Trop souvent en insistant sur le financement, on néglige d’autres facteurs importants qui empêchent aux Petites et Moyennes Entreprises de prospérer. Il existe pourtant des actions essentielles à engager pour mieux les accompagner.
Ceux qui interviennent sur la problématique des Petites et Moyennes Entreprises (PME) en Haïti, ont tendance à penser que la principale contrainte au développement de ces dernières est le faible accès au financement, notamment l’accès au crédit. Cela semble encore plus vrai en examinant la plupart des programmes des gouvernements pour faciliter l’expansion de ces types d’entreprises. Ces initiatives s’orientent majoritairement vers des apports en capital financier soit à travers des prêts, des subventions ou des prises de participations de l’État. Pourtant, cette conception pourrait se révéler biaisée si l’on analyse la structure et l’environnement dans lequel ces compagnies évoluent.
Les véritables contraintes ne sont pas principalement au niveau de l’accès au capital, mais plutôt, tout au long du processus de création et de fonctionnement des sociétés. Malgré le faible niveau d’accès aux services financiers et le manque de diversification des produits financiers, les PME arrivent à se financer à partir de leurs fonds propres ou à travers d’autres types de financement alternatif.
En considérant ces analyses, il est possible de formuler de meilleures propositions de programme de renforcement du tissu des PME. Leur configuration en Haïti révèle trois catégories de contraintes. D’abord, il y a les difficultés qui sont liées à l’absence d’accompagnement. Elles découlent de l’inexistence ou de l’inadéquation de certaines régulations, de la défaillance des institutions publiques et de l’inefficacité de certaines politiques publiques. Ensuite, la gestion même des PME, c’est-à-dire leur fonctionnement, est problématique. Et finalement, il y a les problèmes d’immobilisations et l’accès aux infrastructures.
Contraintes liées à l’accompagnement
Le premier problème d’accompagnement survient dès la création de l’entreprise. D’une part, le coût d’enregistrement est trop élevé. Il faut en moyenne près de soixante mille gourdes et jusqu’à trois mois pour enregistrer une société en nom collectif (sans compter les coûts indirects). Les frais de constitution et le temps pour créer une société anonyme sont encore plus importants. Il faut entre trois mille et six mille dollars, en fonction de la taille de la société, pour un délai allant jusqu’à six mois. D’autre part, l’absence de point unique d’enregistrement et la non-disponibilité de certains des services en ligne expose les entrepreneurs à des coûts indirects mais aussi à des coûts « illicites ».
Une fois la PME enregistrée, elle sera obligée de supporter le poids du système fiscal et l’inefficience des institutions de collecte. C’est le deuxième problème. Les taxes et impôts représentent en moyenne près de 40% du bénéfice brut d’une entreprise et celle-ci peut effectuer jusqu’à 47 paiements pour les taxes et impôts par année. Les procédures pour régulariser leur situation fiscale peuvent asphyxier les PME. Qui pis est, la mauvaise qualité des services et l’asymétrie d’information génèrent encore des coûts indirects, sans compter le temps perdu.
Enfin, les PME peuvent faire face à des problèmes de concurrence ou des problèmes d’efficacité des commandes publiques (censées être un instrument de promotion économique). Dans le premier cas, elles peuvent être victimes de possibles barrières à l’entrée, de pratiques qui s’apparentent à des abus de position dominante (par les grandes entreprises opérant sur le même marché), ou d’autres potentielles pratiques anti-concurrentielles. Dans le deuxième cas, la loi de 2009 fixant les Règles Générales de Passation, d’Exécution et de Règlement des Marchés Publics n’offre pas beaucoup de perspectives de débouchés à ces PME. En outre, un nombre réduit d’entreprises bénéficie de la majorité des contrats passés. Dans ce contexte, les marges de progression des PME restent limitées.
Contraintes liées à la gestion
Une fois qu’elle commence ses opérations, la PME doit se maintenir en vie. Pour ne pas faire faillite, elle a besoin de personnels qualifiés, de certains systèmes de gestion de base (comptabilité par exemple) et d’autres éléments liés au management. Les PME en Haïti n’arrivent pas parfois à se doter de ressources humaines pouvant assurer cette gestion. Soit elles ne peuvent pas embaucher ou parce qu’avoir recours à une firme offrant des services de management coûte trop cher. Du coup, certains éléments de gestion ne sont même pas en place. À titre d’illustration, selon le ministère du Commerce, seulement 1.2% des entreprises disposeraient d’un exercice comptable. Cela rend difficile la traçabilité des transactions et limite la PME en termes d’éligibilité pour un crédit.
Contraintes d’immobilisations et d’infrastructures
Pour pouvoir s’enregistrer, une société en nom collectif ou une société anonyme doit disposer d’un siège social. Ainsi, dans la plupart des cas, elle doit supporter des coûts pour des immobilisations ou payer des loyers qui est l’une des charges d’exploitation les plus importantes pour une PME.
Compte tenu du sous-développement du secteur immobilier et de la faible diversification des produits immobiliers, les coûts de ces types d’immobilisations ou du loyer sont parfois exorbitants. Payer plus de dix mille dollars US par année pour un loyer est une charge colossale pour une PME. De plus, elle est obligée parfois de s’adapter à un marché où les fournisseurs tendent à surfacturer dès qu’ils se rendent compte que l’espace loué sera utilisé à des fins lucratives.
En plus, les PME doivent supporter des coûts importants pour certains services comme l’électricité et l’internet. Il faut payer en moyenne 26.2 cents US par kilowatt/heure pour l’électricité (21 cents en République Dominicaine). Puisque l’électricité n’est pas fournie de manière régulière, il faut des alternatives couteuses, (génératrices, inverters, panneaux solaires).
L’accès aux infrastructures routières et portuaires représente des contraintes importantes pour les PME. L’absence ou la mauvaise qualité de ces infrastructures génère des coûts élevés qui peuvent nuire à leur fonctionnement et limiter leur profit et leur progression.
Aller au delà du financement
Ces problèmes montrent qu’on pourrait bien injecter des millions de dollars au niveau d’une PME et constater qu’elle n’arrive tout de même pas à grandir et se moderniser, ou même se maintenir en vie. Cela signifie que de simples programmes de financement n’auront probablement pas d’impact durable. Bien que l’accès au capital financier demeure important, la configuration des PME montre qu’elles n’ont pas forcément besoin d’argent mais d’autres types de soutien. En d’autres termes, un programme d’appui aux PME serait plus efficace s’il prenait en compte les actions suivantes :
- Faire voter les nouvelles lois sur les sociétés qui permettraient de réduire le nombre d’intermédiaires dans le processus d’enregistrement (en l’occurrence les avocats et les comptables agréés). Ces nouvelles lois permettraient aussi de réduire le délai d’enregistrement.
- Mettre en place un « One-Stop-Shop» physique et virtuel, qui permettrait de réduire les déplacements pour les futurs associés/actionnaires. Ceci permettrait à ces derniers d’enregistrer en un seul lieu physique ou virtuel. Il permettrait du coup d’éliminer les potentiels coûts « illicites».
- Diminuer le barème d’imposition de 30% sur le revenu des sociétés tout en faisant des considérations pour les petites entreprises.
- Mettre en place une plateforme virtuelle pour faciliter le paiement des taxes et impôts, afin de réduire les nombreuses procédures fiscales et éliminer de potentiels coûts « illicites».
- Mettre en place un cadre de la concurrence en Haïti, incluant une loi sur la concurrence (et les lois connexes) ainsi qu’une Agence de la Concurrence. Ces dernières permettraient de limiter les potentielles pratiques anti-concurrentielles.
- Réviser la loi sur les passations de marchés pour permettre à plus de PME de bénéficier des commandes publiques, tout en rendant plus transparent le processus d’octroi des marchés.
- Faciliter le développement des firmes de management et de consultation à travers des mesures de financement, de subventions ou d’incitations.
- Mettre en place un Réseau de « Co-Working Space » (espaces de travail partagés) pour réduire les charges liées au loyer ou l’accès aux immobilisations. Dans un premier temps, l’État pourrait répertorier les bâtiments publics non utilisés et les réaménager en « Co-working Space ». Dans un second temps, Il pourrait financer la construction de ces espaces (et les infrastructures) par des Sociétés Immobilières privées, moyennant des conditions claires.
- Enfin, la modernisation ou la réhabilitation des infrastructures de base (énergétiques, portuaires, routières) pourrait avoir un grand impact sur le développement des PME. Certaines de ces mesures (par exemple la modernisation du réseau électrique, l’établissement d’une ligne directe de fibre optique pour l’Administration Publique, la modernisation des ports) sont probablement celles qui demandent le plus d’investissements et le plus de temps, mais qui pourraient aussi avoir le plus d’impact.
Toutes ces mesures pourraient non seulement favoriser le développement des PME mais aussi dissiper l’illusion que le financement est le premier problème des PME. En effet, elles n’ont pas forcément besoin d’argent.
Ralph Valliere
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