Le flot continu de nouveaux arrivants au Cap-Haïtien ne signifie pas nécessairement une relance des affaires dans le tourisme
Il est 11 heures du matin au marché touristique du Cap-Haïtien en ce jeudi du mois de juillet. Dans ce lieu aménagé pour la vente aux touristes, sur le boulevard de la rue 23, c’est le silence.
Dans la grande allée poussiéreuse, quelques kiosques alignés en file indienne débordent de tableaux, de vêtements et de bijoux.
Quelques artisans travaillent le bois.
D’autres, assis sur des chaises, scrutent les lieux d’un regard morne. Ils contemplent des jours sans clients ni bénéfices, dans un contexte paradoxal : le flot continu de nouveaux arrivants au Cap-Haïtien ne signifie pas nécessairement une relance des affaires dans le tourisme.
« Le marché n’existe que de nom, confie à AyiboPost Étienne Barnes, artiste peintre et membre du marché depuis 2000. Nous autres artisans venons ici parce que nous n’avons pas d’autres alternatives. Mais on ne vend quasiment rien », déclare Barnes.
Quelques rares visiteurs s’aventurent entre les petites maisons colorées. Mais ils sont surtout des élèves, cahiers en main, venus étudier, et quelques curieux qui jettent un œil rapide aux produits.

Intérieur du marché touristique du Cap-Haïtien, sur le Boulevard 23, où les kiosques sont fermés, avec un camion stationné sur la place, le dimanche 10 août 2025.
Cette situation s’inscrit dans un environnement marqué par l’insécurité. Des milliers de nouveaux venus arrivent au Nord, mais ils sont pour la plupart des rescapés de la violence dans la zone métropolitaine, des employés d’institutions non gouvernementales ou des membres de la diaspora de passage.
Ces nouveaux venus dépassent de très loin le nombre de touristes, venus spécifiquement pour le sable turquoise et les mets fumants.
Une situation qui tend à s’aggraver après que plusieurs gouvernements, notamment ceux des États-Unis et du Canada, ont demandé à leurs citoyens d’éviter Haïti.
En avril, Royal Caribbean avait annoncé la suspension de ses activités à Labadie, une station balnéaire qui accueille régulièrement des bateaux de croisière en escale.
Dans ce contexte, les touristes étrangers, principaux acheteurs des objets d’art locaux, se font de plus en plus rares.
Avant cette interruption, un article d’AyiboPost publié en 2022 soulignait déjà que la présence des touristes ne profitait pas nécessairement à la localité en raison du faible développement des zones environnantes et du manque d’intégration de la population locale dans les retombées économiques.
« La majorité des kiosques au marché touristique du Cap-Haïtien sont fermés, car certains artisans n’y viennent plus », explique à AyiboPost Chantale Pierre, artisane depuis plus de vingt ans.
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Avant, poursuit la mère de famille, « on pouvait payer l’école, l’université de nos enfants, on prenait soin de notre famille avec le peu que l’on gagnait. Mais maintenant, on ne gagne que le prix d’un repas ».
Le marché local n’offre guère d’autres options.
Depuis quatorze ans, Liliane vend des vêtements artisanaux et des objets d’art haïtiens.
Mais pour la professionnelle, « les locaux ne m’achètent rien, car ils qualifient parfois les vêtements que je produis de “vêtements du diable”, en référence aux loas du vodou haïtien, auxquels est associée une bonne partie de nos créations ».
Le marché existe depuis les années 1980, mais les infrastructures actuelles, notamment les 60 kiosques construits sur le boulevard en 2013 sous l’administration de la ministre du Tourisme de l’époque, Stéphanie Villedrouin, s’inscrivaient dans un projet de relance du tourisme à travers le pays.
Mais douze ans plus tard, la situation des créateurs reste difficile et les autorités ne leur apportent aucun soutien, selon trois d’entre eux joints par AyiboPost.
La majorité des kiosques au marché touristique du Cap-Haïtien sont fermés, car certains artisans n’y viennent plus.
-Chantale Pierre
Deux associations composées d’artisans encadrent le fonctionnement de ce marché touristique.
La plus ancienne, regroupant plus d’une centaine de membres, a été fondée en février 1982, peu avant la chute du régime dictatorial des Duvalier.
La seconde, nommée Association des jeunes artisans visionnaires du marché touristique du Cap-Haïtien, a été créée plus récemment. Forte d’une trentaine de membres, elle s’investit dans la recherche de financements.
Mais selon Étienne Barnes, membre fondateur de cette dernière, les multiples tentatives entreprises jusque-là par cette organisation aux côtés du ministère du Tourisme pour obtenir des financements n’ont pas abouti.
Situé à côté de l’ancien port de croisière, le marché a été construit sur un site emblématique pour le tourisme au Cap-Haïtien et dans toute la région du Nord.
Car, avant d’être dysfonctionnel en 1982, ce port voyait accoster des bateaux transportant des milliers de visiteurs locaux et internationaux.
Une fois débarqués, ces derniers traversaient le terrain où se trouvent aujourd’hui les kiosques pour rejoindre le centre-ville et entamaient ainsi leur visite des différents sites historiques de la région, dont Vertières, la Citadelle et le Palais Sans-Souci.
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Ce passage constituait alors le premier point de contact entre les croisiéristes et la ville.
À cette époque, Haïti figurait au dixième rang des seize destinations insulaires les plus visitées des Caraïbes.
Cependant, au début des années 1980, le port a cessé ses activités touristiques et n’a plus été utilisé à cette fin.
La même décennie, l’industrie touristique haïtienne a été durement affectée lorsque certaines institutions sanitaires américaines ont publiquement établi un lien entre le pays et l’émergence du sida.
Ainsi, le nombre de visiteurs américains en Haïti est passé de 70 000 durant l’hiver 1981 à 10 000 l’année suivante.
Les navires de croisière ont cessé d’y accoster, les vols charters ont été suspendus, et l’industrie touristique, alors deuxième source de revenus étrangers du pays, s’est effondrée.
Ces dernières années, en raison de l’insécurité persistante dans plusieurs régions du pays et de la suspension des vols internationaux sur Port-au-Prince, le Cap-Haïtien connaît un afflux important de visiteurs étrangers.
Cependant, cette fréquentation accrue ne semble avoir aucun effet bénéfique sur les artistes locaux établis au marché touristique de la ville.
« La majorité de ces visiteurs viennent pour des raisons professionnelles », précise à AyiboPost Ronel Marcellus, architecte au sein de la direction départementale du ministère du Tourisme.
Face aux problèmes structurels et conjoncturels auxquels font face les artisans, Marcellus souligne des initiatives en cours du côté du ministère pour venir en soutien aux artistes.
Le fonctionnaire mentionne notamment accompagner les artisans dans leurs démarches de régularisation afin de leur permettre d’accéder à des fonds de soutien, ainsi que leur offrir des formations en gestion d’entreprise et en langues étrangères.
Toutefois, il explique que décaisser des fonds depuis le ministère des Finances à Port-au-Prince pour financer ce type d’initiatives reste un processus difficile, en raison des problèmes d’instabilité que connaît le pays.
Malgré ces efforts annoncés, les artisans continuent de faire face à de nombreux obstacles sur le terrain.
« Avec la construction de ce marché, on nous avait vendu du rêve et nous pensions vraiment que les choses allaient s’améliorer pour nous, déplore Étienne Barnes. Mais après ça, rien n’a été fait. Si je reste à présent au marché, c’est parce que j’y ai investi mes connaissances et mon capital ».
Par : Wyddiane Prophète
Couverture : Intérieur du marché touristique du Cap-Haïtien, sur le Boulevard 23, où les kiosques sont fermés, avec un camion stationné sur la place, le dimanche 10 août 2025. Photo : Wyddiane Prophète.
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