SOCIÉTÉ

Les fâcheuses conséquences de la rareté artificielle des visas dominicains

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Des milliers de personnes font la queue et se bousculent pour maximiser leur chance d’avoir un visa

À chaque fin de mois, le consulat dominicain à Pétion-Ville devient le théâtre d’une scène incomparable. Des centaines de citoyens haïtiens s’entassent pêle-mêle devant les locaux du consulat, dans l’espoir de recevoir un coupon qui leur donne droit à un rendez-vous avec un consul. De là, ils peuvent obtenir un visa, autorisation d’entrer légalement sur le territoire voisin.

La rue Rigaud qui accueille ce raz de marée était bondée de gens ce 28 janvier 2021. « Le casse-tête des demandeurs de visas dominicains en Haïti commence dès le 27 de chaque mois », confie Peterson Charles, un démarcheur qui se tient devant le consulat. Il offre ses services, en dehors du circuit officiel, aux personnes qui veulent ce fameux coupon.

Les consulats dominicains en Haïti émettent les visas au début ou à la fin du mois.

Généralement, les consulats dominicains en Haïti émettent les visas au début ou à la fin du mois. C’est pourquoi nombre de gens se réunissent avant ces périodes devant le bâtiment du consulat, qui est la seule représentation dominicaine en Haïti autorisée à livrer les coupons aux particuliers.

Au cours de la première semaine du mois de février, le nombre de visas à délivrer a été épuisé en seulement deux jours.

Création de la rareté

La République Dominicaine dispose de cinq représentations en Haïti. Elles sont placées à Pétion-Ville, à Ouanaminthe, au Cap-Haïtien, à Anse-à-Pitres et à Belladère. L’ensemble de ces consulats délivrent entre huit et dix mille visas le mois, selon Edwin Paraison, ancien ambassadeur d’Haïti en République dominicaine.

Le consulat dominicain à Pétion-Ville ne délivre que 500 coupons le mois. Les autres représentations dominicaines en Haïti ne distribuent pas de coupons. « Elles ne desservent que les messagers des agences de voyages ou des démarcheurs reconnus. Le grand public n’est donc pas admis à se présenter à leur bureau », dit Peterson Charles, qui explique avoir une personne proche dans chacune des représentations dominicaines en Haïti.

Les employés haïtiens sont les seuls à être présents au consulat, en dehors des périodes de livraison. « Il n’y a aucune activité au consulat. Seuls les documents à légaliser pour étudier en République dominicaine peuvent être déposés. Ils sont envoyés par avion ou légalisés sur place par le consul dominicain lorsqu’il est en Haïti », explique un policier qui assure la garde du consulat.

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Le coupon rend éligible pour le visa. Mais la faible quantité délivrée ne peut guère satisfaire la demande qui connaît depuis plusieurs années une croissance soutenue. « À peine 500 postulants environ trouvent un coupon. Les autres personnes de la foule sont obligées de partir, en espérant avoir leur chance durant le prochain mois. Parfois, nombre d’entre eux passent la nuit devant le consulat », poursuit Peterson Charles.

Le consulat dominicain à Pétion-Ville ne délivre que 500 coupons le mois.

Les informations rapportées par le démarcheur ont été confirmées par une agence de voyages à Pétion-Ville. « L’ambassade délivre tantôt 500 coupons, tantôt 1000. Le consul et son équipe délivrent parfois les visas en deux jours puis repartent vers leur pays natal, dit Nathalie Séraphin – nom d’emprunt, réceptionniste dans une agence de voyages. Les gens qui n’ont pas été servis ont le choix d’attendre le mois suivant pour retirer leur coupon, ou faire une réservation très tôt dans une agence de voyages. »

Document onéreux 

Au consulat dominicain à Pétion-Ville, le prix du visa est de 225 dollars US. Les demandeurs n’ont qu’à se présenter avec leur passeport valide, deux photos d’identité et l’argent pour l’obtention du visa.

En l’absence du consul, nul visa ne peut être livré, dit Séraphin. « Il doit à la fois apposer sa signature et le sceau du consulat sur l’ensemble des visas à émettre pendant le mois. »

Autrefois, le processus n’était pas aussi difficile et compliqué. « Pour éviter de se faire bousculer dans la foule, il faut à présent payer 20 dollars US à un démarcheur pour avoir un coupon », dit Martine Pierre, une quadragénaire. Elle était dirigée par des démarcheurs vers une agence de voyages où le prix du visa est fixé à 280 dollars US.

En l’absence du consul, nul visa ne peut être livré.

Pour échapper à ces difficultés, des gens qui vivent à Port-au-Prince préfèrent confier leur passeport à une agence de voyages ou à un démarcheur situé dans une ville de province.

Jordan Joseph avait utilisé ce processus en 2017. « J’avais obtenu mon visa par le biais d’une agence de voyages à Jacmel. La demande était moins forte dans ces villes qu’à Port-au-Prince. » Jordan gagne sa vie à présent en terre voisine. Il renouvelle son visa via ce même processus à chaque rentrée en Haïti.

Demandes à la hausse

Plusieurs facteurs expliquent la forte demande de visas dominicains, selon Edwin Paraison. Le coordonnateur de la Fondación Zile cite l’augmentation des flux migratoires haïtiens, le renforcement des échanges binationaux et les voyages de santé y compris pour la chirurgie.

L’ancien ministre des Haïtiens vivants à l’étranger ajoute la multiplicité de connexions internationales en République Dominicaine, qui a d’ailleurs plus d’aéroports qu’Haïti.

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Fort souvent, les Haïtiens se servent du visa pour transiter en République dominicaine. Ce, en raison de l’absence de certains vols en Haïti vers d’autres pays ou pour profiter d’un tarif plus bas pour le billet d’avion.

C’est le cas pour les voyageurs haïtiens vers le Chili ou d’autres pays de l’Amérique du Sud. « Cette alternative leur évite de transiter par le Panama qui demande un visa d’entrée avec des conditions un peu plus exigeantes », fait savoir Paraison.

Il affirme avoir attiré l’attention des autorités dominicaines via sa fondation, pour faire une évaluation de la situation par rapport au quota mensuel.

Un retour massif

Certains compatriotes font état de difficultés à renouveler leur permis de séjour obtenu grâce au Plan national de Régularisation (PNRE). Selon Edwine Paraison, cette situation demande une attention spéciale de la part des autorités haïtiennes.

Pendant l’année 2020, un nombre imposant d’Haïtiens a volontairement décidé de retourner dans le pays. Ils étaient estimés à 21 000 par l’Office national de la migration (ONM) en mai 2020. Leur retour est dû à la pandémie du coronavirus qui frappait de plein fouet le territoire voisin. Malgré ce retour massif, la présence haïtienne ne cesse de croître de l’autre côté de l’île.

 « La République Dominicaine est une destination importante pour divers secteurs sociaux en Haïti. On y célèbre même des mariages. Dans d’autres cas, des Haïtiens de la classe moyenne qui n’arrivent pas à obtenir un visa américain viennent faire du shopping dans les “mall” dominicains », explique Edwin Paraison qui, lui aussi, vit en République Dominicaine.

L’immigration a toujours été un thème de haute portée politique pour les dirigeants dominicains. « La nouvelle administration essaie de prendre certaines actions pour démontrer sa volonté de freiner l’immigration irrégulière. Il y a de ce fait plus de contrôle et les rapatriements augmentent », souligne Paraison.

Emmanuel Moïse Yves

Journaliste à AyiboPost. Communicateur social. Je suis un passionnné de l'histoire, plus particulièrement celle d'Haïti. Ma plume reste à votre disposition puisque je pratique le journalisme pour le rendre utile à la communauté.

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