MigrationSOCIÉTÉ

Les soldats dominicains corrompus s’enrichissent sur la frontière

0

Livrés à eux-mêmes, les migrants haïtiens en paient les frais

Trafics de drogue et d’armes à feu, vols de véhicules, échanges de pots-de-vin… la corruption prend plusieurs faces à la frontière Haïtiano-dominicaine.

Les officiers de la république voisine sont la pierre angulaire de ces pratiques parfois criminelles. « Pour un soldat dominicain, être affecté à la frontière c’est comme gagner à la loterie », a déclaré un homme d’affaires haïtien dans un rapport publié en 2019 par le Centre d’études stratégiques et internationales (CISIS) sur le commerce et la corruption transfrontalière entre Haïti et la République voisine.

La corruption sur la frontière se trouve à tous les niveaux. Les soldats dominicains complotent parfois entre eux pour exiger de fortes sommes aux migrants illégaux haïtiens qui souhaitent rentrer dans leur pays.

Régulièrement, des commerçants haïtiens font la ruée pour passer le portail dominicain afin de se rendre aux marchés dits « marchés binationaux » dans les villes frontalières dominicaines. Certains spécialistes affirment que ces marchés n’ont aucun caractère binational et sont, à proprement parler, des marchés frontalières dominicaines.

À Dajabón, ville frontalière dominicaine limitrophe à Ouanaminthe, des gardes dominicains sillonnent l’espace pour vérifier les moindres produits apportés par les commerçants haïtiens. Joazard Boselin, un tenancier de borlette au marché transfrontalier dominicain à Dajabón, dénonce les mauvaises pratiques de ces officiers qui perçoivent des frais illégaux auprès des vendeurs haïtiens. Ces frais sont similaires aux montants exigés des business par les gangs notamment à la Plaine du Cul-de-Sac.

Lire aussi : Echanges avec l’ambassadeur d’Haïti en République Dominicaine

Le porte-parole de l’association de commerçants de Ouanaminthe (ASCOMO) confirme la pratique illégale. De fortes sommes sont demandées pour que les produits haïtiens soient admis dans ces marchés alors que les municipalités dominicaines fixent les règles régissant l’accès. Ces municipalités perçoivent les frais pour les espaces marchands et autres taxes auprès des vendeurs.

L’État haïtien reste une figure presque invisible sur la frontière. Fritz Hilaire, un commerçant au marché de Dajabón, se plaint des taxes officielles et non officielles. Quadragénaire, il revend des souliers depuis près 22 ans. Les montants excessifs exigés par la douane Dominicaine sur les marchandises en provenance d’Haïti pèsent beaucoup sur ses économies, déjà chétifs.

« Pour une vingtaine de paires de souliers par exemple, la douane dominicaine peut exiger jusqu’à 1 000 pesos », se lamente le commerçant.

Des frais sont aussi versés aux soldats dominicains pour traverser la barrière avec les marchandises. « Cette somme est évaluée en fonction de la quantité de marchandises », mentionne Hilaire.

Des soldats dominicains se réunissent en cartel pour soutirer de l’argent aux migrants haïtiens qui veulent illégalement avoir accès au sol dominicain. Selon les dires de Joazard Boselin, quand un général place un colonel ou un soldat sur la frontière, ce dernier sait qu’il a l’obligation de lui verser en fin de semaine une somme d’argent.

Lire également : 2 officiers en RD touchent les parties intimes d’une Haïtienne enceinte. Son arrestation viole un accord passé avec Haïti.

Des organisations des droits humains documentent aussi des cas de corruptions sur la frontière entre Haïti et la République Dominicaine.

« La corruption est l’un des problèmes politiques les plus contentieux dans les deux pays et même dans toute la région », fait savoir Mike Lysias, responsable de communication du Groupe d’Appui aux Rapatriés et Réfugiés (GARR).

Selon Lysias, les migrants haïtiens sans papiers paient jusqu’à 10 000 pesos dominicains à un réseau des passeurs clandestins qui s’entendent avec les soldats pour les faire traverser la frontière. Cette somme varie suivant la région ou suivant l’accord conclu entre le migrant haïtien, le passeur et le soldat dominicain.

« Ceux qui sont arrêtés et qui sont menacés de rapatriement versent des pots-de-vin aux soldats dominicains et à des agents de la migration pour pouvoir rester en RD », indique-t-il.

Lire enfin : Les étudiants Haïtiens en RD, victimes insoupçonnées de la rareté du dollar

L’Haïtien sans papier qui traverse la frontière est sujet à toute sorte de malheur.

« Il peut être pillé par des tigele (voleurs dominicains) au vu et au su des soldats dominicains », selon la coordonnatrice du Réseau frontalier Jeannot Succès (RFJS), Manise Élie.

« Le migrant doit nécessairement verser aux soldats des pots-de-vin à chaque point de contrôle qu’il traverse sur la frontière jusqu’à sa destination finale, continue Elie. Malgré cela, les victimes n’ont nulle part où porter plainte contre cette pratique qui perdure depuis des années ».

En dehors des quatre points frontaliers officiels, Malpasse-Jimani ; Ouanaminthe-Dajabón ; Belladère-Elías Piñas et Anse-à-Pitre-Pedernales, il existe des points non officiels. « Les soldats dominicains s’en servent pour soutirer de l’argent aux migrants haïtiens qui traversent la frontière clandestinement », explique la coordonnatrice du RFJS.

Le migrant doit nécessairement verser aux soldats des pots-de-vin à chaque point de contrôle qu’il traverse sur la frontière jusqu’à sa destination finale

Quand un ressortissant d’Haïti quitte un point de passage frontalier non officiel, il sait qu’il doit avoir de l’argent non seulement pour son entretien, mais aussi pour gérer les péages.

Certaines fois, les migrants haïtiens sont battus et les femmes se font violer et tuer dans des circonstances troublantes.

Les travailleurs haïtiens qui louent leurs services dans l’agriculture en République Dominicaine sont parfois lésés dans leur droit après les récoltes. D’après Manise Élie, les agriculteurs haïtiens qui se plaignent se voient menacés ou arrêtés par des soldats dominicains avant d’être rapatriés en Haïti par la suite.

Photo de couverture : El Nuevo Diaro 

Ce texte rentre dans le cadre de l’exploration d’AyiboPost sur la migration Haïtienne. Cliquez ICI pour lire les reportages, les tribunes d’experts et regarder les documentaires.

Fenel Pélissier est avocat au Barreau de Petit-Goâve, professeur de langues vivantes et passionné de littérature.

    Comments