Jacques mérite d’être consulté. Mais le déni de son père et les croyances de ceux qui prennent soin de lui font éloigner tout espoir d’une prise en charge professionnelle
Des enquêteurs parleraient d’intention criminelle. « Pendant les cinq mois passés chez nous, Jacques a tenté de toutes nous assassiner », révèle Gladys Augustin encore sous le choc.
Avec des piles broyées, des morceaux de bouteille, plusieurs fibrilles de paille de fer et du sirop sucré ajouté dans la nourriture d’un de ses hôtes diabétique, l’enfant a cherché non seulement à tuer sa « marraine », Gladys, mais aussi la petite sœur de cette dernière et sa nièce qui partagent le même toit.
Le père de Jacques refuse de croire que son fils ait pu faire ce dont on l’accuse. Il a confié le petit âgé de seulement neuf ans à un membre de son assemblée chrétienne, Gladys Augustin, parce qu’il doit déménager. De son côté, Augustin pense que le petit Jacques est possédé par le « diable ».
Tout s’est passé la même semaine après qu’Anite — sœur de Gladys — ait fait savoir à l’enfant qu’il allait devoir réussir l’année scolaire. « Revenu de l’école le lundi après-midi, je lui ai dit que j’allais personnellement le faire étudier, affirme Anite Augustin. Parce qu’à la fin de l’année, il devait avoir sa moyenne pour que ses parents puissent l’inscrire à une autre école ».
Ce n’est pas la première fois qu’on lui demandait de se mettre au travail. Mais c’est bien la première fois qu’il l’a pris aussi mal. Ce, simplement parce qu’il déteste l’école et que son père l’aurait fait comprendre que s’il ne réussissait pas, il ne l’y enverrait plus.
Ces faits ne sont pourtant pas suffisants pour qu’un enfant se porte à pareil acte, analyse la psychiatre Gislène Adrien. « Un enfant qui a recours à la violence doit nécessairement avoir vu ou subi la violence dans son environnement. »
Un père violent
Des entrevues avec des proches du père de Jacques font émerger le portrait d’un homme violent.
« Une fois, le père de Jacques lui a transpercé la langue avec une aiguille parce qu’il avait menti. Raison pour laquelle Jacques dit toujours préférer sa mère à lui. Le père a, lors d’une dispute, arrosé sa maman de gazoline. Il a passé une allumette qui heureusement n’a pas pris feu. Lorsqu’il s’est calmé, il a parlé de pression qu’il donnait à son épouse », raconte Gladys Augustin.
Il reste difficile de diagnostiquer un patient à distance. Mais, ces scènes, ajoutées à des informations que l’on devra récupérer sur le milieu scolaire où l’enfant refuse de se rendre, le milieu familial, l’endroit où ses parents l’ont confié pour voir s’il est maltraité ou pas, sont nécessaires pour pouvoir expliquer la situation, soutient la spécialiste.
Jacques mérite donc d’être consulté, continue l’experte. Mais le déni de son père et les croyances de ceux qui prennent soin de lui font éloigner tout espoir d’une prise en charge professionnelle.
Le plan d’un pro
La cour où habite l’enfant compte trois demeures distinctes dans un quartier populaire de Port-au-Prince. Sarah, une autre enfant d’une dizaine d’années, habite le même espace. Elle joue souvent avec Jacques qui lui a fait part de son plan : il voulait tuer d’abord Sherlande, la nièce de Gladys, ensuite Anite et enfin celle qu’il appelle marraine. Lorsque Jacques décida de mettre son plan à exécution, Sarah a sans grand étonnement été la première avertie.
Tuer les trois femmes une par une. Téléphoner à son père pour leur dire qu’elles sont mortes. Et le rejoindre en emportant avec lui leur téléphone. Tel est le plan de Jacques révélé entre deux sourires à Sarah.
Un mardi après-midi, la petite fille surprend Jacques en train de broyer une vieille pile qui trainait dans la cour. Lorsqu’elle lui demande ce qu’il comptait en faire, Jacques lui répond sans hésiter que c’est pour mettre dans la nourriture de Scherlande. Pour pas que les résidus se voient, Jacques les a mis dans une petite bouteille, puis dilués dans de l’eau avant de mélanger le tout au repas de Scherlande.
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Sarah est allée informer sa grande sœur des intentions de Jacques. Cette dernière n’a pas pris l’information au sérieux.
Ne s’arrêtant pas là, Jacques a le lendemain brisé une bouteille dont les morceaux de verre ont été ajoutés dans l’assiette d’Anite qui a également eu droit à une grosse aiguille dans un de ses souliers. Des aiguilles de toutes les dimensions ne manquent pas dans la maison parce que la sœur de la marraine, Anite Augustin, est couturière. C’est ainsi que l’une d’entre elles sera retrouvée dans un soulier de couleur noire de la jeune femme.
« Si j’avais moi-même accidentellement marché sur l’aiguille, elle aurait été pliée et je me serais piquée avant même que le corps de l’engin ait eu le temps de transpercer le soulier, souligne Anite Augustin pour qui il est évident que l’aiguille a été forcée par quelqu’un ».
C’est d’ailleurs cet épisode qui leur permettra de découvrir ce qui se tramait. « Alors qu’on se tuait à comprendre comment tout ceci est arrivé, que ce soit les morceaux de verre dans mon assiette ou encore l’aiguille dans mon soulier, le fils du mari de ma sœur a fait venir sa femme (la grande sœur de Sarah) qui nous a parlé de ce que sa petite sœur lui a préalablement raconté ».
Aucun aveu
Après avoir appris ce qu’il en était, tous ont tenté de faire parler Jacques. Les questions ont plu de partout. Mais le garçonnet a tout nié en bloc. « Il bégayait, se contredisait à chaque instant, mais n’a pas une seule fois reconnu être coupable de ce dont on l’accuse », lâche Gladys Augustin qui, elle-même, a été visée le jeudi de la même semaine.
« Tout le monde, Jacques y compris, sait que je suis diabétique et que j’évite de consommer du sucre. Or, cet après-midi-là, mon repas était tout sucré, sauf qu’il ne s’agissait pas de sucre. Le rebord de l’assiette avait des gouttes d’un sirop que j’ai tout de suite identifié. C’était le même que celui que prend Jacques qui, atteint de hernie, est sous traitement. J’ai pris sa bouteille de sirop et j’ai confirmé mon soupçon ».
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« Si l’enfant ment tout le temps, il y a une raison à cela qu’il importe de chercher à savoir, précise la psychiatre Gislène Adrien. S’il est maltraité, mal nourri, rejeté ou harcelé, il ne pourra pas apprendre. Si on le dévalorise, il finira par assimiler le message qu’on lui envoie. Et justement, le langage qu’une personne responsable d’un enfant tient avec lui peut le conditionner à avoir un type de comportement ».
Aujourd’hui, Gladys Augustin veut garder Jacques encore quelques mois, le temps qu’il termine l’année scolaire. Des gens de la maison ne sont pas de cet avis.
« Tombée malade en mars dernier, ma nièce a des problèmes au niveau de son estomac, dit la dame. Un matin, alors qu’elle était couchée par terre, Jacques a marché sur son estomac et elle en a souffert. On s’est tous dit qu’il devait être endormi, on a donc cru à un accident. Mais, il a lui-même dit par la suite qu’il l’avait fait exprès. Et considérant le fait qu’elle ait été la première visée, Scherlande est parmi ceux qui sont contre l’idée qu’il reste encore avec nous ».
Toute prise en charge par un expert couterait les yeux de la tête aux responsables de Jacques. Entre les croyances bien établies sur les troubles psychologiques et mentaux, le déni et la précarité, il reste toutefois difficile de déterminer ce qui précisément les empêche de diriger le garçon vers un expert. Une combinaison de ces trois éléments n’est pas à évacuer.
Jacques est un nom d’emprunt utilisé pour protéger l’identité de l’enfant. La photo de couverture est extraite de Pixabay.
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