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Artibonite : Vives tensions entre deux localités autour de 30 carreaux de terre

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Le terrain en dispute se trouve dans une zone communément appelée « Tibrennèf ». Cette zone sert de point de passage pour les pirogues faisant le va-et-vient entre Labadie et Marin

Trente carreaux de terre aux abords du fleuve de l’Artibonite font l’objet d’un conflit entre les habitants des localités de Labadie et de Marin depuis au moins un an.

Situé sur le rivage du fleuve, ce terrain composé d’alluvions, donne des rendements agricoles jugés très satisfaisants par les cultivateurs.

Le terrain en dispute se trouve dans une zone communément appelée « Tibrennèf ». Cette zone sert de point de passage pour les pirogues faisant le va-et-vient entre Labadie et Marin.

Le litige présente des caractéristiques uniques qui le distinguent des conflits fonciers courants dans la vallée de l’Artibonite, où les différends opposent généralement des propriétaires et des escrocs ou divisent des familles héritières.

Ici, la confrontation oppose directement les habitants des deux communes voisines de Petite Rivière de l’Artibonite et Verrettes, via leurs localités respectives de Labadie et Marin.

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Les confrontations ont déjà fait au moins trois morts, une personne portée disparue, trois cas de mutilations ainsi que des attaques violentes contre les bétails et les plantations, d’après des autorités communales et individus directement impliqués dans le dossier joints par AyiboPost.

Ce conflit prend racine dans les changements de trajectoire du fleuve qui sert de frontière naturelle entre Petite Rivière de l’Artibonite et Verrettes.

Selon les autorités locales contactées par AyiboPost, les déplacements du cours d’eau, influencés par des phénomènes naturels, redessinent périodiquement les limites entre les deux communes.

Dans les saisons pluvieuses, sur un cycle irrégulier, le fleuve a l’habitude de prendre son cours d’un autre côté.

Cette situation provoque un accroissement de terrain qui se fait insensiblement à l’un des bords du plus grand cours d’eau d’Haïti.

Ce conflit prend racine dans les changements de trajectoire du fleuve qui sert de frontière naturelle entre Petite Rivière de l’Artibonite et Verrettes.

En 2008, l’Artibonite a enfoncé sur sa rive gauche, à Marin, troisième section communale de Verrettes, renforçant ainsi les terrains des paysans de Labadie, informe Wadson Aristilde, agriculteur de la zone.

Plus de dix ans après, soit en 2021, le cours d’eau a fait le mouvement inverse sur sa rive droite, à Labadie, troisième section communale de Petite Rivière de l’Artibonite.

Depuis ce dernier événement naturel, les paysans de Marin ont investi cette nouvelle portion de terre évaluée à environ 30 carreaux, d’après un procès-verbal de constat du juge de paix de Verrettes Jean René Jérôme en décembre 2023.

Les résidents de Labadie revendiquent ce territoire comme leur propre domaine.

Une onde de choc s’est produite dans ce dossier, le 28 août 2024.

Dans la matinée, Belony Telusmé quitte son domicile pour se rendre à la parcelle qu’il cultive depuis plus d’un an sur le terrain disputé.

Plus de deux mois après, l’homme de 33 ans n’a toujours pas rejoint sa famille.

Selon ses proches, le père de cinq enfants a été assassiné puis enterré par des gens de Labadie.

N’ayant plus d’espoir de revoir son frère, Carline Charles, la grande sœur de Belony Telusmé, est terrassée par cette situation.

« On n’a pas trouvé son corps. Mais des gens du côté de Labadie m’informent que mon frère a été attaqué sur le terrain en conflit. Je suppose qu’il n’est plus vivant », déclare-t-elle à AyiboPost le 31 août 2024.

Le juge de paix de Verrettes, Jean René Jérôme, confirme pour AyiboPost avoir reçu, le lendemain, le dépôt d’une plainte au tribunal, introduite par les proches de Télusmé en lien avec sa disparition.

Les résidents de Labadie revendiquent ce territoire comme leur propre domaine.

L’Institut national de réforme agraire (INARA) a la compétence d’intervenir dans le cadre de ce conflit.

Un représentant de cette institution, contacté par AyiboPost, a évoqué l’insécurité prévalant au Bas-Artibonite comme un obstacle à leur intervention dans ce dossier.

« La conjoncture n’est pas favorable à la prise de décision. Elle ne sera pas respectée, car les suivis obligent des déplacements qui sont très difficiles », soutient le responsable de l’INARA au niveau de l’Artibonite.

Pour l’instant, l’institution essaie de prendre contact avec les parties, les autorités et les notables, informe le responsable à AyiboPost le 19 septembre dernier.

En novembre 2023, un comité a été mis sur pied à Marin pour entamer un processus d’entente entre les protagonistes.

Venel Louis Jean est président de cette structure.

Il souligne à AyiboPost des pertes considérables perpétrées au niveau de la zone.

« Au moins 23 bœufs des paysans sont tués violemment de coups de machette depuis le début du conflit. Des jardins en phase de récolte sont également vandalisés », déplore Louis Jean.

Le corps d’un résident de Labadie a été retrouvé dans le fleuve Artibonite le 1ᵉʳ septembre 2024.

Certains habitants de cette localité imputent la responsabilité de cet homicide aux résidents de Marin.

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Venel Louis Jean, de son côté, tient les autorités locales pour responsables de toutes les victimes enregistrées.

L’homme dénonce le manque d’initiatives des autorités en dépit des efforts du comité dont il est le président pour les inviter à l’action.

Depuis le début des attaques, au moins trois individus ont été attaqués par des groupes armés de machettes.

Le 9 mars 2024, vers cinq heures de l’après-midi, Mackenson Jérôme, paysan de Marin, a été agressé par des hommes armés de machettes sur le terrain en discussion.

L’homme dénonce le manque d’initiatives des autorités en dépit des efforts du comité dont il est le président pour les inviter à l’action.

« J’ai reçu un coup de machette au niveau de ma tête et mon bras gauche. J’ai perdu les doigts de ma main droite », se plaint Jérôme.

Le cultivateur de 37 ans a été transféré en urgence à l’hôpital où il a passé une semaine pour prendre des soins que nécessite son cas.

« Aujourd’hui, je vis avec des handicaps. Je ne peux plus travailler », se lamente-t-il.

Un autre cas concerne Andregène Delinois, un sarcleur qui vend ses services à Marin.

Dans l’après-midi du 13 décembre 2023, Delinois travaillait dans un champ aux abords de Marin, près du terrain en conflit, lorsqu’un groupe d’environ vingt hommes armés d’outils tranchants s’est attaqué à lui.

Il y perd son bras gauche.

Le membre amputé a été emporté par les individus, selon la victime interviewée par AyiboPost.

« Je suis devenu handicapé. Je ne peux plus travailler. Grâce au soutien des personnes de bonne volonté, je continue à survivre », se plaint Delinois.

Ezechiel a connu le même sort en mai 2023 lorsqu’il a été attaqué par des hommes armés de machettes venus de Labadie alors qu’il s’occupait de son bétail.

Blessé, l’homme de 29 ans déclare ne plus pouvoir jouir de sa pleine mobilité après l’attaque.

Contactés par AyiboPost, des résidents de Labadie et avocats proches du dossier n’ont pas fait de commentaires.

Le juge de paix de Verrettes, Jean René Jérôme, fait savoir qu’il a effectué au moins deux constats dans le cadre de ce dossier, lequel, selon lui, excède la compétence de son tribunal.

Par conséquent, l’affaire a été transférée au Tribunal de première instance de Saint-Marc.

Le commissaire du gouvernement de cette juridiction, Venson François confirme l’existence du dossier au niveau du Parquet. Le dossier se trouve actuellement au niveau du cabinet d’instruction, informe le parquetier.

De son côté, le notaire public de Verrettes, Rosental Duvelsaint informe à AyiboPost que cette affaire n’est pas encore arrivée sur son bureau.

Il affirme n’avoir reçu aucune demande notariale. Néanmoins, il est au courant du litige.

L’agent intérimaire de la commune de Verrettes, Jacquis Adolphe, estime que l’ampleur de ce conflit dépasse les compétences des autorités communales.

Selon lui, il est essentiel que le commissaire du gouvernement, en tant que garant de l’intérêt public, ainsi que l’Organisation pour le développement de la Vallée de l’Artibonite (ODVA) interviennent pour trouver une solution durable.

« Lorsque la situation concerne les berges ou les rivages du fleuve, même quand c’est au niveau de la commune, c’est l’ODVA qui a la compétence d’intervenir », précise Jacquis Adolphe.

Plusieurs responsables de l’ODVA contactés par AyiboPost n’ont pas accepté de donner d’interviews.

En ce qui concerne Petite Rivière de l’Artibonite, le maire de cette commune, Dort Lereste, déclare ne pas être formellement informé de cette situation qui se développe à la troisième section de sa commune, Labadie.

D’après le responsable, ce genre de litige se résout généralement dans le dialogue.

Pour l’instant, il attend un inventaire de l’évolution de la situation.

La récurrence des attaques inquiète.

Des jardins de petit mil en floraison ont été dévastés le 7 août dernier sur le terrain.

Le comité de gestion de conflit de Marin accuse les adversaires de Labadie de cette attaque.

« Le climat conflictuel qui perdure dans la zone empêche la libre circulation de la population. Par crainte de se faire victime, les gens de Labadie ne peuvent pas se rendre à Marin et vice versa » déplore Wadson Aristilde.

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Image de couverture | Un agriculteur haïtien accroupi dans un champ de riz tient une machette. Le paysage verdoyant en arrière-plan reflète la richesse naturelle de la campagne haïtienne. © Sources : DAI

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Louis-Jeune est journaliste à AyiboPost depuis avril 2023. Il a fait des études en philosophie et en science politique à l'Université d'État d'Haïti.

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