ÉCONOMIEPOLITIQUE

Les mesures annoncées par l’administration Moïse-Céant ne porteront pas fruit

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Pour résoudre la crise, le gouvernement de Jean-Henry Céant a proposé 9 mesures. Sont-elles suffisantes pour sortir le pays de l’impasse ?

Dans son allocution, Jean-Henry Céant a annoncé 9 mesures, après les 11 autres déjà décrétées le 6 février 2019. Ces mesures, pour la plupart, ont rapport au train de vie de l’État, cheval de bataille que plusieurs gouvernements successifs n’ont cessé d’agiter, jusque-là sans aucun succès réel.

Les mesures annoncées peuvent être séparées en deux catégories : celles qui sont purement économiques et celles qui sont administratives. Ces décisions sont en soi tout à fait honorables, mais elle présentent certains paradoxes qui entravent leur efficacité sur la crise actuelle.

Une seule mesure à court terme

Parmi les neuf décisions, seul l’accord entre l’État et les importateurs est de nature à prendre effet rapidement. C’est la première remarque que tout esprit critique peut porter sur les mesures de l’administration Moïse-Céant. L’économiste Etzer Émile le souligne : « Les mesures en général prennent du temps pour avoir de l’effet. Cette population frustrée, énervée face à la vie chère et la corruption, ne sentira pas de soulagement rapidement et cela n’arrivera peut-être jamais. »

Réduire le budget de la Primature, faire l’audit des entreprises de l’État, récupérer les recettes de la contrebande, transformer la FDI en banque de développement, améliorer le salaire minimum : autant de décisions qui ne peuvent être immédiates. Rien n’indique donc que dans les prochains jours, la même situation de tension ne se reproduira pas. Les revendications sont toujours présentes, et les mesures pour les adresser, trop lentes.

Récolter 30 milliards de gourdes en 10 mois

D’après le Premier ministre, le pays perd environ 60 milliards de gourdes à cause de la contrebande. Dans son allocution, il a promis de prendre les décisions nécessaires pour réduire ce manque à gagner : « Rapidement, nous allons travailler de manière conjointe avec nos amis de la communauté internationale, le secteur privé, la police et les responsables de la douane pour récupérer la moitié de cet argent, avant la fin de l’année. »

La contrebande est en effet un fléau qui pèse lourd sur l’économie. Toutefois, Etzer Émile a des doutes sur la capacité de l’État à réaliser cet objectif : « Comment croire que l’on pourra rapidement réduire de moitié la contrebande. ce système mafieux construit et entretenu depuis toujours par des hommes forts politiquement et économiquement ? »

Tous les gouvernements qui se sont succédé ont vu la nécessité de lutter contre la contrebande à la frontière. Si en 2019, le Premier ministre du pays parle encore de lutte contre la contrebande, c’est parce qu’après plusieurs années, le problème demeure. A-t-on des raisons d’espérer voir la réalisation en seulement douze mois de ce qui n’a pu se faire en plusieurs décennies ?

Rendre efficaces les entreprises publiques

Pour réformer l’administration publique, l’OMRH (Office de management des ressources humaines) a été mis sur pied. Cette entité a la responsabilité de rendre efficaces et efficientes les ressources humaines de l’administration publique. Ainsi, des jeunes, convenablement formés pourraient intégrer le secteur public, afin de le redynamiser. Cependant, l’OMRH, depuis sa création, n’a pas pu atteindre les chiffres promis, deux recrutement nationaux pour jeunes ingénieurs civils et architectes et quelques recrutements pour des ministères sectoriels ont été réalisés. La réforme promise parait difficile à implémenter.  De plus, tout récemment, un sénateur de la République dénonçait l’emprise de certains élus sur les organismes déconcentrés de l’État. Ces élus — pour la plupart opposants du gouvernement — laisseront-ils le champ libre à l’enquête que réclame Jean-Henry Céant ?

 

Le riz ne peut pas tout régler

Le riz est l’arme d’apaisement social de la plupart des gouvernements haïtiens. la réponse aux revendications populaires importantes de ces dernières années sont toujours suivis de la promesse ou de la tentative de réduction du prix du riz importé. Lors des émeutes de la faim, en 2008, c’était aussi l’une des mesures phares du gouvernement de Jacques Édouard Alexis. Pourtant, cela n’avait pas évité sa chute.

11 ans plus tard, en 2019, pour calmer les esprits, le gouvernement de Jean-Henry Céant annonce la baisse des prix du riz en supprimant les droits de douane. Cette mesure a au moins deux effets négatifs. Premièrement, elle poursuit la destruction systématique de la production nationale, le riz étant en compétition directe avec les autres produits locaux. Deuxièmement, c’est un manque à gagner considérable. Notons que l’État accuse un déficit budgétaire dû entre autres au manque de recettes par rapport aux prévisions, et c’est l’une des raisons de la crise actuelle.

De l’ordre dans les dépenses publiques

« Cela fait des années que le Groupe Croissance milite pour qu’il y ait de l’ordre dans les dépenses de l’État. Si vous collectez 114 milliards de gourdes, et vous dépensez 91 milliards en dépenses courantes, il n’y a pas de place pour d’autres dépenses. Sur les dix dernières années, l’État a augmenté ses recettes. Mais plus le budget augmente, plus les dépenses de fonctionnement augmentent aussi », explique Kesner Pharel, économiste, PDG du Groupe Croissance.

M. Pharel croit que l’État, pour éviter ces chocs dans l’économie, doit assainir les finances publiques, adopter le Cash Management. « C’est comme pour un individu, dit-il, si vous dépensez plus d’argent que vous en avez, vous vous endettez. » C’est de là que vient le déficit budgétaire record enregistré pour les premiers mois de l’exercice fiscal 2018-2019.

En effet, l’État, pour trouver l’argent dont il a besoin pour ses dépenses, demande à la BRH d’imprimer de nouveaux billets. L’État dépense plus, et par la même occasion réduit la valeur de la gourde qui circule en trop grande quantité, augmente l’inflation et le taux de change.

Pourtant, en juillet 2017, le président de la BRH se félicitait de la « discipline du gouvernement en matière de Cash Management. » Exactement un an après, soit le 6 juillet 2018, le pays s’est embrasé à cause de revendications populaires, axées notamment sur la vie chère. Pourtant, loin de tirer les leçons du passé, l’État haïtien décide de creuser encore plus le déficit en supprimant les droits de douane pour un produit importé, le riz.

Journaliste. Éditeur à AyiboPost. Juste un humain qui questionne ses origines, sa place, sa route et sa destination. Surtout sa destination.

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