Un dimanche matin ensoleillé, paisible, Tandis que certains reviennent du culte religieux, ou font la grasse matinée, d’autres préparent le diner dominical. Dans les parages, le bruit des casseroles qui s’entrechoquent, le sifflement pétillant de l’huile chaude quand les morceaux de poulet sont glissés dedans, constituent le gros du vacarme habituel à cette heure. Moi, je pouvais confirmer par son insistance à fouiner dans mes narines que ce repas serait un régal. Au menu ce midi, gratin de pommes de terre, riz au djondjon, poulet en sauce, salade russe, jus de citron… Chez nous, aussi difficile qu’il puisse être de joindre les deux bouts, il est impératif de manger à satiété, de manger gras le premier jour de la semaine.
A la télé, il y avait plusieurs reprises d’émissions, d’autant plus qu’aujourd’hui il n’y avait aucun match qui suscitait l’intérêt du public haïtien. Soudain, j’entendis un bourdonnement lointain qui enflait et s’approchait; j’aurais du mal à préciser quand a vraiment débuté la querelle, j’étais trop occupée à zapper avec la télécommande. Les scènes de ménage s’en vont et s’en viennent ; là où il y a l’humain, il y a toujours des frictions… Je n’entendais pas souvent la voix du monsieur, Mathis, le voisin de l’étage d’en bas. Il était toujours gentil, aimable… Le genre de personne qui a toujours un sourire à offrir. Sa conjointe, Irdèle, était décidément son opposée, une femme dénuée de gentillesse. On dit que les contraires s’attirent – c’est peut-être vrai- parce que j’avais du mal à reconnaitre à ce couple des similitudes. Mais bon, qui suis-je pour décider de leur compatibilité quand ils avaient choisi de vivre ensemble, moi qui avais déjà du mal à trouver chaussure à mon pied ayant endossé mon statut Sainte-Catherine?
Je pensais que ça allait vite finir. L’autre partie ne ripostait pas, et je m’apprêtais à remonter le volume de la télé, vu que rien de trop croustillant ne se passait. C’est à ce moment que j’ai entendu des bruit de coups assenés meurtrissant la chair humaine ; ces coups étaient martelés à un rythme trépident semblable au tam-tam folklorique que nous offriraient des tambourineurs en extase. Oh non, pas mon cher gentil voisin qui bat sa femme, oh non! Les hommes sont tous les mêmes, me suis-je dit. Sa gentillesse n’était alors qu’un écran pour dissimuler son côté violent !
« Montre m ou se yon gason, m ap fè w bat mwen jodi a ! »
J’étais d’autant plus surprise quand je réalisai que les actes de violence étaient perpétrés par sa compagne. J’allais m’accouder au balcon pour suivre de plus près. Je n’étais pas la seule intéressée au déroulement des faits. Les riverains restaient figés, comme en première loge, en face de notre barrière pour ne rater aucun brin de la querelle, même quand leur regard pouvait à peine surpasser le mur de notre cour.
Après un moment, mes parents ont cru bon descendre pour calmer la querelle. Ils leur ont fait la lecture usuelle que le prêtre faisait aux futurs mariés. Cultivez la tolérance, la patience,… vous savez le charabia habituel qui s’épuise dans les actes après être devenu un discours irréel pour la vie de couple…
La femme n’est pas restée longtemps à discuter avec eux. Elle a laissé mes parents avec l’époux qui leur a promis que tout allait rentrer dans l’ordre. Je l’ai vu les raccompagner au bas de l’escalier avec le même sourire essayant de reproduire le sourire qui illuminait son visage habituellement, sauf que cette fois le gêne avait pali ses traits. Une tristesse profonde se lisait en lui en dépit de ses efforts pour ne pas la laisser apparaitre. A son retour, j’ai demandé à ma mère ce qui n’allait pas, elle m’a expliqué que les causes ne l’intéressaient pas, elle voulait juste que le conflit cesse.
Mathis est sorti dans sa voiture peu de temps après, évitant de croiser du regard son entourage. Plus tard, de mes toilettes étant, j’ai entendu sa femme parler avec une amie au téléphone. Elle lui rapportait les faits de ce matin. Au son de sa voix, j’ai compris qu’elle était fière de son attitude. Je n’entendais pas ce que disait son interlocutrice, mais ses réponses par la suite me laissèrent l’impression que l’autre personne au bout de la ligne ne la soutenait pas trop dans ses envolées sonores et publiques.
Ma voisine n’avait jamais eu une place de choix dans mon cœur, mais je la respectais. Elle me déplaisait carrément maintenant. Comment oser frapper son homme pour quelque raison que ce soit? Comment peut-elle l’inciter à la violence? Pis, comment ose-t-elle estimer la virilité d’un homme ou sa fragilité avec la violence?
Nous avons mangé en famille comme à l’accoutumée. A la seule différence, l’incident de ce matin remplaçait les faits politiques de la semaine dans nos conversations à table. Mon voisin n’est pas revenu, je ne l’ai pas revu non plus de la journée. Je me suis questionnée pour trouver une explication à cette altercation. J’ai ressassé le scénario longtemps après pour trouver une explication plausible à la violence dont avait fait preuve sa femme. Une scène de jalousie, des propos blessants à mesure que l’histoire repassait en boucle dans ma tête, j’avais plus de mal à excuser son comportement.
La violence est inexcusable qu’importe la victime ou le bourreau ; lui trouver une raison c’est la valider!
Voyons les choses autrement, si c’était elle qui s’était fait violenter, ses parents seraient peut-être déjà là pour le faire payer à ce goujat? Il serait traité de bête, de sauvage… Elle sera juste vue comme une femme frustrée qui s’exprime mal, au pire une acariâtre, en somme, pas grand-chose à signaler.
La violence m’a toujours répugnée sur n’importe quelle forme et j’ai toujours pensé qu’une femme devrait porter plainte contre son agresseur. J’ai souvent conseillé à mes amies en couple que, sitôt les propos obscènes, la manipulation, pour ne citer que ces signes avant-coureurs de relation abusive, se pointaient, elles n’auraient d’autre choix que la laisser pour éviter le pire… Dernièrement, j’ai un ami dont la copine éprise de colère lui a frappé un livre au visage. Il est pourtant resté calme et n’a pas répondu à l’appel à la violence. Dans la même période, une proche a reçu des coups de son conjoint, elle s’est défendue. J’étais fière d’elle parce qu’elle ne s’était pas laissée faire. Par contre, si mon ami avait riposté, comment l’aurais-je pris? Comment l’aurais-je jugé? N’aurait-il pas le droit de se défendre aussi?
Si je suis contre le double standard au quotidien, pourquoi devrais-je tolérer, minimiser, voire ignorer la violence dépendamment du sexe oppressé? Il n’y a pas longtemps une connaissance m’en a parlé, je n’ai pas banalisé l’idée, mais j’avoue l’avoir sous-estimée. Je pensais que ces cas n’existaient pas ou étaient très rares ; il serait difficile de les comptabiliser vu que les victimes (hommes) ne les rapportent pas. Entre autres, pourquoi un homme se plaindrait-il d’être abusé par sa compagne? Il est un homme, il doit pouvoir encaisser, sinon c’est une « femmelette », terme considéré dans l’échelle des mauvaises qualifications d’un homme pire qu’un abuseur.
Malheureusement, tout comme certains hommes, certaines femmes sont violentes pour x raison que ce soit, elles ont approuvé la violence comme une valeur sentimentale et virile dans leur couple. Elles agressent verbalement et physiquement leur partenaire, puis, un jour ce dernier se révolte et elles font face au monstre qu’elles ont créé…
C’est dur d’être avec des gens brisés, de les aimer, d’espérer mieux et de continuer à rêver à un lendemain meilleur, c’est de loin pire de rester et de penser pouvoir changer cette personne. Parfois, on finit par adopter ses traits les plus détestables et à les trainer dans nos futures relations et les dégâts n’en finissent pas. Par les temps qui courent, avant d’entamer une relation amoureuse, tout couple devrait effectuer une évaluation psychologique au même titre que des tests pour les maladies sexuellement transmissibles.
En Haïti, je conçois difficilement un homme porter plainte pour abus sur sa personne contre sa compagne ou même en parler à sa famille. Cet acte est sociologiquement et culturellement impossible, il serait plus évident comme solution qu’il réponde par la violence.
Qu’en serait-il si mon voisin avait frappé sa conjointe, si d’un coup ou de plusieurs, il l’avait blessée, paralysée, tuée… ?
Qu’en est-il au fait?
Dans les relations hétérosexuelles, quand nous pensons au mot « fort », il est directement lié à l’homme, et « faible » à la femme.
Détour dans le passé
Quand l’humain a commencé à se sédentariser pour s’organiser, certaines tâches étaient confiées à chaque genre par rapport à la force motrice qu’il pouvait déployer. L’homme partait à la chasse ou en guerre, pour nourrir et protéger sa famille, la femme, elle, restait à la maison pour s’occuper des enfants, des champs et des travaux ménagers. En effet, ne pouvant pas dégager dans la plupart des cas autant de force physique qu’un homme, la femme était vue comme un être fragile et limité.
Revenons dans le monde moderne
Les temps ont changé, les capacités intellectuelles priment au-dessus des capacités physiques. Cependant, la société attend d’un homme qu’il soit toujours le leader, le plus fort et se maitrise en toutes circonstances. Pourtant des discussions, des mouvements sur l’équité des genres démontrent qu’une femme devrait avoir les mêmes droits et responsabilités qu’un homme. De plus, un homme n’a pas moins de sentiments qu’une femme, il n’est pas moins un être humain.
Dans les relations humaines, ce sont généralement les plus faibles qui déclenchent les hostilités.
Le respect mutuel est la base de toute relation. « Ce que tu ne souhaites pas pour toi, ne l’étends pas aux autres, disait Confucius. La violence n’a pas deux poids, deux mesures, indépendamment du genre, l’oppressé a besoin de support et l’oppresseur mérite un châtiment.
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