Le Sénat est plus budgétivore que productif
Entre 2016 et 2020, le Sénat de la République d’Haïti n’a voté que 42 textes de loi (projets et propositions) pendant 122 séances plénières.
Les députés ont voté cinq des propositions venant du Sénat. De ces cinq textes, seulement trois ont été votés dans les mêmes termes dans les deux chambres. Ils ont ainsi été publiés par l’exécutif dans le journal officiel du pays.
Il y a d’abord la proposition de loi relative à la fortification alimentaire en micronutriments. Vient ensuite la proposition de loi remplaçant le décret du 16 février 2005 relatif au processus d’élaboration et d’exécution des lois des finances. Enfin, les sénateurs ont voté la proposition portant création, organisation et fonctionnement du Fonds National de l’Éducation (FNE).
Pendant cette période, le Sénat a ratifié quatre instruments internationaux et a pris treize résolutions.
Selon l’ancien sénateur Ronald Larêche qui a dirigé le Sénat de juillet 2016 à janvier 2017, « le manque de productivité du Parlement est dû à un conflit qui existe souvent entre des députés qui souhaitent se faire élire sénateur, et des sénateurs qui n’entendent pas laisser du champ libre à ces députés. » Aussi, sur les 49 textes de loi votés par les députés, seulement 5 sont des propositions faites par des sénateurs.
Des périodes de turbulences politiques
Le Sénat a connu six présidents pendant cette législature.
Youri Latortue, en 2017, a pu bénéficier d’un climat assez serein pour réaliser les travaux parlementaires. Il compte 61 séances plénières et neuf séances en Assemblée nationale. Seize propositions de loi ont été déposées et 27 propositions et deux projets de loi votés.
Avant Youri Latortue, en 2016, Jocelerme Privert et Ronald Larêche se sont succédé à la présidence du sénat de la République. À peine élu président du Sénat en janvier 2016, Jocelerme Privert s’est fait élire président provisoire de la République le 14 février. Son vice-président, Ronald Larêche le remplace provisoirement au bureau du Sénat avant de se faire élire au bureau en juillet de la même année.
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À son compte, Ronald Larêche n’a que dix-huit séances plénières et sept séances en Assemblée nationale. Huit des dix-huit séances plénières étaient consacrées aux affaires internes du Sénat, comme les élections des bureaux ou la formation des commissions permanentes.
Quatre des sept séances en Assemblée nationale portaient sur l’élection et la fin du mandat du président provisoire Jocelerme Privert. Finalement, le Grand Corps n’a voté que deux propositions de loi, sur les huit propositions déposées pendant cette année législative.
Le poids de l’affaire Petro caribe
Au mois d’août 2016, le président de la commission éthique et anticorruption du Sénat, Youri Latortue, présente à l’Assemblée des sénateurs le rapport de son enquête sur la dilapidation des fonds Petrocaribe.
Après des discussions, le bureau a décidé de créer une commission spéciale en vue d’approfondir le travail de la commission éthique et anticorruption. Ayant à sa tête le sénateur Evaliere Beauplan, cette commission spéciale qui avait 30 jours calendaires pour soumettre son rapport a travaillé jusqu’au mois de janvier 2018.
Ce rapport a compliqué la présidence du sénateur Joseph Lambert au bureau du Sénat de la République. Lors d’une séance marathon s’étendant du 31 janvier au 1er février 2018, les sénateurs se sont épuisés dans un interminable débat. Celui-ci portait sur le destin du rapport de la commission spéciale qui travaillait sur la dilapidation des milliards de dollars des fonds Petrocaribe.
Lorsqu’il a décidé de confier l’affaire à la Cour supérieure des Comptes et du Contentieux administratif, le président Joseph Lambert s’est attiré la colère des sénateurs opposés au pouvoir de Jovenel Moïse. Depuis lors, les sénateurs de l’opposition ont saboté sa présidence, et les séances étaient devenues rares.
Au cours de cette année législative, le Sénat n’a organisé que 27 séances plénières, dont quatre étaient strictement liées aux activités internes du Grand corps.
Ainsi, la République n’a eu droit qu’au vote de huit textes de loi dont six proviennent de l’exécutif.
Matière fécale, Pistolet et Militant
En janvier 2019, le sénateur Carl Murat Cantave s’est fait élire à la présidence du sénat. Sous sa présidence, le Grand corps cessa d’être un lieu de débat pour se transformer en véritable ring de boxe. Le grand public se souviendra longtemps du clash entre le sénateur Joseph Lambert et son collègue Ricard Pierre. Ils en sont venus aux mains en pleine salle de séance, lors de la dernière tentative de ratifier la politique générale du Premier ministre Jean Michel Lapin.
C’est aussi au cours de cette présidence que le sénateur Antonio Cheramy s’est introduit dans la salle de séance mégaphone en main. Des militants politiques, emmenés par des sénateurs de l’opposition, ont également envahi la salle, et ont pris place sur le siège du président du Sénat.
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Le sénateur Jean Marie Ralph Fethière a aussi marqué la présidence de Carl Murat Cantave lorsque, en marge d’une tentative de cérémonie de ratification du Premier ministre nommé Fritz William Michel, il a dégainé son pistolet dans un affrontement avec des militants, blessant par balles deux personnes, dont le photojournaliste Chery Dieu-Nalio le 23 septembre 2019.
Le même jour, la salle de séance du Sénat a été badigeonnée par un liquide à forte odeur de matière fécale.
Le président Carl Murat Cantave a tenté de réaliser seize séances plénières au cours de l’année 2019. Huit de ces seize séances ont été mises en suspension, faute de quorum. Seulement trois textes de loi sont votés sous la présidence de Carl Murat Cantave.
Un organe budgétivore
En dépit de ce manque de productivité, le budget du Parlement ne cesse d’augmenter. Pour l’année fiscale 2015-2016, il était de 3,34 milliards de gourdes, selon une enquête de l’Observatoire du système financier haïtien (OSFH).
Pour l’exercice fiscal 2017-2018, ce budget est passé à 7,2 milliards de gourdes. De cette somme, le Sénat a reçu du contribuable haïtien 3,57 milliards de gourdes. Le reste du montant fut alloué à la Chambre basse.
Depuis lors, aucun nouveau budget n’a été voté et celui de 2017-2018 est reconduit à chaque nouvelle année fiscale, rappelle l’ancien sénateur Ronald Larêche.
Mais, le sénateur Jean Rigaud Bélizaire indique qu’en 2020, à la suite des différentes crises politiques et sanitaires qui ont frappé le pays, l’exécutif a décidé de modifier le budget de la République. Il confie que le budget du Sénat est réduit aujourd’hui à son tiers, sans communiquer de chiffres exacts.
La grande hibernation
En janvier 2020, le sénateur du Sud Pierre François Sildor est à la tête de 10 sénateurs qui ne peuvent que jouir calmement des privilèges du poste. Pierre François Sildor n’a pas les moyens nécessaires pour tenir une séance plénière. Le Sénat de la République est amputé de deux tiers de ses membres, ce qui infirme le quorum pour tenir une séance.
Aujourd’hui, pour servir les 10 sénateurs restants, le Sénat compte 2 500 employés hormis les contractuels, révèle une cadre de l’institution, sous couvert de l’anonymat.
Samuel Celiné
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