InsécuritéPOLITIQUESOCIÉTÉ

Différences clés entre la mission Kenyane et la MINUSTAH

0

Contrairement à la MINUSTAH qui est partie après treize ans de présence continue sur le territoire haïtien, la MMAS a la particularité de ne pas être une mission classique des Nations unies de maintien de la paix.

Le gouvernement haïtien veut transformer la mission kenyane en force des Nations unies à travers une requête formelle devant être introduite en décembre.

Cette transformation doit adresser les problèmes de financement, d’équipements et de personnels de la présente mission.

Elle viendra également avec un changement de régime juridique dont la configuration peut se calquer sur la Mission des Nations unies pour la stabilisation d’Haïti (MINUSTAH) entre 2004 et 2017.

Dans l’attente, le conseil de sécurité des Nations unies a prolongé le mandat de la force multinationale d’appui à la sécurité d’un an supplémentaire, soit jusqu’au 2 octobre 2025.

La MMAS, présente en Haïti depuis trois mois, est la deuxième force internationale à intervenir en Haïti après la mission des Nations Unies, autorisée en juillet 2004, conformément à l’accord adopté par le Conseil de sécurité sous la résolution 1542.

Cette mission controversée était chargée de soutenir le désarmement des groupes armés et rétablir l’ordre public et institutionnel après la chute du président Jean-Bertrand Aristide.

La MMAS dirigée par le Kenya en Haïti, approuvée en octobre 2023 par le Conseil de sécurité de l’ONU, s’inscrit dans le cadre de l’accord signé entre les gouvernements haïtien et kényan en juin 2024.

Cette force doit lutter aux côtés de la Police nationale d’Haïti contre les gangs armés, qui ont poussé plus d’un demi-million de personnes à fuir leurs maisons, tout en tuant et violant des centaines d’autres.

Lire aussi : Tensions entre la police haïtienne et les Kényans

« Ces deux missions partagent le même statut juridictionnel », explique à AyiboPost James Boyard, expert en droit international.

Bien que les deux accords présentent des similarités sur plusieurs aspects fondamentaux, ils divergent sur d’autres points cruciaux.

« Ces deux missions partagent le même statut juridictionnel »

Trois spécialistes consultés par AyiboPost se penchent sur les implications de ces correspondances, en particulier en ce qui concerne la gestion des abus potentiels et la responsabilité des parties impliquées. Ces comparaisons permettent d’anticiper à quoi une nouvelle mission des Nations unies en Haïti pourrait ressembler.

Contrairement à la MINUSTAH qui est partie après treize ans de présence continue sur le territoire haïtien, la MMAS a la particularité de ne pas être une mission classique des Nations unies de maintien de la paix. Elle est une mission sous couvert du Conseil de sécurité, dirigée par un membre de l’ONU, le Kenya.

Lire aussi : Retour sur 15 années d’échecs de l’ONU en Haïti

Cependant, l’accord de siège, status of forces agreement (Sofa) signé dans le cadre du déploiement de la MMAS en Haïti, accorde une immunité au personnel de la mission et aux contractuels locaux dans l’exercice de leurs fonctions.

Aucun membre de cette mission, pour l’instant composée d’environs 400 Kényans, de vingt militaires et quatre policiers jamaïcains, ainsi que de deux soldats du Belize, ne peut être emprisonné en Haïti.

Selon le document, toute poursuite judiciaire pénale sera menée dans le pays d’origine de l’officier mis en cause.

De plus, un membre de la mission appréhendé en flagrant délit doit être remis sans délai à la mission pour les suites nécessaires.

« Cette force [la MMAS] jouit de l’immunité de juridiction absolue », commente James Boyard.

De son côté, la MINUSTAH jouissait, en 2004, de toutes les immunités sous la base de la convention du 13 février 1946 en tant qu’organisme subsidiaire des Nations unies.

« La MMAS, contrairement à la MINUSTAH, n’est pas un organisme subsidiaire des Nations unies et ne devrait pas jouir de toutes les immunités », tranche le professeur James Boyard qui reconnaît tout de même que le principe d’immunité de juridiction est intrinsèque à la nature de ce type de mission.

En ce qui concerne les tarifs douaniers, les revenus des forces ne sont pas soumis à l’impôt en Haïti.

« La MMAS, contrairement à la MINUSTAH, n’est pas un organisme subsidiaire des Nations unies et ne devrait pas jouir de toutes les immunités »

Les membres de la MMAS, comme ce fut le cas pour la MINUSTAH, ne peuvent être arrêtés et ne sont pas justiciables par devant les tribunaux haïtiens pour les actes commis dans l’exercice de leurs fonctions y compris leurs paroles et leurs écrits, fait remarquer Ricardo Augustin, docteur en Sciences Politiques et Relations Internationales.

Ricardo Augustin, dans son bureau : 10 juillet 2024

Dr. Ricardo Augustin, dans son bureau : 10 juillet 2024 | © Fenel Pélissier

Les effets de cette immunité s’étendent même après le départ des membres de la mission ou à la fin de son mandat.

D’autres points rapprochent les deux accords.

La MMAS, comme la MINUSTAH, peut disposer de moyens de communication propres, des stations de radio pour diffuser des informations qui concernent les activités de la mission.

La liberté de communication est garantie dans le respect des lois haïtiennes régissant la matière. La liberté d’aller et de venir est garantie.

Les véhicules de la MMAS ne sont pas assujettis à la réglementation haïtienne en matière d’immatriculation et de certification comme ce fut le cas pour les véhicules de la MINUSTAH.

Néanmoins, ils doivent détenir une couverture d’assurance.

Certains éléments substantiels diffèrent les deux missions.

La MINUSTAH a été initialement établie pour une durée de six mois, tandis que la MMAS l’a été pour une durée initiale d’un an.

La MINUSTAH comprenait une composante civile et une composante militaire, tandis que la MMAS est composée d’unités de police.

En cas de différend ou de réclamation pour des dommages imputables à la mission, l’accord relatif à la MINUSTAH prévoyait une procédure plus détaillée, souligne Ricardo Augustin.

Pour l’auteur de l’ouvrage intitulé « Voter autrement en Haïti », les mécanismes de règlement des différends sont plus élaborés dans l’accord signé avec la MINUSTAH que dans celui conclu avec la MMAS.

Avec la MINUSTAH, une commission permanente des réclamations avait été créée par l’accord.

Cette commission était chargée de statuer sur tout différend ou toute réclamation relevant du droit privé.

Elle intervenait dans les cas qui ne se rapportaient pas aux dommages imputables aux impératifs opérationnels de la MINUSTAH.

La MINUSTAH ou l’un de ses membres était partie dans ces différends, pour lesquels les tribunaux d’Haïti n’avaient pas de compétence.

L’accord signé entre la MINUSTAH et le gouvernement haïtien prévoyait même qu’un différend portant sur l’interprétation ou l’application de l’accord pourrait être soumis à un tribunal arbitral composé de trois membres.

Selon Ricardo Augustin, cette disposition n’est pas retrouvée dans les mécanismes de règlement des différends de l’accord avec la MMAS.

Il est stipulé dans cet accord que « tout différend entre les Parties concernant l’interprétation ou l’application du présent accord est résolu uniquement par voie de consultation entre les Parties ».

Cependant, dit Augustin, l’accord reste silencieux sur les actions à entreprendre si les Parties ne parviennent pas à trouver une solution par consultation.

D’autre part, il est indiqué que les immunités et privilèges accordés aux membres d’une mission des Nations unies sont essentiels pour leur permettre d’exercer leurs fonctions de manière optimale.

Cependant, cela n’exclut pas le droit de l’État hôte d’exercer un contrôle sur leur utilisation afin de prévenir des dommages irréparables.

Il est également prévu que le gouvernement mette en place des installations douanières pour faciliter la réception de matériels, d’équipements et de tout autre article destiné à la Mission.

Pour certains, la structure de la MMAS pose problème.

Le Bénin, initialement engagé à fournir 2 000 soldats, est désormais réticent à les envoyer en Haïti, invoquant son refus de placer ses militaires sous le commandement des policiers kényans.

Au début du mois de septembre, les autorités haïtiennes ainsi que des acteurs internationaux, notamment l’Équateur et les États-Unis, ont évoqué la possibilité de convertir cette mission en une opération de maintien de la paix sous l’égide des Nations Unies.

De passage en Haïti le 21 septembre avant de s’envoler pour la 79e session de l’assemblée générale de l’ONU, le président kenyan, William Ruto, s’était dit favorable à cette transformation.

Des éléments absents de l’accord de juin 2024 préoccupent Ricardo Augustin.

Selon lui, l’accord conclu avec la MMAS ne prévoit aucune protection pour l’État haïtien en cas de graves dommages à la population civile causés par les actions des membres de la Mission.

Pour le professeur d’université, l’expérience de l’épidémie du choléra introduite par la MINUSTAH ne semble pas avoir servi à prévenir de telles situations. Plus de 10000 haïtiens en sont morts.

Victime cholera

Victime choléra certificat médical.| © Fenel Pélissier

Étant donné qu’une commission d’enquête est prévue pour examiner les cas d’infractions pénales commises par les membres de la MMAS, Ricardo Augustin croit qu’il est de la responsabilité du gouvernement haïtien de participer activement à toute enquête.

« La participation de la société civile à toutes les étapes de l’enquête est primordiale », soutient-il.

« Il est impératif pour la partie haïtienne de pouvoir produire une documentation solide avec des preuves irréfutables pour toutes les juridictions de justice », recommande Augustin.

Pour James Boyard, auteur du livre le Procès de l’Insécurité : Problèmes, Méthodes et Stratégies, les deux accords se rejoignent en ce qui concerne le traitement accordé aux cas de violations des droits humains.

Par ailleurs, le spécialiste alerte sur leur abstraction faite des droits humanitaires.

Ces principes s’appliquent spécifiquement en période de guerre ou de conflit armé, pour protéger ceux qui ne participent pas aux hostilités.

Ils visent, entre autres, l’interdiction de cibler délibérément les non-combattants, les soins aux blessés et malades et le respect des biens culturels.

« Je ne comprends pas pourquoi la question des violations des droits humanitaires n’a pas été prise en compte dans cet accord, alors que cette possibilité existe à chaque fois qu’il y a un conflit armé », déclare Boyard a AyiboPost.

Ce n’est pas nouveau. « En 2004 également, cette question n’avait pas été prise en compte, car les forces de maintien de la paix n’étaient pas destinées à agir de manière répressive dans un contexte de conflit armé », analyse le spécialiste à AyiboPost.

Dans le cadre d’un conflit armé, ces forces interviennent généralement comme des forces d’interpositions.

Pour Boyard, le contexte actuel est différent et nécessite donc une approche différente.

« Aujourd’hui, nous ne sommes pas dans le schéma d’interposition mais de lutte contre les bandits de manière répressive », nuance Boyard.

Lorsqu’il y a violation des droits humanitaires, non seulement le tribunal du pays d’origine de l’auteur de l’infraction est compétent pour juger l’affaire, mais également tout tribunal d’autres pays ayant ratifié la convention.

En 2016, l’ancien Secrétaire général des Nations Unies, Ban Ki-moon, avait reconnu l’implication de l’ONU dans la propagation de l’épidémie de choléra, introduite six ans plus tôt en Haïti et responsable de plus de 820 000 infections.

La mission a été accusée d’avoir commis des dizaines de cas de violations de droits humains en Haïti.

Dans une interview accordée à AyiboPost, Mario Joseph, avocat du Bureau des Avocats Internationaux (BAI), n’exclut pas la possibilité de nouvelles violations des droits humains, et craint que les faits similaires à ceux de 2004 restent impunis.

Me Mario Joseph

Me Mario Joseph dans son Cabinet : 12 Juillet 2024 | © Fenel Pélissier

L’article 55 de l’accord de siège du 9 juillet 2004 prévoit une commission permanente des réclamations créée à cet effet pour statuer sur tout différend ou toute réclamation relevant du droit privé, cependant cette commission n’a jamais été mise sur pied, souligne Me Mario Joseph.

Malgré la mise en place de cette procédure, ajoute-t-il, il a été difficile d’obtenir réparation pour les victimes du choléra ainsi que pour les mères des enfants abandonnés par les casques bleus de l’ONU.

Par Fenel Pélissier

Image de couverture :  Soldats MMAS (à gauche) Soldats de la MINUSTAH ( à droite ) Collage : AyiboPost | © Guerinault Louis/Anadolu via Getty ImagesCouncil on Hemispheric Affairs

 AyiboPost s’engage à diffuser des informations précises. Si vous repérez une faute ou une erreur quelconque, merci de nous en informer à l’adresse suivante : hey@ayibopost.com


Gardez contact avec AyiboPost via :

► Notre canal Telegram : cliquez ici

► Notre Channel WhatsApp : cliquez ici

► Notre Communauté WhatsApp : cliquez ici

Fenel Pélissier est avocat au Barreau de Petit-Goâve, professeur de langues vivantes et passionné de littérature.

    Comments