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Leur fille a été violée dans un orphelinat non accrédité. L’orphelinat les attaque en justice.

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Une jeune adolescente de 14 ans, habitant depuis deux ans dans un foyer, géré par des sœurs jésuites de la Compassionate franciscan sister of the poor, à Maniche, aurait été plusieurs fois violée

Début mars 2020, la vie d’une famille paisible dans le sud d’Haïti a été chamboulée avec la nouvelle du viol de leur enfant.

Mina a 14 ans. Elle habite à Bouffard, dans la commune de Camp-Perrin. La mineure rapporte que Pierre-Gouth Souffrant, l’administrateur du Compassionate franciscan sister of the poor (CFSOP), un centre d’accueil catholique, l’a forcé à avoir des rapports sexuels à plusieurs reprises.

Les parents de la victime ont appris la nouvelle le dimanche 1er mars 2020 de la bouche d’une des filles qui étaient avec Mina dans le centre. Ils expliquent que cette fille était passée chercher Mina pour un cours de confection de sandale.

Cette dernière leur a raconté que Pierre-Gouth Souffrant s’est enfermé avec Mina dans une chambre. Elle dit avoir vu les exactions du présumé violeur à travers une fenêtre. Questionnée, Mina corrobore les dires du témoin et explique à ses parents que l’administrateur du centre l’a forcé à avoir des relations intimes à deux reprises par le passé.

Le CFSOP, où était hébergée la jeune fille, attaque la famille de la présumée victime en justice après la dénonciation, parce qu’ils ont unilatéralement pris la décision de ramener leur fille chez un médecin afin de dresser un certificat médical.

Parallèlement, les parents de Mina ont porté plainte contre Pierre-Gouth Souffrant. Ce dernier serait en cavale, mais il continue d’entretenir de bonnes relations avec le centre, selon ses dires.

« J’attends de voir ce que la famille de [Mina] veut faire avec cette histoire, répond Pierre-Gouth Souffrant. À cause de mon travail, ils [des gens qui le haïssent dans sa communauté] m’ont déjà accusé de toutes sortes de choses, comme d’avoir brûlé une moto. Ils m’ont déjà fait des menaces de mort et ils ont même payé quelqu’un pour me tirer dessus. Aujourd’hui, ils ont réussi. Ils disent que j’ai violé [Mina]. Ils ont trouvé un médecin qui leur a donné un certificat médical. »

Les responsables de l’Institut du bien-être social et de recherches (IBERS) rapportent que le centre n’avait pas d’accréditation pour fonctionner comme un orphelinat.

Des relations de connivence

C’est Merlinda Punay qui dirige l’institution à Viloux, en l’absence de la principale Devina Napilli Buena qui est en déplacement. Selon sœur Punay, « ce n’est pas bon pour [Mina] de proclamer partout en Haïti, ce qui lui est arrivé. Mais les parents doivent la protéger et l’aider. »

Merlinda Punay déclare qu’elle n’était pas présente dans l’espace lors des forfaits, mais à Port-au-Prince. « Je ne veux pas soutenir [Souffrant] parce qu’il a fait quelque chose de mal et il doit en subir les conséquences », a-t-elle fait savoir.

Simultanément, sœur Punay refuse d’offrir une quelconque assistance à la famille de la présumée victime.

Selon la religieuse, il ne faudrait pas faire tout un plat avec cette histoire. Alors qu’elle refuse d’utiliser le mot « viol », Punay se demande : « Qu’est-ce que la famille de [Mina] veut de moi ? Je ne suis pas la personne qui a fait du mal à [Mina] ! Pourquoi la famille de [Mina] cherche à me causer des problèmes ? », dit-elle, en référence aux actions judiciaires entamées.

D’ailleurs, l’institution a introduit une action en justice contre les parents de la victime, après leur avoir fait parvenir une correspondance le 5 mars les informant que Mina ne sera plus hébergée dans leur foyer. Les responsables de l’institution disent leur « [stupéfaction] de voir que vous [Carlo, père de Mina] avez déplacé l’adolescente depuis le lundi 2 mars, cela, en absence et sans le consentement de la sœur Merlinda Punay, ni de l’administration du centre. »

Carlo dit avoir effectivement déplacé la fille pour l’emmener chez un médecin afin de dresser un certificat médical.

À ce sujet, sœur Merlinda Punay fait savoir qu’elle fut surprise de ne pas retrouver Mina dans l’enceinte de l’institution à son retour de la capitale. « Tout le monde est renvoyé chez eux, parce qu’en ce moment tout est fermé, comme la clinique, explique-t-elle. Nos supérieurs n’autorisent personne de sortir à cause de la situation du Coronavirus. Et parce que le père de [Mina] est venu la chercher, tous les autres enfants sont renvoyés chez eux. »

Le certificat médical en main, Carlo a entamé des démarches auprès de la justice. Le tribunal envoya un mandat à Pierre-Gouth Souffrant. Celui-ci s’est enfui à la venue des policiers dans le centre, d’après sœur Merlinda Punay qui explique ne pas savoir où il est ni avoir pris contact avec lui.

De son côté, Pierre-Gouth Souffrant ne se considère pas en fuite. Il révèle avoir des contacts réguliers avec le CFSOP, puisque sœur Merlinda Punay a l’habitude de lui apporter de l’argent lorsqu’il en a besoin. Il dit se sentir libre de continuer de vaquer à ses occupations à Camp-Perrin ou de continuer de côtoyer des enfants. « D’ailleurs, vous pouvez entendre beaucoup de bruit, je suis dans un orphelinat actuellement », conclut-il au téléphone.

Action en justice contre les parents

Quatre jours après avoir reçu la lettre du CFSOP, le 9 mars, il est écrit dans un document signé par le substitut commissaire du Gouvernement près le Tribunal de Première Instance des Cayes, que Carlo, le père de la présumée victime, est invité à se présenter au Parquet, le jeudi 12 mars 2020, à 10 heures du matin, par suite d’une plainte de la sœur Devina Napilli Buena.

Cependant, la sœur Merlinda Punay dit ne pas être au courant de cette procédure engagée par la représentante de l’organisation en Haïti. « L’invitation ne vient pas des sœurs, mais de Souffrant. Je ne l’ai pas signé. Et sœur Buena n’est pas en Haïti, elle est en Jamaïque. »

Quant à Souffrant, il fait savoir que : « J’ai envoyé ce mandat a [Carlo] parce que selon le règlement de la mission, il ne peut pas sortir avec [Mina] sans mon autorisation, et il a fait une diffamation, puisqu’il dit que la sœur l’y avait autorisé. Je n’ai pas mis mon nom dans le document, parce que ce n’était pas uniquement moi qui étais présent lors de l’action. »

L’administrateur de la mission semble vouloir utiliser son pouvoir pour se défendre et faire taire la famille de Mina. Sœur Punay dit qu’elle ne parle pas créole. Elle déclare par exemple ne pas avoir consenti à l’envoi d’une lettre à la famille de Mina.

« [Souffrant] m’a donné un papier que je devais signer, mais j’ai refusé parce que je ne pouvais pas comprendre ce qui y était écrit », détaille sœur Punay. « Je lui ai dit que je devais d’abord faire un rapport avant de pouvoir le signer. Mais Souffrant était en colère contre moi. Il a pris le papier et l’a signé personnellement pour l’envoyer à la famille de [Mina]. »

Statut ambigu

D’après un rapport de Diem Pierre, Assistant technique de la Directrice générale de l’IBERS, le CFSOP est un groupe de missionnaire qui a un programme communautaire. Le programme inclut un centre de santé, une école, de la distribution de nourriture, des activités de loisirs et certaines activités religieuses.

Sur cette base, Diem Pierre déclare qu’il ne s’agit pas d’un orphelinat ou d’un centre d’accueil pour enfant. Le CFSOP n’avait aucune autorisation pour héberger des enfants, même si, l’annexe de l’IBERS dans cette région a placé deux enfants en difficulté sous la responsabilité de ces sœurs jésuites, dit Pierre.

« L’une des raisons qui ont poussé l’IBERS à mettre deux enfants handicapés, abandonnés par leurs parents, dans cet espace, c’est parce qu’ils ont un centre de santé, expose Diem Pierre. Et en général, l’une des fonctions d’un centre d’accueil pour enfant handicapé, c’est de prodiguer des soins de santé. Mais, en aucun cas cela ne fait pas de l’espace une maison d’enfants ni un orphelinat. »

Le CFSOP fait savoir que Mina et les autres enfants étaient en cheminement pour devenir religieuses, d’après Diem Pierre. Depuis ses 10 ans, Mina avait l’habitude d’aller prendre un plat chaud dans le centre du CFSOP.

À ses 12 ans, deux sœurs se sont présentées devant Sofia, la mère de Mina. « Elles m’ont dit qu’elles appréciaient le comportement de ma fille. Même si [Mina] n’avait que 12 ans et qu’elles ne prenaient que des enfants âgés de 15 ans, elles allaient la prendre avec elles et m’ont dit que ma fille ne manquera de rien. On pouvait l’avoir avec nous pendant quelques jours, comme les week-ends, et elle devait revenir [au centre du CFSOP] sans aucune égratignure. »

Offre d’argent et menaces

D’après les parents, Pierre-Gouth Souffrant a offert de l’argent à la camarade de Mina, puis a proféré des menaces quand elle a refusé de se taire. Cependant, elle a tenu tête.

Quand Mina a décidé de tout dévoiler à ses parents le lundi 2 mars 2020, elle explique avoir subi le premier viol dans la chambre à coucher d’une des sœurs responsables de l’institution. Le présumé agresseur lui aurait fait savoir qu’il y avait déjà une autre fille du centre, avant elle, qui avait accepté d’avoir des rapports sexuels avec lui.

Ce même lundi, Mina est renvoyée au centre du CFSOP par son père. Elle y passera la nuit.

Le mardi 3 mars 2020, c’est Pierre-Gouth Souffrant lui-même qui ouvrit la barrière de l’institution à Carlo, le père de Mina. Celui-ci expliqua à l’administrateur que Mina était souffrante et qu’il allait la ramener après l’avoir emmené à l’hôpital. Mais, l’administrateur prétend que Carlo a menti en disant qu’il avait déjà l’autorisation de la sœur Merlinda Punay pour sortir avec la fille.

Carlo avait amené Mina auprès d’un médecin pour un certificat médical. Dans ce document, il y a une section consacrée aux dires de la victime qui raconte l’histoire de l’agression. Il y est écrit que, l’administrateur avait « l’habitude de lui faire des approches sexuelles ».

La dernière fois que l’agression s’est produite, c’était ce fameux dimanche 1er mars 2020. Son prétendu agresseur « a pénétré dans sa chambre et l’a poussé sur le lit, et l’a violé », lit-on dans son certificat médical.

Dans ce même document, le médecin écrit qu’il n’y a pas de signes de violences physiques, avec coups ou blessures, mais des signes de défloration avec hymen absent sont remarqués.

Le présumé agresseur aurait également proféré des menaces verbales à l’encontre de Mina.

Aussi, le père de Mina dénonce les menaces qu’il dit recevoir de la part de Souffrant après ses interventions auprès de la justice. La famille de ce dernier aurait essayé d’avoir une entente.

« Le frère de Souffrant a appelé un de mes cousins et lui a demandé si j’accepterais d’abandonner s’ils m’offrent 100 000 gourdes », explique Carlo. Soufrant prend le contre-pied de cette déclaration et fait comprendre que c’est la famille de Mina qui cherche à se faire de l’argent avec cette histoire de viol.

Une institution jésuite

Le CFSOP est une organisation Jésuite qui a pris naissance en 1996, sous le leadership de Missionaries of the Poor, à la Jamaïque et aux Philippines.

Le fondateur de cette organisation, Rev. Fr. Richard Ho Lung, est d’origine jamaïcaine et chinoise. Au début, ils étaient connus sous le nom de Missionaries of the Poor, Sisters. C’est récemment en 2009, qu’ils se sont reconstitués de manière indépendante sous le leadership de la mère Joan Clare Chin Loy, qui a été au tout début avec le Rev. Ho Lung.

Présentement, le CFSOP mène des actions en faveur des populations vulnérables à la Jamaïque, en Haïti et aux Philippines. En Haïti, leur représentante est la sœur Devina Napilli Buena, une Philippine, et leur siège social se localise à Viloux, Maniche, dans l’arrondissement des Cayes.

Les responsables de CFSOP font savoir que pendant 12 ans, ils ont initié un large programme de nutrition basique et mis sur pied un centre d’éducation, pour environ 150 enfants et 400 familles dans cette localité. Ce centre est l’établissement Queen of Mercy Academy and Child Development and Nutrition Center, qui hébergeait une demi-douzaine d’adolescents, parmi eux Mina.

Face au manque de collaboration de la part de l’organisation, Carlo continue de lutter. Présentement, le dossier de sa fille a quitté le parquet de la juridiction des Cayes pour rejoindre le Cabinet d’instruction. Il collabore avec les responsables de l’IBERS pour les suivis et la prise en charge pour Mina pendant sa quête de justice. L’organisation féministe Nègès Mawon offre aussi son support dans le cadre de ce dossier.

D’après Diem Pierre, il se pourrait que le parquet émette un avis de recherche contre Pierre-Gouth Souffrant.

Hervia Dorsinville

*Les prénoms de la victime et de sa famille ont été modifiés

Journaliste résolument féministe, Hervia Dorsinville est étudiante en communication sociale à la Faculté des Sciences humaines. Passionnée de mangas, de comics, de films et des séries science-fiction, elle travaille sur son premier livre.

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