La législation haïtienne offre peu de protections aux enfants souvent exploités dans des travaux difficiles et dangereux
Ernest Dieudonné travaille depuis l’âge de 16 ans. Il était encore mineur quand un ami de la famille lui a appris à conduire un camion. « Il me payait 15 gourdes pour transporter de la marchandise de Port-au-Prince au Cap-Haïtien », se souvient-il.
Pendant six ans, Ernest Dieudonné a transporté de la canne à sucre, des mangues, de la banane, du riz et des vivres. Aujourd’hui il a 68 ans, et il a émigré aux États-Unis il y a 25 ans. Mais avant de partir pour le pays de l’Oncle Sam, Dieudonné a initié son petit frère au même métier. Il avait 15 ans à l’époque.
15 ans, c’est l’âge légal qui permet à un mineur de travailler en Haïti, lit-on dans l’article 335 du Code du travail. Selon Stanley Florival, avocat travaillant à la mairie de Port-au-Prince, ils ont les mêmes obligations que les adultes sous l’emprise de la législation du travail. L’avocat a réalisé son mémoire de sortie pour l’obtention d’une licence à l’université sur le droit des enfants.
En travaillant tôt dans leur vie, ni Dieudonné ni son frère n’ont subi une injustice. Mais les mineurs dans leur situation sont exposés à l’exploitation de leurs patrons, et n’ont aucun recours s’ils sont mal payés, s’ils se blessent dans l’exercice de leur travail, ou si celui-ci ne correspond pas à leurs capacités physiques ou psychologiques.
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Il n’y a pas de chiffres officiels sur la quantité de mineurs qui travaillent légalement dans le pays. Ils évoluent pour la plupart dans le secteur informel. Il y a bien plus de données sur les enfants qui travaillent contre leur gré, explique Marie Rosie Auguste, responsable de programme au Réseau national de défense des droits humains.
L’UNICEF non plus n’a pas beaucoup de données. Geslet Bordes, officier de protection de l’enfance dans cette organisation, affirme que la dernière enquête qui couplait les mots mineur et travail prenait en compte uniquement les cas de domesticités. Elle date de 2014.
Il n’y a pas de chiffres officiels sur la quantité de mineurs qui travaillent légalement dans le pays.
Le manque de considération accordé au travail légal des mineurs illustre leur précarité, et fragilise les recours possibles qu’ils pourraient avoir l’occasion d’enclencher, surtout ceux qui travaillent dans l’informel, croit Stanley Florival.
La législation elle-même manque de clarté. Par exemple, les enfants qui grimpent tous les jours dans les véhicules de transport public, pour vendre sucettes, bonbons et autres produits, ne sont pas considérés comme des travailleurs par la loi. C’est, selon l’avocat, un autre problème, car, une grande partie de la population touchant un revenu, perçoit ce dernier des activités du secteur informel.
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Même dans les cas reconnus comme un travail, la loi n’est pas respectée par les patrons qui prennent à leur service des adolescents de moins de 17 ans, jusqu’à 15. « Il est interdit que les mineurs travaillent dans des lieux où l’on vend des boissons alcoolisées, pourtant on en trouve dans des bars, qui vendent ou servent ces boissons », fait remarquer l’avocat.
L’emploi des mineurs à des travaux insalubres, pénibles ou dangereux du point de vue physique ou moral est aussi interdit. Pourtant, Claudette Faustin, qui était vendeuse à la rue du Centre, se souvient bien des enfants portefaix, qui transportaient de la marchandise du port de la Croix-des-Bossales aux dépôts des vendeurs. « Parfois, leurs parents travaillaient eux-mêmes à quelques mètres de leurs enfants », se rappelle-t-elle.
La dernière enquête qui couplait les mots mineur et travail prenait en compte uniquement les cas de domesticités. Elle date de 2014.
D’un autre côté, un mineur qui s’apprête à être embauché doit se faire délivrer des documents qui jugent de son aptitude pour le travail qu’on lui demande. Il lui faut un papier médical, délivré par un médecin agréé, notamment. Dieudonné ne se rappelle pas avoir eu à fournir ce document. Pourtant, conduire un camion sur les routes sinueuses qui mènent à Port-au-Prince était dangereux, même pour un adulte.
Il en va de même pour le certificat de travail. Il doit être délivré au mineur par la direction du travail, une entité du ministère des Affaires sociales et du Travail. Sise à l’avenue Charles Summer, au local du ministère, cette direction ne semble pas particulièrement active. Même sur son site internet les informations sur le sujet sont presque inexistantes. Pourtant, ce certificat est obligatoire, selon la loi, pour les mineurs qui travaillent dans une institution agricole, commerciale ou industrielle.
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Stanley Florival croit qu’il faudrait mettre à jour les dispositions légales qui existent, pour penser à certaines réalités sociales que la législation néglige.
« Nous savons que certains enfants travaillent sous la contrainte de leurs parents, qui exigent qu’ils participent aux dépenses de la maison. C’est une chose que le Code du travail haïtien ne prend pas en compte. »
La loi doit mieux protéger ces mineurs, en prenant en compte leur droit à un travail qui ne les met pas en danger, en fixant des limites d’heures de travail, et en exigeant des pauses de plus de trente minutes dans la journée. Les congés, l’état de santé, et le respect de l’intégrité de ces mineurs doivent aussi être une priorité.
Par Melissa Beralus
© Image de couverture : Jesper Klemedsson / Kontinent
Cet article a été mis à jour pour préciser l’article (335 du Code du travail) qui mentionne l’âge à partir duquel un enfant a le droit de travailler en Haïti. 12.20 16.11.2023
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