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Les «Duvalier » dans l’histoire d’Haïti : répression de la presse critique

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Depuis le lendemain de l’Indépendance haïtienne en 1804, les velléités dictatoriales – civiles ou militaires combinées, n’ont de cesse annoncé l’établissement d’une dictature qui allait se concrétiser avec les Duvalier. Dans cette série de textes, nous vous proposons de faire appel à l’histoire pour comprendre ce qu’il en fut. C’est un point de vue humaniste.

Hitler, Mussolini, Staline, Branco, Plot, Montt… des noms de despotes qui ne laissent aucun lecteur avisé de froid. Les noms de dictateurs – et la liste est longue, des plus sanguinaires aux plus démagogiques ne sombrent pas dans l’oubli non pas parce qu’ils seraient extraordinairement progressistes et humanistes sinon par devoir de mémoire et l’espoir de ne plus revivre leurs temps. Haïti n’est pas exempte des territoires ayant connu ses pires heures funestes de mode de gouvernance.

Lorsqu’on nous rebat les oreilles avec « au temps de Duvalier, c’était mieux », il faut se demander non pas ce que la dictature a construit, a laissé de bon, mais « comment » a-t-il construit ou laissé quoi que ce soit. Que représentait la « vie » humaine du plus petit au plus grand ? Que valaient les libertés dont vous disposez maintenant ?

Ce mode de raisonnement reste le même pour les « 25 stades construits » sous la présidence de Michel Martelly. Comment défendre le coût  annoncé ? Comment le décaissement pour leur construction a-t-il eu lieu ? C’est ce « comment » qui doit nous guider dans notre réflexion sur la période des Duvalier autant pour les régimes démocratiques.

Refuser d’accepter le régime duvaliériste ne veut pas dire encenser les prétendus démocrates qui se sont succédé. Passer d’une violence et d’une corruption visibles sous Duvalier à d’autres formes plutôt sous-jacentes dans les mécanismes de fonctionnement de l’après-Duvalier n’accorde pas la supériorité d’un régime à un autre, car le second est le prolongement du premier, donc – inséparable dans l’explication de leur rejet. L’échec de ceux qui ont assuré l’après-Duvalier n’explique aucunement la réussite du régime duvaliériste. Ils ne sont pas comparables dans leurs mobiles ni dans leur forme d’expression.

Pour les jeunes Haïtiens, surtout ceux qui sont nés un peu avant et après 1986, citoyens ayant le droit de voter ou futurs citoyens, n’ayant pas connu la dictature des Duvalier, il est important de se rappeler des faits et surtout ce que le nom « Duvalier » veut dire dans l’histoire d’Haïti. Des nostalgiques, ayant bénéficié sous différentes formes de cette dictature, fussent-ils grands propriétaires et entrepreneurs, ministres, fils de ministres, tontons macoutes, militaires sans scrupules, intellectuels de haut calibre, chefs de section de campagne ou ceux pas assez imprégnés de la vision d’une Haïti – une et indivisible, prospère et respectueuse du droit des autres – diront le contraire sans ambages. Ne leur en déplaise, les faits étant ce qu’ils sont, l’on ne peut les passer sous silence.

Nous nous adressons donc aux jeunes, soit plus de 3,9 millions (15 à 34 ans) selon les estimations (Jean-Herman Guay, Pyramide des âges, Haïti, 2015 http://bit.ly/2O5Pkhj). Malheureusement, beaucoup n’ont pas accès à Internet et ne pourront réagir à ce texte, mais espérons qu’ils en entendront parler par les plus de 35 ans mieux imbus et plus conscients de ce que fut la période des Duvalier. L’histoire n’a certes pas encore révélé toute l’ampleur des injustices, de la corruption, de la pauvreté qui a sévi sur le règne des Duvalier, père et fils. Néanmoins, certains historiens et des chercheurs en sciences humaines et sociales ont présenté des faits qui ne datent pas d’un siècle. L’on peut encore s’y référer, faire appel à des témoins vivants.

Il n’y a pas de bonnes dictatures

La confusion des sentiments chez les plus jeunes par rapport à Duvalier, ou les non scolarisés même à un âge avancé résulte de l’absence de symboles, de monuments à défaut d’une bonne éducation pour rappeler ce que veut dire « vivre en période de dictature ». De même, la formation sociale haïtienne dans son ensemble se retrouve en grande partie sans grand symbolisme du quotidien de nos aïeux pendant la colonisation (1503-1803), de l’indifférence américaine pour le leadership gouvernemental lors de l’Occupation américaine d’Haïti, des missions internationales venues « stabiliser » la pauvre Haïti. Cependant, les soixante dernières années (1957-2017) incluant les années de la dictature ne sont pas si lointaines. Il existe des documents et des témoignages sur la période.

Des journalistes haïtiens et étrangers ont produit des reportages pendant et après le règne duvaliériste. La Commission interaméricaine des droits de l’homme a produit des rapports peu flatteurs et très inquiétants sur la liberté de la presse sous Duvalier (lire un des rapports en anglais ici ). Des sénateurs et députés américains ont exprimé leur inquiétude ou critiqué l’indifférence des pays amis d’Haïti, comme le sénateur J. W. Fulbright en mai 1963  ou encore Andrew Young, le représentant des États-Unis auprès des Nations Unies en 1979 malgré l’appui des États-Unis à la dictature sanguinaire. Il a fallu attendre en novembre 1985, l’assassinat des écoliers Jean-Robert Cius, Mackenson Michel et Daniel Israël aux Gonaïves pour que le Congrès américain condamne le gouvernement de Jean-Claude : cent vingt membres du Congrès américain avaient signé une note de protestation « et le gouvernement a réduit de 26 millions de dollars le montant de son assistance économique » (1).

Qu’on les aime ou pas, qu’on a été leurs sbires, qu’on ait travaillé dans leurs cabinets, qu’on les traite de tel ou qu’on se cache derrière le noirisme pour promouvoir leur « compréhension » de la société haïtienne, qu’on se dise en toute ignorance que tout allait mieux sous Duvalier, il n’en demeure pas moins vrai : le nom « Duvalier » rappelle des souvenirs blessants et n’augure pas le progrès national qu’on veut nous faire croire. Des faits ont été investigués, des témoins vivants en parlent et des chercheurs ont produit des analyses et mis en lumière certains évènements. Il ne faut pas avoir peur d’en parler et de dire les choses pour ce qu’elles sont.

Dans l’histoire d’Haïti, les « Duvalier » ont porté atteinte à la liberté d’expression d’une manière répressive, représenté l’incarnation de la corruption, de l’injustice, et des populistes faux-semblant sous couvert de la défense noiriste. Il revient aux citoyens avisés de le faire comprendre aux compatriotes pour ne pas pérenniser cette histoire circulaire haïtienne dans laquelle le peuple est toujours le grand perdant, car « la paix sociale » dont parlent souvent les duvaliéristes en période de la terreur n’est pas une paix.

Atteinte à la liberté d’expression

Il faut comprendre d’emblée que pour se maintenir au pouvoir après la fameuse élection de 1956-1957, François Duvalier et ses zélateurs allaient restructurer les rouages du système politique et militaire haïtien dès 1958. Non seulement pour se différencier des pouvoirs politiques antérieurs, mais aussi assurer la pérennité du duvaliérisme naissant non sans soulever des tensions sociales. C’est ainsi que très tôt, l’on va remarquer les stratagèmes de contrôle et d’annihilation de la liberté d’expression caractérisés par la répression, l’emprisonnement, la censure et la terreur (1). Personne ne peut remettre en question le musèlement d’une bonne partie de la presse critique, donc l’atteinte à la liberté d’expression et la liberté de la presse pendant la période duvaliériste dans l’histoire d’Haïti.

Dès la montée au pouvoir de François Duvalier, de nombreuses publications telles que Haïti Miroir, Indépendance, La Phalange, Le Patriote allaient connaitre des moments difficiles avec leurs articles critiques sur le pouvoir (5). Des journalistes allaient être emprisonnés, graciés puis partiront en exil. La situation était d’une telle gravité qu’« en mai 1958, l’Association interaméricaine de presse envoie un télégramme au président de la République pour réclamer le rétablissement de la presse » écrit Etzer Charles dans « Le pouvoir politique en Haïti de 1957 à nos jours » (2).

Avec le fils, malgré la promesse de liberté de la presse de son gouvernement en 1971, le journaliste n’avait pas la vie facile. Certaines « vedettes » de la presse haïtienne ont été forcées de prendre la fuite pour éviter d’être tuées ou pour échapper à l’épée de Damoclès qui pendait sur leur tête à Port-au-Prince. Ils étaient à Le Petit Samedi Soir, le Nouveau-Monde, Radio Haïti Inter, Radio Métropole, Radio Lumière, Radio Nationale et Radio Soleil. Des noms comme Anthony Pascal (dit Konpè Filo), Liliane Pierre-Paul, Marvel Dandin, Michèle Montas, Pierre Clitandre, René Philoctète, Jean Claude Fignolé, Jean-Robert Hérard, Michel Soukar, Marc Garcia, Elsie Ethéart, Gasner Raymond (assassiné le 1er juin 1976), Jean Dominique (assassiné le 3 avril 2000), Sony Bastien (décédé le 2 juin 2008) (5). Comprenez-vous la peur viscérale des parents haïtiens quand leur progéniture leur dit qu’ils veulent devenir journalistes ? Cette peur, devenue culturelle par rapport au métier de journaliste, fait partie de l’héritage de la structure du pouvoir duvaliériste.

Une loi votée en 1979 sous Jean-Claude Duvalier « prévoyait 3 ans de prison pour un journaliste qui insulterait un membre du gouvernement ou des forces armées, y compris la police », le régime se réserve le droit de la définition de l’insulte. « Pratiquement, la presse ne pouvait rien écrire sur l’utilisation des fonds publics, sur la corruption, ou sur tout autre cas de délinquance attribuable à un fonctionnaire ou à un militaire » écrit Diederich (1). L’on se demande même si cette peur d’écrire sur la dilapidation systématique des fonds publics n’est pas un corollaire de l’ère duvaliérienne. Par peur ou manque d’accès à l’information dû à l’opacité de l’administration héritée des Duvalier et consorts, la presse tarde à mener des investigations dignes du nom pour porter la justice à redoubler d’efforts.

Si l’on parle de la liberté d’expression en dehors de l’exercice de la fonction de journaliste, dans la vraie vie, c’était pire : l’on ne pouvait pas critiquer un « chef » chez un nouveau voisin de peur que celui-ci ne soit un macoute, l’on ne pouvait pas manifester et exprimer son désaccord avec une décision, l’on ne pouvait pas posséder un livre rouge même s’il n’était pas Le Manifeste du Parti communiste de Karl Marx (plutôt anecdotique, mais c’est l’historien Michel Soukar qui l’a souligné lors d’une conférence à la Fondation connaissance et liberté).

En clair, si Internet existait sous Duvalier, il n’y aurait pas cet accès aux réseaux sociaux, le #PetroCaribeChallenge serait tué dans l’œuf, Ayibopost et bien d’autre média seraient fermé, on n’aurait pas pu faire circuler toutes ces vidéos accusant certains potentats, bref, l’on serait comme en Chine sur ce point-là. Certains diraient « mieux vaut avoir Tiananmen et un développement vertigineux », mais Haïti a eu plusieurs Tiananmen en son genre. Avions-nous eu un niveau de développement comparable à une province chinoise pour autant ?

Sous Duvalier, notre liberté de parole n’était pas garantie et l’on risquait la prison pour des critiques soutenues.

Yvens RUMBOLD

Sources consultées :

  • Bernard DIEDERICH, Le prix du sang. Tome II. Jean-Claude Duvalier : 1971-1986. L’Héritier. Port-au-Prince, Deschamps, 2011, p. 178.
  • Etzer CHARLES, Le pouvoir politique en Haïti de 1957 à nos jours, Paris, Khartala, 1994, p. 389.
  • Michel-Rolph TROUILLOT, Les racines historiques de l’État duvaliérien, Port-au-Prince, Henri Deschamps, 1986, p. 155.
  • Presse en Haïti, Passé et Présent, Revue Conjonction, numéro 225, Port-au-Prince, Institut français en Haïti, 2013,

Contributeur Ayibopost

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