En Haïti, la santé mentale est prise aux pièges des mythes magico-religieux. Mais il faut tenir compte de ces croyances pour soigner le patient disent les spécialistes
En 1992, Duckenson Durosier, surnommé Kel, est né à Plaisance dans le nord d’Haïti. Un mois après sa naissance, le nouveau-né était différent des autres enfants de son âge. Il était très agité et refusait de prendre le lait maternel.
Lors d’une visite dans un peristil de la zone, le prêtre du vaudou a révélé à la famille Durosier que Duckenson a été victime d’un sort de l’oncle de sa mère.
La famille a donc fui sa ville natale pour migrer vers la capitale. C’est avec tristesse qu’Evens Durosier, le 4e enfant de la famille, raconte les déboires de son frère aîné.
« Pour être honnête, la maladie de mon frère a été mystique et ma mère l’a combattue mystiquement, avance-t-il. Bien entendu, maman se rendait au centre psychiatrique Mars & Kline et à Beudet quand Kel était petit. Mais elle allait plus souvent dans les jeûnes catholiques et chez les houngans. »
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Kel n’a pas pu être scolarisé à cause d’un état d’agitation qui l’a toujours bouleversé. Quand il n’était pas agité, Kel jouait avec ses frères. Selon Evens, il fabriquait son propre cerf-volant durant les périodes pascales. « Mais il ne pouvait passer une seule semaine au calme. Au moment de la crise, Kel était comme un lion. On ne pouvait pas le retenir », explique Evens avec peine.
« En décembre 2016, nous sommes allés à un centre psychiatrique avec lui. Les médecins ont voulu l’interner, mais maman a refusé. Ne voulant pas se séparer de son fils, elle a opté pour une piqûre de calmant », se rappelle Evens Durosier.
En janvier 2017, Kel est mort à 25 ans des suites d’une infection, des plaies qui recouvraient son corps. « Maman a pleuré comme une madeleine. Elle pleure encore le départ de mon frère. C’était son préféré, malheureusement, elle n’a pas pu le sauver ».
La culture imprègne le mental
En tant que psychiatre, Ghislaine Adrien rencontre souvent des cas similaires à celui de Kel où la famille est persuadée que son proche est frappé par la magie. Dr Adrien a fait des études doctorales portant sur l’influence de la culture sur la santé mentale.
« Culturellement, quand l’Haïtien tombe malade, il pense qu’on lui veut du mal », avance la psychiatre qui croit que cette mentalité traverse toutes les couches sociales du pays.
« En Haïti, il n’y a pas une classe qui n’est pas traversée par la superstition. Des gens les plus aisés aux plus pauvres, des fins intellectuels aux plus analphabètes », ajoute-t-elle.
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Dr Adrien souligne que ce n’est pas seulement en Haïti que cela se passe ainsi. « Au Venezuela, j’ai été étonnée de voir que des malades mentaux ayant des racines africaines ont été aussi superstitieux que nous autres en Haïti. »
Selon la psychiatre, même les adhérents des religions judéo-chrétiennes croient aux superstitions.
Le rapport entre la maladie (mentale ou physique) et le vaudou est très étroit en Haïti si l’on croit Ghislaine Adrien. « Dans leurs délires, les patients parlent de Ogou Feray ou St Jacques Major ».
Selon Dr Adrien, même les adhérents des religions judéo-chrétiennes croient aux superstitions.
Elle explique que certains chrétiens lorsqu’ils sont malades peuvent ne pas aller voir un houngan, mais ils envoient quelqu’un à leur place. Ou bien ils peuvent tout simplement penser que la pathologie provient de quelqu’un qu’ils considèrent comme un ennemi.
Selon la psychiatre, il y a même des spécialistes en santé mentale qui puisent dans ces croyances. Ghislaine Adrien soutient qu’elle ne procède pas comme ces médecins, car elle n’est pas vodouisante.
Un patient est diagnostiqué de schizophrénie au Canada
« J’avais entre 8 et 9 ans quand je parlais de l’apocalypse, de la fin des temps et d’autres choses semblables. À 16 ans, j’étais dépressif. J’ai fait une tentative de suicide avec un poison pour rongeurs. » C’est le témoignage de Maxo Pierre, un haïtien qui vit au Canada.
Maxo raconte qu’il a été un enfant bizarre, mais sa mère n’a pas jugé nécessaire de demander l’aide d’un psychologue. « Ma mère est superstitieuse. Elle pense toujours qu’on lui veut du mal. C’est le genre de personne qui peut vendre tous ses objets de valeur pour payer les services d’un houngan. Elle a toujours voulu se protéger des persécutions qu’elle pensait faire l’objet. »
Dans la vingtaine, Maxo a émigré au Canada chez son père. Il n’a jamais pu garder un emploi. « Je ne comprenais absolument rien. J’étais perdu. J’ai eu des hallucinations. Je parlais tout seul. Mon père m’a mis à la porte parce qu’il pensait que je me droguais. J’ai fait deux tentatives de suicide ici au Canada. »
En 2014, Maxo est diagnostiqué de schizophrénie. « Quand ma mère qui est restée en Haïti l’a su, elle m’a dit que c’était un sort venant de la famille de mon père. Alors que ce dernier a tenu pour responsable de mes troubles les loas que sert ma mère, elle-même vodouisante. »
On tient pour surnaturel tout ce qu’on ne saisit pas
« Tout ce que l’Homme ne comprend pas, il l’associe au surnaturel », explique Carl-Henry Desmornes, l’Ati national qui est le chef suprême du vaudou.
Il ajoute : « en Europe, on torturait des femmes pour des problèmes qu’on ne cernait pas. On les qualifiait de sorcières. Ici en Haïti, on a beaucoup persécuté les vodouisants. On leur reproche d’être responsables de beaucoup de maux. Moi, je crois qu’il existe naturellement des maladies mentales. »
Selon l’Ati, il y a des courants qui veulent que les loas soient des malfaiteurs, mais il n’en croit pas. Pour le prêtre vaudou, les loas courtisent, flattent et séduisent.
Toutefois, il avertit que ces entités peuvent punir les croyants dans certains cas. « Quelqu’un n’ayant pas tenu une promesse à un loa par exemple. » Dans ces circonstances, le houngan balance que le contrevenant peut être frappé par une maladie physique ou mentale.
Seige Poteau qui est un pasteur évangélique pense que les gens qui associent les troubles mentaux aux mythes magico-religieux adhèrent au syncrétisme religieux.
« Ils font un mélange entre le vaudou et le christianisme. En tant que chrétien et scientifique, j’admets que les maladies mentales ont des causes naturelles.» Le pasteur détient une maîtrise en science informatique.
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Pasteur Poteau regrette que d’autres pasteurs utilisent leurs églises pour interner des personnes qui présentent des signes de troubles mentaux. « Je pense qu’il faut laisser les professionnels de santé mentale faire leur travail. Je n’ai pas d’hôpital, je ne garde pas de malade chez moi ni dans mon église. Si quelqu’un est malade, je peux prier pour lui tout en lui conseillant d’aller se faire soigner. »
Pour sa part, Carl-Henry Desmornes pense que certains vodouisants peuvent garder des malades dans leur peristil si seulement cela se fait dans le respect des personnes internées. Mais il affirme que l’État haïtien ne le permet pas. Selon le houngan, on reproche à ces confrères vodouisants de pratiquer la médecine sans l’autorisation de l’État.
La guérison doit passer par la culture du patient
« Il y a des troubles mentaux dont on ne guérit pas comme la schizophrénie par exemple. Alors que d’autres comme la dépression peuvent être traitées », lance Ghislaine Adrien.
Toutefois, la spécialiste souligne que la guérison doit passer par la culture du patient. Par culture, elle entend non seulement les croyances religieuses, mais aussi l’éducation que la personne a reçue.
Dr Adrien précise que le spécialiste en santé mentale ne va pas s’initier au vaudou pour traiter le patient. « On ne doit pas mépriser la foi du patient non plus. D’ailleurs, on ne peut pas lui demander d’abandonner ses croyances. Il peut continuer à aller voir le houngan pendant que le spécialiste en santé mentale fait son travail, c’est-à-dire administrer des médicaments et faire de la thérapie. En tant que médecin, l’on sait que scientifiquement la personne a un trouble, mais l’on ne doit pas pour autant négliger sa croyance. »
Il ne s’agit pas seulement de la religion, réitère la spécialiste. C’est toute la culture de la personne qu’il faut prendre en compte.
« Il y a des gens qui sont toujours peureux. Ils ont peur de se lancer, de prendre des initiatives et des décisions, parce que dès leur enfance ils ont été conditionnés comme tels. Ces comportements peuvent influer sur la santé mentale. C’est pourquoi l’éducation importe beaucoup dans la prévention de certains troubles mentaux », conclut-elle.
* Maxo Pierre est un nom d’emprunt
Laura Louis
Images: Paolo Marchetti
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