Les allégations de graduation de deux anciens prisonniers relancent les débats sur une école accusée de corruption, d’académisme de bas niveau et même de soutien au régime dictatorial des Duvalier
Des étudiants de la promotion en sciences juridiques gradués en 2022, l’étudiant et ancien prisonnier Pierre Killick Cémélus, l’administration de l’École de Droit et des Sciences économiques des Gonaïves démentent tous la nouvelle qui explique que Cémélus aurait gradué en sciences juridiques à l’EDSEG, alors qu’il était incarcéré au pénitencier national pendant les deux dernières années de son étude.
La nouvelle, appuyée d’une photo de Cémélus avec un parchemin, choquait le milieu académique début mars et avait suscité les condamnations l’Université d’État d’Haïti, de l’autorité de laquelle relève l’EDSEG.
Le communiqué sorti par le Rectorat de l’UEH le 4 mars n’avait mentionné aucun nom. En réaction, l’unité de communication de l’EDSEG rejette quatre jours après les accusations et soutient que l’étudiant en question, Pierre Killick Cémelus, faisant partie de la promotion 2017 – 2021 n’avait pas bouclé ses études en raison de son incarcération, et par conséquent, il ne faisait pas partie de la cohorte des gradués de cette année.
Cinq étudiants issus de la promotion 2017-2021 ainsi que le journaliste Ahsley Jean Baptiste de HaïtiPost qui assurait la couverture de l’événement ont déclaré à AyiboPost que Pierre Killick Cémelus n’avait pas pris part à la cérémonie de remise des diplômes.
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Selon le président de la promotion, Eleris Ilodieu, la photo en circulation a été prise lors d’une séance de prise d’images le jour de la remise des toges aux étudiants bien avant la tenue de la graduation.
Contacté par AyiboPost, l’ancien détenu Pierre Killick Cémélus maintient n’avoir pas participé à la cérémonie de remise des diplômes. Il dit avoir écrit une lettre au décanat de la faculté pour demander la fermeture de son dossier pendant qu’il était en prison en 2019.
Un autre ancien prisonnier nommé Jean Fenel Tanis a cependant effectivement gradué cette année à l’EDSEG, selon un responsable de la faculté et au moins un étudiant ayant pris part à la graduation. Tanis est un ex-député allié du Parti Haïtien Tèt Kale de l’Ile-à-Vache.
Si Pierre Killick Cémélus a été appréhendé à Jacmel en 2019 pour possession d’armes illégales alors qu’il accompagnait l’ancien député Arnel Belizaire, Jean Fenel Tanis avait été arrêté par des agents de la Police frontalière à Ganthier en mars de la même année pour possession de 491 kilogrammes de marijuana. Il sera libéré par Jovenel Moïse en 2020 à la faveur d’une grâce présidentielle.
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Questionné sur la situation de Jean Fenel Tanis, le responsable des Affaires académiques de l’EDSEG, Daniel Dupiton, fait savoir que l’ancien député était toujours un étudiant régulier qui avait suivi tous ses cours alors que techniquement, Tanis a passé une partie de sa deuxième année comme étudiant en sciences juridiques derrière les barreaux.
Jean Fenel Tanis déclare à AyiboPost qu’il était déjà admis en 3e année lors de la période de son incarcération en 2019. Il dit avoir adressé une lettre de fermeture de son dossier au décanat de la faculté pendant cette période. Il révèle aussi avoir eu en sa possession des « syllabus de notes de cours » des professeurs et quelques manuels de droit en prison.
Un expert proche du milieu carcéral soulève des doutes sur ce traitement « privilégié » qu’on aurait réservé en prison à l’ancien député.
Les accusations d’académisme de bas niveau, d’étudiants, anciens prisonniers, gradués sans avoir rigoureusement assisté aux cours met davantage d’huiles sur le feu d’un conflit ouvert entre le RUEH et le décanat de l’EDSEG.
En 2020, le rectorat de l’UEH mettait à l’index des pratiques financières et académiques peu éthiques attribuées au staff management de l’EDSEG. Parmi les reproches retenus par le rectorat, selon Fritz Deshommes, recteur de l’UEH, demeurent l’organisation des examens dans des salles d’examen en désordre et l’absence systématique de données sur la composition des cohortes d’étudiants en cours d’études.
Le RUEH met en place la même année une commission de restructuration dont la mission est de normaliser l’école. Mécontents, les dirigeants de l’EDSEG ont contesté et empêché la prise de fonction de l’entité.
En représailles, le RUEH avait suspendu toutes les activités académiques de l’EDSEG et déclaré qu’il ne validerait aucune évaluation académique tenue à l’école, tant que la commission de restructuration n’entre pas en fonction.
La commission a finalement été installée dans les locaux du RUEH en janvier 2021. Elle détient un pouvoir de contrôle sur la succursale de l’EDSEG de Port-au-Prince. La structure aux Gonaïves reste hors d’atteinte de la commission.
Me Daniel Dupiton, un des plus anciens cadres de l’École de Droit et des Sciences économiques des Gonaïves et responsables des affaires académiques, estime que la commission de restructuration proposée par le rectorat est à la base du litige. « Nous serons prêts à partir et négocier avec le Rectorat en cas où il enlève sa commission à la tête de l’EDSEG », déclare-t-il d’un ton ferme.
Me Dupiton évoque l’organisation d’élections générales pour renouveler le leadership de l’EDSEG comme condition sine qua non pour trouver une issue à cette crise.
Depuis la résolution du rectorat de suspendre les activités académiques à l’EDSEG, il ne signe plus les diplômes émis par l’entité, selon Dupiton. Ceci pourtant ne fait pas fléchir le conseil des professeurs de l’EDSEG qui maintient le calendrier des examens de fin de session et la poursuite des cours, entre autres.
Des décisions questionnables acceptées par les dirigeants de l’EDSEG entachent la réputation de l’institution. L’ancien dictateur Jean Claude Duvalier a été désigné parrain de graduation de la promotion 2007-2011 alors que ce dernier avait des démêlés avec la justice haïtienne pour les crimes contre l’humanité commis par son administration sur la population. Avant sa mort, plusieurs plaintes ont été déposées contre lui par des citoyens.
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