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Le peintre Armand Myrthil fait de « Tèt pwav » un langage artistique

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Terme péjoratif, « Tèt pwav » désigne dans l’imaginaire haïtien une personne aux cheveux crépus, à l’opposé des cheveux lisses ou  « cheve siwo », l’un des traits caractéristiques de l’idéal de beauté dominant. Armand Myrthil, redéfinit l’expression à travers ses toiles.

Dans notre imaginaire collectif, Tèt pwav/Tèt grenn renvoyait au corps de «l’Africain ». Disons mieux, à l’aspect physique de ceux et celles qui ont été arraché-e-s de leur terre, de leur famille, de leur communauté pour être mis en esclavage de l’autre côté de l’Atlantique. Toute cette charge idéologique et historique à connotation négative a été réappropriée par le peintre Armand Myrthil pour en faire un langage artistique.

Qui est Armand Myrthil ?

Né en Haïti, à Pont-Rouge, le 11 novembre 1975, benjamin d’une famille de 4 enfants, Armand Myrthil est un peintre haïtien qui vit à Brooklyn, dans l’État de New York. Il avait 24 ans quand il a laissé sa terre natale pour rejoindre son père qui vivait aux États-Unis d’Amérique. « On n’avait pas les moyens de lui parler au téléphone. Il enregistrait des cassettes de 120 minutes et nous les envoyait en Haïti pour qu’on puisse avoir de ses nouvelles. Trois de mes sœurs sont décédées. Il ne pouvait même pas participer aux différentes funérailles. On souffrait beaucoup de son absence » explique l’artiste Armand Myrthil qui est aujourd’hui père de deux garçons.

Pour sur-vivre son enfance marquée par des drames familiaux et des bouleversements politiques de toute sorte (dictature, coup d’État, assassinat), Armand s’est servi de la peinture comme échappatoire.

Un début difficile

Sous l’influence d’Allwich Moca, l’un des pionniers de l’art du graffiti en Haïti, Armand a commencé à peindre… Cependant, il ne jouissait d’aucune notoriété dans le paysage artistique. Ce n’est qu’après son installation aux États-Unis au début des années 2000 qu’il allait finalement s’imposer comme artiste engagé, reconnu pour sa démarche esthétique propre.

Armand débarque à Brooklyn, à mille lieues de sa femme qui vit en Haïti. Il doit affronter tout seul une société qui lui est hostile. « Quand je suis arrivé là-bas, j’ai dû faire face au racisme, à la discrimination. Je ne pouvais pas trouver d’emploi. Il y avait une communauté haïtienne qui était complètement repliée sur elle-même. On était marginalisés », raconte-t-il. Pour sortir de cette impasse, le peintre a dû d’abord assumer ce qu’il est, en tant qu’Haïtien tèt grenn, tèt pwav comme disaient ses amis d’enfance à la rue d’Ennery, au bas de la ville de Port-au-Prince. De cette dynamique naît un projet artistique.

Tèt pwav, Pwav-Art : double face d’une même médaille

Dans l’ensemble, les œuvres d’Armand Myrthil se regroupent sous le pseudonyme Pwav-Art en référence à Tèt Pwav. Ses tableaux ont comme matière première le bois, le carton, les peintures acryliques et celles à base de l’huile. Sa démarche artistique se veut un mélange du néo-expressionnisme de Jean-Michel Basquiat et du graffiti d’Allwich Moca. Elle s’inscrit dans une perspective identitaire. L’idée c’est d’assumer son origine haïtienne afin de surmonter les obstacles auxquels sa communauté est exposée dans le contexte sociopolitique nord-américain.

En février 2004, à Rhode Island, les portes s’ouvrent. À l’occasion de Black history of the month, Armand expose environ une dizaine de tableaux. Depuis, la collection PwavArt est née. « Ayiti pi fò chak jou, pi gran tout tan » telle est la devise de cette marque qui revendique une authenticité haïtienne dans sa manière d’habiter le monde occidental.

Au total, l’artiste Armand Myrthil a déjà organisé 6 expositions dont 3 à Maryland. Malgré ce succès, l’Ambassade d’Haïti à Washington – espace de valorisation de l’art haïtien – lui a refusé l’accès à son local pour une exposition.

Quoiqu’il évolue en dehors d’Haïti, le natif de Pont-Rouge a toujours un regard porté sur l’art haïtien en général. De son avis, les conditions difficiles dans lesquelles évoluent les créateurs, l’absence d’infrastructure de base pour pouvoir les accompagner sont entre autres les différents problèmes qui empêchent à la peinture haïtienne de briller davantage à l’échelle internationale.

À ce jour, Armand Myrthil n’a jamais pu présenter sa collection en Haïti. Une idée qu’il caresse depuis 2004, date qui coïncide à sa première exposition aux États-Unis d’Amérique.

Photo couverture: Astrid Riecken

Feguenson Hermogène est journaliste et cinéaste. Il a intégré l’équipe d’Ayibopost en décembre 2018. Avant il était journaliste à la radio communautaire 4VPL (Radyo Vwa pèp la, 98.9 FM) de Plaisance du Nord.

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