SOCIÉTÉ

Le service d’incendie de Port-au-Prince meurt à petit feu

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Placé sous la tutelle de la Police nationale d’Haïti, le quartier général du service d’incendie de Port-au-Prince patauge dans la crasse et le manque. Visite dans cette institution importante mais privée du nécessaire

Sous ce vieux bâtiment à l’architecture captivante mais bien délabré, entre des camions soutenus par des criques, des hommes et des femmes portant un uniforme bleu marine bavardent.

Ils sont en train de commenter une série télévisée que diffuse une chaîne de la capitale. Photo: Samuel Céliné / Ayibopost

Assis sur une échelle ou appuyés contre un camion aux châssis fusionnés avec le sol, ils commentent une série télévisée que diffuse une chaîne locale.  Un écran installé sur un vieux support en bois brut est bricolé pour les besoins de la cause.

C’est dans ce décor désolant que se trouvent les employés du quartier général du service d’incendie de Port-au-Prince, communément appelé, corps des sapeurs-pompiers. Ici, non loin du Palais national, ces sapeurs-pompiers, jour et nuit, jouent avec le feu en s’exposant sous ce bâtiment blanc et rouge, fragilisé depuis le tremblement de terre de 2010.

Pour preuve, derrière l’écran qui les aide à tuer le temps, le mur porte, en rouge, l’inscription « MTPTC 8 ». Tagué ainsi après le séisme de 2010, ceci signifie que le bâtiment représente un danger et devrait être démoli.

Espace de travail

C’est l’espace de travail des secrétaires et réceptionnistes de l’institution. Photo : Samuel Céliné / Ayibopost

À l’arrière-plan l’on aperçoit une vieille carcasse de bureau se portant si mal qu’on a recouru à une pierre pour la maintenir en équilibre. C’est l’espace de travail des secrétaires et réceptionnistes de l’institution.

À 2 heures de l’après-midi encore, le mardi 28 janvier 2020, les trois femmes qui d’habitude travaillent sur ce « bureau » ne pouvaient que blaguer entre elles en attendant l’arrivée du commissaire responsable.

Selon l’une des employées requérant l’anonymat, « le commissaire est obligé d’embarquer, ordinateurs, imprimante et autres dans son véhicule de service, faute d’espace ». Ainsi, les secrétaires ne peuvent travailler que lorsque le commissaire est présent. N’ayant pas un bureau, ce dernier reste cloîtré dans son véhicule de service la majeure partie de la journée.

Un manque généralisé 

Dans cet environnement fait de camions en panne, de murs fissurés et d’une forte odeur d’urine, les sapeurs-pompiers de Port-au-Prince vivotent dans le manque généralisé : pas d’électricité, pas d’eau (chez les pompiers), pas de toilettes ni d’urinoirs. « Pour tout besoin physiologique, nous devons nous rendre au commissariat de Port-au-Prince », regrette Gustave Joseph, un ancien militaire qui cumule déjà 25 ans au service d’incendie de Port-au-Prince. Et pour avoir de l’électricité, ils ont recours à la clandestinité : « une prise ».

Enfoui sous un amas de fatras, un escalier fissuré. Photo : Samuel Céliné / Ayibopost

Derrière le bâtiment, enfoui sous un amas de fatras, un escalier fissuré, tremblotant sous les pas, mène à l’étage. Là-haut se trouve le dortoir des sapeurs-pompiers : une espèce de grande salle munie de trois lits superposés, offrant des couchettes à au moins six personnes.

Dans un coin de la chambre, une caisse en fer forgé sert de cachette pour permettre aux occupants de pisser quand il est trop tard ou qu’ils sont trop fatigués pour se rendre au commissariat voisin.

Dans cette saleté et la précarité, non loin du palais présidentiel, environ 100 agents font la relève jour et nuit pour répondre aux urgences d’une capitale surpeuplée. Pour Gustave Joseph, la seule explication de sa présence dans un tel lieu est que « nous sommes des Haïtiens qui acceptent même l’inacceptable ».

Le dortoir des sapeurs-pompiers. Ayibopost / Frantz Cineus

Pourquoi sont-ils dans cet espace ?  

Aussi, les employés du service d’incendie font avec les moyens du bord. Ils ne se souviennent pas de la date exacte, mais ils gardent tous en mémoire, la visite de l’ancien président Joseph Michel Martelly qui leur a promis de reconstruire le local. Depuis lors, le dossier est clos.

Au lieu d’entamer les travaux, l’État haïtien avait préféré relocaliser ce service dans un préfabriqué au boulevard Harry Truman. Là, les agents pataugeaient dans la boue au Bicentenaire jusqu’au 28 août 2019, lorsque l’un des leurs, Frantz Jean s’est fait assassiner tout près de la base même par les bandits opérant dans la zone.

Lisez aussi: Feu de solidarité de la population pour éteindre l’incendie

Depuis cet acte, les sapeurs-pompiers ont abandonné la zone du Bicentenaire, préférant risquer leur vie sous le bâtiment vétuste que le MTPTC recommande de démolir plutôt que de se laisser tuer par les bandits armés qui contrôlent le Bicentenaire.

Sur ce point, le commissaire responsable du service d’incendie, Jean Yves Rocher n’a pas voulu s’exprimer dans la presse. Malgré la notification de sa secrétaire, le commissaire, coincé dans son véhicule de service a déclaré : « Je ne parle pas aux journalistes ».

Les matériels de travail

Devant le bâtiment, de loin, on peut bien constater la présence de cinq camions. Leur position laisse présager qu’ils sont prêts à démarrer en cas de besoin.

Seulement deux sur les cinq véhicules qui occupent le parking sont fonctionnels. Photo: Samuel Celine / Ayibopost

Sur place, déception : seulement deux des cinq véhicules qui occupent le parking sont fonctionnels. L’un d’entre eux a les pneus crevés depuis si longtemps qu’il a déjà le châssis au sol. Un autre, le seul capable d’intervenir en cas de problème dans un immeuble, est immobilisé. Au lieu de le réparer, « on utilise ses roues pour remplacer les pneus usés des deux camions qui sont encore fonctionnels », aux dires de Jacques Roland qui travaille depuis neuf ans au service d’incendie.

Les deux camions qui fonctionnent ne sont pas exempts de faiblesses. En exemple, le camion de couleur jaune ne peut contenir que 500 galons et l’autre, de couleur rouge, a une capacité de 1200 galons selon un agent. Rien ne garantit qu’au moment d’un appel de secours, ces camions contiendront réellement la quantité maximale puisque, étant troués, ils se vident au parking même du quartier général.

« Selon l’ampleur d’un incendie, avec ses 500 gallons, le camion jaune est souvent dépassé et est contraint de faire appel au rouge. C’est pourquoi les gens disent souvent que les pompiers viennent sur les lieux, constatent l’incendie et partent », révèle Jacques Roland.

Outre des camions de faible capacité, le service d’incendie fait face à un problème de disponibilité de l’eau. « Pour toute intervention, dans n’importe quelle zone, nous devons nous rendre à l’aéroport international Toussaint Louverture pour remplir les camions d’eau », dévoile Gustave Joseph. C’est la seule bouche d’incendie qui fonctionne encore à Port-au-Prince. Et quand cette structure ne répond pas, « les pompiers sont bien obligés de se rendre à Cazeau pour se faire réprimander pour les propriétaires des installations vendant de l’eau aux camions-citernes ».

Selon l’agent qui a requis l’anonymat afin d’éviter les représailles, ces propriétaires, leur reprochent souvent d’être les représentants d’un État qui les extorque de l’argent pour des services inexistants.

Solution alternative

Face aux performances brinquebalantes du service d’incendie, des mairies de la région métropolitaine de Port-au-Prince ont résolu de se doter de leur propre service de pompier. C’est le cas des communes de Carrefour et de Delmas. « Ces initiatives soulagent les sapeurs-pompiers du service d’incendie » selon Jacques Roland.

Poète dans l'âme, journaliste par amour et travailleur social par besoin, Samuel Celiné s'intéresse aux enquêtes journalistiques.

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