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Le café dominicain commence à faire son nom. Une bonne partie de la production vient d’Haïti.

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Depuis que le gang 400 Mawozo occupe la route nationale numéro 8, qui passe par Thiotte pour arriver dans la capitale, les paysans arrivent difficilement à envoyer leur café à Port-au-Prince. Ils revendent leur récolte en République Dominicaine

Ermontil St Jean a grandi avec le café. À Colin, petite bourgade de Thiotte, où il vit, tout le monde est peu ou prou planteur de cette denrée. C’est grâce à cela qu’il a pu élever ses enfants, et leur offrir une éducation.

St Jean fait partie de l’APPCC, l’association des petits planteurs de café de Colin. C’est une centaine de planteurs qui se sont regroupés pour vendre leur production de manière commune.

La majeure partie est vendue à des coopératives caféières qui se chargent de l’exporter. En plus, d’autres producteurs fournissent à des entreprises du secteur privé une autre part de la récolte. St Jean est l’un des principaux pourvoyeurs de café de la marque haïtienne Selecto.

Mais les choses ont bien changé.

Depuis que le gang 400 Mawozo occupe la route nationale numéro 8, qui passe par Thiotte pour arriver à Port-au-Prince, St Jean arrive difficilement à envoyer son produit à la Capitale. Les bandits n’ont de cesse de détourner les camions, et d’agresser les commerçants.

Pour faire face à ce manque à gagner, et aussi écouler leur produit, la plupart des planteurs de la région se sont tournés vers une solution moins risquée : fournir leur café à la République dominicaine.

Thiotte, l’une des plus grandes communes productrices de café en Haïti, se trouve à la frontière entre les deux pays, non loin de Jimani ou de Pedernales, deux points officiels de passage transfrontalier.

Selon le responsable de l’APPCC, entre 60 % et 70 % de chaque récolte sont écoulés chez les voisins. C’est une manne pour les Dominicains, qui le revendent sur le marché international, mélangé au café de leur pays.

L’année 2021, difficile pour les entrepreneurs haïtiens du café, a pourtant été l’une des meilleures pour le café dominicain. Le Centre d’exportation et d’investissement de la République dominicaine a ainsi révélé que les exportations de ce pays ont atteint plus de douze millions de dollars. Au cours des cinq années précédentes, elles avaient dépassé 50 millions de dollars.

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Il y a toujours eu des échanges entre Haïti et la République dominicaine, quand il s’agit de café. Pendant longtemps, le café consommé en République dominicaine était celui d’Haïti. Mais désormais, ce café n’est pas employé à la consommation, mais à la vente internationale, même si le café consommé là-bas est toujours importé.

Ce sont les entrepreneurs haïtiens qui pâtissent de la nouvelle puissance des Dominicains en Haïti. La marque Selecto, qui exporte beaucoup de café haïtien à l’étranger, vient de connaître ainsi un coup d’arrêt. « La vraie frontière est devenue la Croix-des-Bouquets », déclare Douglas Wiener, directeur de Marketing de Café Selecto, qui n’a pas pu s’approvisionner en grande quantité comme avant.

« C’est devenu une vraie compétition, poursuit-il. Des négociants haïtiens représentent ainsi des intérêts dominicains, pour l’acheter. Un entrepreneur haïtien doit payer plus cher qu’un dominicain pour acquérir ce café. »

Pour les producteurs haïtiens de Thiotte, envoyer du café à Port-au-Prince est plus onéreux que de le vendre en République dominicaine, plus proche.

« J’ai essayé une fois d’envoyer le café à la capitale en passant par Jacmel. Mais le prix du transport était considérable. J’ai perdu une marge de 30 % », se plaint St Jean.

Douglas Wiener admet que cette nouvelle donne est préjudiciable à son entreprise, mais il est conscient que c’est ainsi que fonctionne un marché.

« Le café n’a pas de nationalité, reconnaît-il. Un producteur a ainsi plusieurs marchés qu’il peut alimenter. Le marché local, le marché international, car ils se regroupent en coopératives, et finalement le marché dominicain. »

Ermontil St Jean, lui, fait de la résistance, en refusant de vendre son café aux Dominicains. Il a convaincu d’autres planteurs à faire de même, à souffrir en espérant que la situation se résolve. Lors de la prochaine récolte, il sait déjà ce qu’il va faire : comme d’habitude, il vendra son produit à des coopératives caféières haïtiennes.

« En général, elles payent une avance sur la récolte qu’elles vont exporter, explique St Jean. Après l’exportation, non seulement elles nous payent le reste de la production achetée, mais aussi tous les planteurs reçoivent une ristourne. »

Cette ristourne est une somme en plus, qui découle de l’exportation, et qui est très appréciée par les planteurs.

« Lorsque le dominicain vient acheter notre café, il paye et il s’en va. Nous ne bénéficions rien d’autre de lui », fait remarquer le producteur.

Le café d’Haïti est célèbre. C’est à peu près la même variété qui est cultivée en République dominicaine. Ces dernières années, la renommée du café du pays voisin a marqué des points à l’international. En achetant le café produit en Haïti, ils augmentent leur stock à exporter, engrangeant au passage plus d’argent.

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Ainsi, Haïti perd progressivement des marchés internationaux, parce qu’une partie de sa propre production n’est pas exportée en son nom, alors que c’est l’une des variétés de café les plus appréciées au monde.

La nouvelle frontière des 400 mawozo n’empêche pas seulement le café de parvenir à Port-au-Prince. Elle pose un problème aussi pour les engrais, qui en général partent de la capitale pour aller trouver les planteurs.

« Sous la présidence de René Préval, le sac d’engrais me coûtait seulement 400 gourdes », se rappelle Ermontil St Jean.

L’engrais est maintenant acheté aux Dominicains, et le prix ne cesse de grimper. Il a ainsi dû en acheter à 7 000 gourdes le sac. Face à une telle situation, le planteur comprend ceux qui décident de vendre en République dominicaine.

« Je ne le fais pas parce que je me dis que si un jour les dominicains estiment qu’ils n’ont plus besoin de notre café, nous serions dans de beaux draps si nous avions abandonné nos propres circuits de distribution dans le pays. Déjà qu’aucun dirigeant ne pense à nous », fait-il remarquer.

Depuis quelques semaines, le gang de la Croix-des-Bouquets qui sème la terreur sur cette route nationale est traqué sans cesse par la police. Plusieurs membres ont trouvé la mort ou leur arrestation. La prochaine récolte de septembre verra peut-être plus de café provenir de Thiotte, vers Port-au-Prince.

Photo de couverture : Ralph Thomassaint Joseph pour AyiboPost

Journaliste. Éditeur à AyiboPost. Juste un humain qui questionne ses origines, sa place, sa route et sa destination. Surtout sa destination.

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