Sur les principales routes nationales, la circulation est entravée par des marchés publics qui parfois occupent des tronçons entiers. L’État est-il impuissant devant ce problème ?
Les usagers de la Route nationale numéro 2, menant au sud du pays connaissent ces points d’arrêt : Cinquième Avenue Bolosse, Truitier à Carrefour, Gressier, Dufort à Léogâne, Grand Goâve, Viallet à Petit Goâve, Cavaillon, etc. Au niveau des zones susmentionnées, s’établissent des marchés à ciel ouvert qui occupent carrément la voie publique.
Sur la Route nationale numéro 1 qui conduit au département du nord, la situation est la même. Il faut s’arrêter à Bon repos dans la commune de la Croix des Bouquets, à Cabaret, à Arcahaie, à Pont-Sondé, etc.
Les immenses embouteillages occasionnés par ces marchés constituent un calvaire incontournable pour celles et ceux qui empruntent la plupart de ces voies.
Le bonheur des marchands
À Gressier, Carmelle est parmi celles qui ont laissé le fond du marché pour s’installer sur le trottoir tout près de la Route nationale. Dans sa cuvette, sont exposés des produits cosmétiques blasés par le soleil que son parasol parvient à peine à limiter. Tant pis pour les produits ! Pour Carmelle, c’est une position stratégique qui garantit une bien meilleure vente.
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La foule de marchands ainsi regroupés le long des routes nationales provoque un embouteillage qui leur est profitable puisqu’il crée aussi une nouvelle clientèle. Pris dans les bouchons, les passagers en profitent souvent pour s’approvisionner dans ces marchés à portée de main. Avec la complicité ou la faiblesse des autorités communales et centrales, les marchands croient avoir trouvé une formule efficace.
Mais, les chauffeurs contraints d’égrener les minutes et les heures dans l’embouteillage provoqué par ce désordre n’en voient que les conséquences déplorables. La colonisation des routes par des marchés publics entraîne des embouteillages qui s’installent et règlent le quotidien des usagers de la route, au grand malheur de ceux qui vivent de la vitesse comme Jean Louis Cadet, chauffeur assurant le trajet Port-au-Prince/Jérémie.
Le malheur des usagers de la route
Selon le chauffeur, la présence des marchés publics sur la route nationale attire non seulement les petits détaillants, mais aussi des camionnettes qui, sans aucune structure préalable, improvisent des points de stationnement pour assurer le transport des acheteurs.
Certains camions, venus approvisionner le marché, ralentissent considérablement la circulation. À côté des pannes sur les routes, ces marchés publics sont les bêtes noires de Jean Louis Cadet qui y voit un désordre faisant poireauter chauffeurs et passagers.
Expérimenté de la route, Jean Louis Cadet croit que « cette situation n’est pas possible » et parie qu’on pourrait éviter ce gaspillage de temps et d’énergie sur les routes nationales si les autorités se montraient « plus responsables à l’égard de la vie des occupants de ces marchés publics, mais aussi de l’image du pays ».
Aveux d’impuissance des mairies
Contactée sur ce sujet, la mairesse de l’Arcahaie, Rose-Millat Petit-Frère admet un « [non-respect] des principes de la part des administrations communales » dans la gestion des marchés publics. Selon elle, « contrairement aux normes », les marchés publics en Haïti ne sont pas divisés en compartiments spécifiques dédiés à chaque produit.
« Tout bagay melanje », s’exclame Rose-Millat Petit-Frère qui opte pour une campagne de sensibilisation des marchands sur le risque qu’ils encourent en s’exposant sur les routes nationales, mais aussi des mesures coercitives pouvant être prises par les inspecteurs municipaux si ces derniers assumaient leurs responsabilités. Cependant, la mairesse croit que pareilles mesures ne sauraient porter du fruit sans un « État fort » apte à lutter contre la corruption des grands comme des petits.
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Elle relate son expérience : « Quand le maire ou la mairesse essaie de les déloger, il y a toujours un inspecteur là à faire les yeux doux aux marchands, en leur disant que le maire ou la mairesse ne passera pas demain. Pourvu qu’ils acceptent de verser des pots-de-vin à ces inspecteurs de marchés, ils croient pouvoir continuer à occuper les routes ». La mairesse dit connaître la portée et les conséquences de cette révélation devant ce problème « bien ancré », mais elle souligne que cette affaire est un vrai « spaghetti » de corruption impliquant parfois même des policiers qui refusent d’accompagner la mairie sous prétexte « qu’ils ne sont pas là pour gérer les marchés ».
Un sursis jusqu’à janvier
Le maire de la commune de Carrefour, également président de la Fédération nationale des Maires d’Haïti, Jude Édouard Pierre, contourne la base du problème et préfère parler de son aggravation à l’heure où des bandits font la loi au centre-ville de Port-au-Prince. Il estime que ce problème devient encore plus accablant dans les communes de Carrefour, Gressier, Pétion-ville, Tabarre et Croix-des-Bouquets à cause de la situation d’insécurité qui prévaut au centre-ville de Port-au-Prince.
Selon lui, l’insécurité a poussé les anciens occupants du Centre-Ville à trouver refuge dans ces autres communes pour continuer à mener leurs activités. De concert avec les autres mairies des communes affectées par ce déplacement, le président de la FENAMH dit avoir accordé un sursis aux occupants des rues jusqu’à janvier 2020 après les fêtes de fin d’année.
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