que ‘’ les femmes, ayant toujours une place importante dans la société et étant celles qui travaillent dans les manufactures, devraient évoluer pour arriver un jour à la direction de ces dites usines’’

Lors de ces élections, la majeure partie des organisations féministes s’arrangeait dans le camp du candidat  du FNCD (Front national pour le changement et la démocratie), le père Jean-Bertrand Aristide. Ce dernier est sorti victorieux du scrutin avec 67.48 % des voix. Le président élu a nommé quatre femmes à des postes de ministre. Marie Michelle Rey aux Finances, Denise Fabien aux Affaires Étrangères, Myrtho Célestin-Saurel aux Affaires Sociales et Marie Laurence Jocelyn-Lassègue au Ministère de l’Information et de la Culture. Une grande première dans l’histoire nationale.

Ces acquis n’ont pas empêché que  le 8 Mars 1991, la SOFA (Solidarite Fanm Ayisyèn) lance un appel à la mobilisation en faveur de la création d’un ministère à la condition féminine qui défendrait les intérêts stratégiques des femmes dans la mise en œuvre des politiques publiques. Plusieurs milliers de femmes y ont pris part. Six mois après cette manifestation, l’armée renverse le président démocratiquement élu.

Le coup d’Etat du 29 septembre 1991

Pendant trois ans une junte militaire dirigée par le général Raoul Cédras s’empare du pouvoir. Une campagne de répression est lancée. On dénombre entre 3 000 à 10 000 morts et/ou disparus, 250 000 déplacés internes, des dizaines de milliers de départs de boat people. Les femmes ont été ciblées. On a enregistré des milliers de victimes d’agressions sexuelles. Un groupe paramilitaire dénommé FRAPH (Front révolutionnaire pour l’avancement et le progrès d’Haïti) créée en 1993 menait les opérations. Ces mercenaires, financés par la CIA, avaient à leur tête Jodel Chamblain, (un ancien tonton macoute) et Emmanuel Constant, fils d’un ancien commandant de l’armée pendant la présidence de François Duvalier.

A propos du coup d’Etat, l’ancienne coordonnatrice de la SOFA, Marie Frantz Joachim rapporte qu’il « est survenu à un moment crucial de la vie des organisations féministes et de femmes qui se définissaient et se structuraient ».

Le viol comme arme politique

Le viol a été un instrument politique efficace pour s’attaquer aux femmes qui s’opposaient au coup d’Etat militaire. Michel François, ancien chef de la police de Port-au-Prince, avait même ordonné « le viol collectif d’une femme après l’avoir personnellement battue » rapporte Terry Rey dans son texte intitulé Junta, Rape, and Religion in Haiti, 1993-1994 » (cité par David Longtin).

Les militaires putschistes faisaient tout pour évincer les militantes progressistes de la scène politique. A cet effet, le Tribunal Populaire de Montréal, en septembre 1994, avait soulevé « l’implication de la hiérarchie militaire dans la campagne de répression, notamment l’utilisation massive et systématique du viol comme forme de répression politique contre les femmes, qualifié de crime contre l’humanité par les juristes et experts invités » .

Dans son film documentaire intitulé « Les enfants du Coup d’Etat », la réalisatrice Rachèle Magloire donne la parole à une dizaine de femmes qui ont été victimes de viol pendant le coup d’Etat. L’une d’elles a eu un enfant suite à l’agression sexuelle dont elle a été l’objet. Les témoignages de ces femmes soulèvent le motif politique qui accompagnait ces actes de viol.

Malgré les difficultés liées à la junte militaire, les organisations féministes ont continué leur lutte en faveur du respect des droits de la femme haïtienne.  En 1993, sous l’initiative de Enfo Fanm, Kay fanm et de quelques féministes indépendantes, une première Rencontre Nationale sur la Violence faite aux femmes fut organisée. Elle a débouché sur la formation d’un comité qui va permettre de propulser les revendications des femmes au près des instances internationales comme l’UNICEF. SOFA a même organisé en 1994 une rencontre internationale au cours de laquelle elle a recueilli des témoignages de femmes victimes de viol vivant à Martissant.  

Tant de risques qui auraient pu couter la vie à ces militantes féministes dans un contexte politique délicat.

Retour à l’ordre constitutionnel

En octobre 1994 l’ancien président Jean Bertrand Aristide, assisté de plusieurs milliers de soldats américains, revient au pays. Ce retour marque la fin du coup d’Etat militaire.  Cette conjoncture va permettre au mouvement féministe haïtien d’obtenir certains acquis importants pouvant booster sa lutte. Ainsi, on a eu en 1994 la création du Ministère à la Condition féminine et aux Droits de la femme. Sous l’influence des organisations féministes, le Parlement ratifie des instruments juridiques allant à l’encontre de toute forme de violence à l’égard des femmes.  Nous citons entre autres «  » La Covention BELÉM DO PARÁ » en avril 1996 ; les modifications des articles 215-216 de la loi No 7 du code civil relatifs au divorce, de certains aspects du code pénal ayant trait au viol et autres agressions sexuelles (Marie- Frantz).

Certes le mouvement féministe a connu de grands succès dans la lutte, cependant il reste encore beaucoup de chemin à parcourir. Les inégalités sociales liées aux rapports de sexe et autres, persistent pendant que les organisations pionnières s’affaiblissent. Espérons que la rentrée sur la scène politique de jeunes organisations féministes vont apporter un nouveau souffle au féminisme haïtien.

Feguenson Hermogène est journaliste et cinéaste. Il a intégré l’équipe d’Ayibopost en décembre 2018. Avant il était journaliste à la radio communautaire 4VPL (Radyo Vwa pèp la, 98.9 FM) de Plaisance du Nord.

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