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La profession d’avocat «en train de mourir» à Port-au-Prince

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Sur 24 juges d’instruction nécessaires à Port-au-Prince, seulement trois sont en cours de mandat

L’avocat Frantz Gabriel Nerette a perdu la totalité de son portefeuille de clients immobiliers, engendrant un manque à gagner de «cinq à sept mille dollars américains» par an.

En mars, Maître Rose-Berthe Augustin a temporairement fermé son cabinet et placé ses dossiers dans un endroit «sécurisé».

Des dizaines d’autres avocats de Port-au-Prince perdent des clients chaque mois dans un contexte de quasi-paralysie de l’institution judiciaire, due à l’insécurité et à des problèmes structurels.

«C’est une profession qui est en train de mourir», commente à AyiboPost Me Samuel Madistin, un avocat de premier plan qui rapporte lui aussi avoir perdu plusieurs clients.

Des dizaines d’autres avocats de Port-au-Prince perdent des clients chaque mois dans un contexte de quasi-paralysie de l’institution judiciaire, due à l’insécurité et à des problèmes structurels.

Déjà boiteuse, la justice institutionnelle ne fonctionne presque plus dans la juridiction de Port-au-Prince depuis le dernier assaut des gangs armés le 29 février 2024.

La rentrée de l’année judiciaire 2023-2024 a été marquée par la crise sociopolitique, le «pays lock», suivi des journées de contestations à répétition contre le gouvernement d’Ariel Henry.

L’institution judiciaire fonctionne difficilement en dehors de la capitale.

Mais le dysfonctionnement atteint ces zones avec le lancement d’une grève des commissaires du gouvernement la semaine dernière.

Lettre du collectif des Magistrats Debout d’Haïti adressée au Ministre de la Justice et de la Sécurité Publique, Me Carlos Hercules.

Ces dysfonctionnements ne sont pas nouveaux.

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Pour la période d’octobre 2016 à septembre 2020, les tribunaux du pays ont fonctionné pendant seulement 205 jours, selon un rapport confidentiel de la Fédération des Barreaux d’Haïti, décrit pour AyiboPost par la conseillère au barreau de l’ordre de Port-au-Prince, Rose-Berthe Augustin.

Le rapport note, pour cette période, une forte paralysie des tribunaux due particulièrement aux grèves récurrentes des acteurs du système judiciaire.

«Les cabinets d’avocats qui assistent les clients devant les tribunaux sont beaucoup plus affectés que ceux qui ont des contrats ou travaillent avec des entreprises», indique Me Samuel Madistin, président de la Fondasyon Je Klere.

Pour la période d’octobre 2016 à septembre 2020, les tribunaux du pays ont fonctionné pendant seulement 205 jours.

Le nouveau gouvernement doit rétablir la sécurité puis se pencher sur la reprise des activités judiciaires. C’est ce que préconise le juge Marthel Jean Claude, Président de l’association professionnelle des magistrats.

«La justice est au point mort dans les juridictions de Port-au-Prince et de la Croix-des-Bouquets», constate le magistrat. Sur 24 juges d’instruction nécessaires à Port-au-Prince, seulement trois – Jean Wilner Morin, Merlan Belabre et le juge Jameson Simon – sont en cours de mandat.

La paralysie des tribunaux empêche le respect des délais impartis par la loi pour le traitement d’un dossier, créant un risque pour les avocats de perdre des procès.

La situation crée également un problème d’accès à la justice, aggravant la détention préventive prolongée – un fléau national.

Lire aussi : Enfants, jeunes filles et criminels du Pénitencier National dans le même centre

83.92 % des 11,837 détenus de la population carcérale sont en attente de jugement, selon un rapport du Réseau national de défense des droits humains (RNDDH) publié le 11 octobre 2023.

Certains prisonniers attendent leur jugement depuis plus d’une décennie, en violation des lois haïtiennes et des conventions internationales.

«Depuis juillet 2018, il n’y a pas eu d’assises criminelles avec assistance de jury dans la juridiction de Port-au-Prince», remarque Me Samuel Madistin.

Sur les dix-huit juridictions de première instance du pays, seules celles de Jérémie et de Hinche ont organisé chacune une séance d’assises criminelles avec assistance de jury pour l’année judiciaire 2022-2023, selon le rapport du RNDDH.

Le commissaire du gouvernement près le tribunal de première instance de Port-au-Prince, Me Edler Guillaume, n’a pas répondu aux demandes d’interview d’AyiboPost.

«Quand le locataire me dit qu’il va me payer dans deux ou trois mois, je n’ai aucun moyen de pression», déclare à AyiboPost l’avocat Frantz Gabriel Nerette. «Même si je lui envoie une sommation, continue le professeur d’université, le client sait que je ne pourrai pas le citer à comparaître au tribunal parce qu’il est au courant que la justice ne fonctionne pas.»

Par Fenel Pélissier

Image de couverture : Un professionnel dans un cabinet d’avocat.| © Freepik

Visionnez ce reportage d’AyiboPost publié en novembre 2019 sur la problématique de la détention préventive prolongée en Haïti :


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Fenel Pélissier est avocat au Barreau de Petit-Goâve, professeur de langues vivantes et passionné de littérature.

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