SOCIÉTÉ

Les auto-écoles dans les rues menacent les piétons et certaines entreprises

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Les véhicules portant l’écriteau « auto-écoles » se retrouvent dans presque tous les recoins des places publiques de la zone métropolitaine. Les apprentis chauffeurs qui les conduisent représentent un danger pour les passants, mais aussi pour certains business

À côté de la place Boyer à Pétion-ville, Jackson Délice observe et questionne aléatoirement les passants : « Est-ce toi qui as appelé ? » En réalité, le jeune homme d’une trentaine d’années a rendez-vous avec un inconnu qui lui a parlé au téléphone de son intention d’apprendre à conduire une voiture.

Ici, 69 auto-écoles se bousculent pour former sur le tas, des conducteurs d’automobiles. Selon Jackson Délice, la formation peut coûter jusqu’à 15 000 gourdes : « Pour 15 jours de pratique, le coût est de 7 500 gourdes, pour 22 jours il passe à 10 000 gourdes et il faut 15 000 gourdes pour un mois », explique-t-il.

Le Champ de Mars aussi connait sa flotte de véhicules frappés de l’inscription auto-école. C’est là que travaille René Junel pour le compte d’une école de formation de chauffeurs dans la ville. Après une dizaine d’années dans ce métier, il discerne aisément au Champ de Mars, « ceux qui travaillent pour des écoles professionnelles, ceux qui personnellement offrent des tours de la place à des apprentis chauffeurs et aussi les particuliers qui sont venus apprendre à conduire à des proches ».

La colère des hommes d’affaires  

Au Champ de Mars, René Junel, n’a que rarement enregistré des interactions avec les autorités municipales, en 12 ans de carrière. « La mairie nous demande de laisser la place uniquement lors des occasions spéciales », souligne-t-il.

Les accrocs viennent généralement de la Police nationale d’Haïti. « Trop souvent, certains policiers nous rendent la vie dure en saisissant nos papiers sous prétexte que les auto-écoles ne sont pas autorisées à fonctionner dans l’aire du Champ de mars », dénonce René Junel.

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De son côté, le moniteur improvisé, Jackson Délice, n’a jamais croisé la route d’une quelconque autorité, malgré le fait que son activité met à risque les passants. Il se souvient toutefois de quelques rares interventions des responsables municipales les contraignant à vider les lieux. « On connait bien nos autorités, leur décision n’est que feu de paille, dit-il. Après quelques jours, nous revenons sur nos pas et tout est oublié ».

Pour le jeune moniteur de conduite, ces actions de la mairie sont souvent motivées par « des pressions de certains hommes d’affaires de [Pétion-Ville] qui n’acceptent pas que leurs clients souffrent des embouteillages créés par ces apprentis chauffeurs qui ont du mal à garder le moteur en marche pendant un tour ».

Les autorités inactives, mais préoccupées

La mairie reste néanmoins préoccupée. Il s’agit d’un « grand danger », lance le maire de Pétion-Ville Dominique Saint-Roc pour démontrer qu’il est conscient du problème que représente cette activité aux environs de la place Boyer. Saint-Roc confirme avoir reçu beaucoup de complaintes des commerçants qui se sont établis sur le parcours de ces apprentis chauffeurs.

Selon l’édile, « outre les embouteillages causés par cette activité, les propriétaires se plaignent souvent du fait que les véhicules des passants essuient des égratignures dues à la perte de contrôle de ces véhicules d’auto-écoles par leur conducteur ».

Pour l’instant, le maire de Pétion-Ville dit peiner à trouver un terrain qui sera consacré à cette activité. Toutes nos tentatives pour interviewer le maire de la capitale Ralph Youri Chevry sur le sujet ont échoué.

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Par ailleurs, les moniteurs questionnés minimisent le risque de cette pratique pour les passants. Ceux qui apprennent à conduire sur un terrain, en lieu et place d’une route réelle, ont des difficultés évidentes à prendre la rue, se justifient-ils.

Aussi, la seule garantie de sécurité pour les passants reste l’installation d’un système de freinage additionnel du côté passager pour permettre au moniteur de freiner en cas de danger. « Ainsi, on évite les collisions », avance Renée Junel, soulignant que les nombreux accidents dont il est témoin au Champ de Mars sont dus au fait que des particuliers viennent aussi pour former des proches en conduite automobile.

Qui sont les moniteurs ?

Les piétons heurtés, les collisions fréquentes et le ralentissement de la circulation ne sont pas les seules préoccupations posées par les auto-écoles opérant autour des places publiques et dans les rues. La grande majorité des moniteurs n’étant pas formés, il convient de se questionner sur les compétences qu’ils distribuent.

Jacson Délice par exemple est comptable de profession. Après avoir perdu son travail en 2012, il s’est converti en moniteur de conduite. Pour ce nouveau métier, il n’a suivi aucune formation spéciale. Il a tout bonnement suivi les traces de son père, lui aussi, moniteur improvisé.

La seule limite de Délice dans le métier est son impossibilité à aider ses apprentis à obtenir leur permis de conduire. Car, « pour obtenir légalement ce document de la direction de la circulation, on doit passer par une auto-école reconnue comme telle », indique-t-il. De ce fait, les apprentis chauffeurs font généralement appel aux services d’un racketteur. Certains obtiennent leur permis de conduire avant même le début des séances pratiques.

Autrefois, la PNH organisait des séminaires de formations à l’intention de ceux qui voulaient devenir moniteurs de conduite automobile, se souvient René Junel qui confie avoir suivi plusieurs de ces séances. Mais, depuis le tremblement de 2010, l’académie de police ne tient plus ces formations selon ses dires.

Poète dans l'âme, journaliste par amour et travailleur social par besoin, Samuel Celiné s'intéresse aux enquêtes journalistiques.

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