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Lettre anonyme d’un politicien au pouvoir

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Mon cher peuple, mes chers électeurs, mes chers opposants, mes chers détracteurs, mes chers manifestants, mes chers citoyens passifs et mes compatriotes en général,

Ce n’est pas ma conscience mais les séquelles de mon humanité qui me poussent aujourd’hui à sortir de mon silence. Ce n’est pas pour me justifier ni même  pour vous consoler. Au fait, je ne fais que m’extérioriser. Je veux dire de vive voix ce qui était assourdissant dans mon comportement. Je vais seulement vous parler en espérant que ca me fera un peu de bien.

Vous savez, il me prend de regarder la télé, d’écouter la radio ou de feuilleter les journaux. A chaque fois que je le fais, ma  satisfaction  demeure la même. Je me réjouis de voir qu’il n’y a qu’une partie de mes bévues qui s’ébruite et fait écho. Ah si vous saviez, journalistes et manifestants (Rires) !  Vous qui par vos agitations partagez avec le reste du monde ce qui vous déplait dans mes démarches. Etant convaincu que vous ferez passer le message c’est surtout à vous que je m’adresserai dans cette lettre.

Pour commencer, je voudrais honnêtement vous dire mes sentiments à votre égard. Je ne désire aucune relation de proximité avec ni l’un ni l’autre de vous. Si je le fais des fois, c’est pour mes propres intérêts. Cependant certaines caractéristiques qui vous sont attribuées m’incommodent et me rendent méfiants. Par exemple, vous les étudiants de l’UEH : Vous n’êtes pas de bons alliés. Vous vous êtes trop abreuvés de la moralité, de l’ordre, des principes, de la spiritualité, des stratégies, des vertus mais surtout de l’audace qui coulent à flot dans vos bibliothèques. D’ailleurs vos enseignants sont trop passionnés alors qu’ils gagnent si peu ! M’exposerais-je donc à  me fier à un allié qui voit plus loin que moi ? Je ne suis pas calé en histoire, mais les siècles ont prouvé qu’il ne faut jamais sous-estimer ceux qui s’attachent aux livres.

En plus, vous êtes de mauvais ennemis. Votre capacité de nuisance est trop importante et vous avez trop de visages. Sans compter que vous êtes des idéalistes qui ont tout de même  un prix. Vous êtes capables de frapper avec l’arme idéologique mais vous savez aussi adopter la démarche des mercenaires. Et le mercenaire n’a pas de partisan sinon que le plus offrant.  Donc en tant qu’ennemis vous êtes imprévisibles et  c’est dangereux. Comprenez que dans tous les sens, je ne peux pas vous aimer. Pourquoi donc devrais-je accueillir dans la famille de mes soucis vos problèmes d’ordre académiques, pédagogiques ou universitaires ? Je danse peut être comme un fou, mais je ne suis pas idiot.

Quant à vous, mes chères blouses blanches, prétendus disciples d’Hippocrate, que pourrais-je faire pour vous ? Je constate la complexité de votre problème  sous un angle que très peu comprennent et j’aurais voulu admettre que la solution est simplifiable. Voyez d’ailleurs que même les médias ne font pas toujours de votre cause une priorité alors qu’elle m’a l’air d’une question de sécurité nationale ; une question de vie ou de mort! Vous savez, j’ai pensé à vous ce week-end. Je prenais un verre et je me suis mis à réfléchir à une éventuelle mesure qui vous donnerait gain de cause. Bercé par les douces mains de ma maitresse massant mon épaule, j’ai fermé les yeux pour faire un exercice. J’ai essayé de réfléchir à ce que je ferais si j’étais assez bête pour vous donner satisfaction. Il parait que certains de vos problèmes pourraient être résolus si l’on mettait plus d’argent à la disposition de votre communauté, de l’institution pour laquelle vous travaillez ou à votre cause. J’y ai pensé, je vous le jure. Ah ! Vous ne sortirez pas de l’auberge.

De l’argent ! Ou en trouver ? La production nationale ? Voyons ! Ça ruinerait mes affaires de contrebande et tout ce que l’importation me rapporte.  Et même si  j’optais pour la production, cela prendrait trop de temps. Je ne serais peut-être même plus au pouvoir au moment où ce pays commencera à jouir de ses fruits. Ne me parlez pas de la communauté internationale. Je n’aime pas leur façon de me demander des comptes à propos de leur charité. C’est pour moi un affront. S’ils veulent donner encore, je veux bien leur accorder mon attention. Mais je n’irai pas quémander, pas pour vous en tout cas.

Vous avez vu combien bon nombre d’entre nous gagne. Mais je préfère vous le dire maintenant. Quant à  tous nos écus et gaspillages sociaux…. Je voulais dire nos revenus et avantages sociaux, n’y songez même pas. Si vous croyez que les montants sont substantiels, souffrez que je vous apprenne que la suffisance ne qualifiera jamais l’argent. Et vous le savez mieux que moi : Rien n’est éternel ; l’argent, les accords, rien. En vérité je vous le dis, 3 mois, 6 mois, 3 ans, 6 ans ni même une vie ne suffiraient à un homme pour rebuter les voluptés et l’orgie sociale et économique que procurent un poste politique. Cette jeune fille dans mon dos, pensez-vous qu’elle serait aussi assidue dans cette besogne si je m’étais adonné à défendre les bonnes causes ? Elle ne serait même pas présente. Sa sensualité et le bien-être qu’elle me procure, la corse de mon spiritueux importé ne me permettent pas de vous comprendre. Et c’est de bonne guerre, vous n’arriverez pas à me comprendre non plus. Il avait raison l’autre : « Lè ou nan plas mwen, Wa Konprann »

C’est ironique de voir que vous laissez tomber les malades. Quand je pense que j’ai convoité ce poste pour me défaire de la pire des maladies : la pauvreté. J’ai moi-même connu certains camarades qui sont partis sur ces lits d’hôpitaux, si je peux les appeler ainsi. Investir dans la politique était pour moi un moyen de « mettre ma barbe à la trempe ». Et aujourd’hui, je suis heureux d’être loin du feu en essayant de ne pas songer une seconde que ma situation pourrait être éphémère

Il parait que le nombre de victimes augmente pendant que vous restez fermes sur votre position. J’ai souri en voyant que vous avez enfin décidé de vous salir les mains. Moi, je ne lave même plus les miennes J ! Et même si  votre comportement constitue un pas dans la bonne direction, je ne ressens aucune crainte de vous. Ce jeu n’est pas un sprint mais un marathon. Tiendrez-vous le coup jusqu’à la désuétude totale de votre conscience ? Vous n’en avez pas les tripes ! Vous avez reçu une éducation et certains d’entre vous vont à l’église ;  autant d’activités qui renforcent et alourdissent ce fardeau qu’est votre conscience. Vous avez appris dans les livres mais  vous n’avez rien observé de la réalité.  Croyez-vous que les esclaves avaient une conscience lorsqu’ils étaient en train de « Koupe Tet Boule kay » ? Croyez-vous que les américains avaient une conscience lorsqu’ils bombardaient Hiroshima et Nagasaki ? Croyez-vous que Bush avait une conscience lorsqu’il attaquait l’Irak sous de faux prétextes ? J’aurais aimé l’apprendre dès le berceau : la conscience est souvent une pierre d’achoppement pour la victoire. Si vous étiez des vainqueurs ou des fils de vainqueurs, je ne serais même pas à cette place.

Par-dessus tout,  j’ai appris à donner la priorité aux priorités. J’ai compris qu’il était plus important de garder le pouvoir que d’être aimé.

Quant à vous mes journalistes et personnels de média, je ne m’attarderai pas sur vous. Vous êtes l’illustration parfaite d’un vrai paradoxe. Vous subsistez grâce aux subventions de nos alliés mais vous paraissez crédible quand vous vous en prenez à moi. Vous finissez presque toujours votre carrière comme j’ai commencé la mienne. Votre travail se résume ainsi : Ote-toi, je viens m’y mettre. Si on appelle votre secteur le 4ème pouvoir, c’est bien parce qu’il est la continuité du mien. J’ai parfois envie de vous embrasser en lisant certains de vos éditoriaux dans les anciens quotidiens.  Alors levons nos verres à ceux qui pensent que nous sommes vraiment ennemis.

Alors mon cher peuple, mes chers électeurs, mes chers opposants, mes chers détracteurs, mes chers manifestants, et mes compatriotes en général, je n’ai d’autres souhaits à vous faire que de continuer à vaquer à vos occupations tant que cela ne restreint mes démarches. Mais vous mes chers passifs et tout le reste qui regardez sans rien dire et sans rien faire, ne vous occupant que de votre petite personne, ignorant que la solidarité est la base même de ce que nous définissons par la civilisation….Je vous remercie pour votre complicité. Vous êtes vraiment les seuls envers qui je me sens ingrat. Quand je regarde votre nombre et l’énergie que vous mettez à ignorer mes déboires, je sais qu’il y aura toujours de l’espoir pour mon genre tant que vous existerez.

« La vérité est que tout homme intelligent rêve d’être un gangster et de régner sur la société par la seule violence. Comme ce n’est pas aussi facile, […]on s’en remet généralement à la politique et l’on court au parti le plus cruel »
Albert  Camus, La Chute

Un politicien au pouvoir et fier de l’être.

NB: Ce n’est pas la peine de questionner l’authenticité de cette lettre. Chacun de ses mots est audible dans l’indifférence, le mépris ou la désinvolture de nos dirigeants.

Je suis Steeve Bazile, entrepreneur, journaliste, mais avant tout amateur de littérature. J’ai trouvé en cette dernière, un trésor surpassant toute forme d’intelligence : le bon sens. Le mien étant régulièrement aiguisé, je m’arroge donc de dire, de débattre, d’opiner, de contester, de questionner tout ce que je crois comprendre. Un érudit, dites-vous! Mais non, je ne suis qu’un profane… Le profane avisé!

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