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La musique haïtienne risque la mort si elle ne s’adapte pas aux nouvelles technologies

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Le marché musical haïtien est forcé de s’adapter aux mutations technologiques qui dématérialisent les supports de musique. Les consommateurs, en particulier les plus jeunes, semblent se tourner vers les plateformes digitales qui leur offrent de meilleurs avantages. Un choix qui force musiciens, producteurs et promoteurs à trouver de nouvelles alternatives, face à l’absence de lois réglementant les droits d’auteurs sur Internet. 

30 années, c’est exactement le nombre de temps que compte Aly Acacia dans l’industrie de la musique. À ses débuts, l’entrepreneur a été, à deux reprises, gestionnaire de discothèque au cours de sa résidence à Montréal avant de devenir Disc Jocker (DJ) quelque temps après. Rentré en Haïti, le membre fondateur de l’épique évènement Musique en Folies a eu l’idée de vider sa discothèque. « J’ai finalement ouvert une maison de disques après un temps de vente dans le marché informel », raconte M. Acacia.

Pendant 15 ans, les rayons de Mélo-Disques ont été un point d’acquisition inévitable pour les mélomanes en Haïti. Mais, la révolution technologique et les réalités du temps ont fini par rattraper Aly qui a dû fermer boutique en 2015. « Trois raisons sont à l’origine de cette décision : la baisse du pouvoir d’achat des clients, la dématérialisation des sources d’approvisionnement et le piratage », précise l’homme qui vient de lancer un concours de danse national en Haïti.

Le temps révolu

Depuis plusieurs années, l’évolution des nouvelles technologies ne cesse de dématérialiser les supports musicaux. Ce qui laisse impuissants les acteurs du marché musical haïtien. Face à l’absence d’une législation adaptée pouvant réglementer les Droits d’auteurs sur Internet, promoteurs, producteurs et artistes sont forcés de penser à des alternatives leur facilitant la liquidation de leur produit musical. Cette situation Louibert Meyer l’a bien comprise lorsque l’année dernière, son label, Concept Event Master, devait signer le premier album jazz de l’artiste évangélique Mark Edmond.

L’album a été présenté sur une clé USB au cours d’une vente signature à Pétion-ville. Ce premier calcul, selon Meyer, a été un choix visant à rendre le produit accessible au public évangélique « non habitué au Jazz ». « Mais, nous avons d’emblée misé sur la vente au niveau des plateformes digitales et la performance de l’artiste à certains festivals », affirme Meyer qui avoue que le marché musical est actuellement en pleine mutation. « Les plus grands consommateurs du marché actuellement sont majoritairement jeunes et ne s’intéressent qu’au virtuel. Ils téléchargent leur musique directement sur les plateformes en ligne ou l’écoute en streaming », poursuit Meyer.

L’obligation de penser autrement

La modernisation marque la fin des supports durs sur le marché musical. L’avantage de liquider sa création s’offre désormais sur Internet pour les producteurs et autres créateurs. Caractérisée par un manque de structure, plus encore l’absence des lois, l’industrie musicale haïtienne reste cintrée dans une des pratiques de diffusion et de promotion désormais devenue archaïque. Une enquête réalisée par Ayiti Mizik en 2017 révèle les contraintes de ce marché musical.

« L’enquête n’a pas répertorié de site dédié à la vente de musique en ligne en Haïti, hormis la plateforme de téléchargement que la compagnie de téléphonie Natcom a lancée en 2015 », peut-on lire dans le rapport. Les 8 autres plateformes repérées par Ayiti Mizik « ont davantage à voir avec la promotion plutôt que la distribution ». Tous ces sites, précise l’enquête, posent la question de la rémunération des droits auteurs.

« D’une manière générale, la diffusion de musique enregistrée en Haïti n’est pas associée au paiement de droit », prolonge le rapport. Par contre, ce sont les artistes ou leurs représentants qui paient pour la diffusion de leurs créations. Ces derniers se dirigent de plus en plus vers des plateformes digitales exotiques : Itunes, Spotify, Cd Baby, etc.

« Toutefois, leur impact reste limité en Haïti, car il est confronté au double problème de la pénétration d’Internet et de l’absence du système bancaire efficace. Pour la vente en ligne. Paypal n’est pas opérationnel en Haïti », poursuit Ayiti Mizik. Pour contourner la situation et espérer vendre leurs CD, les responsables déploient une stratégie de proximité à travers le territoire national.

Roosevelt Saillant, plus connu sous son pseudo d’artiste BIC, affiche clairement sa préférence pour les plateformes digitales qui, dit-il, lui permet de vendre sa musique plus facilement. Avec 19 ans de carrière, le chanteur affirme qu’il a finalement bien compris le marché. « Les médias traditionnels n’ont plus la même force. Personnellement, je bénéficie beaucoup plus des possibilités qu’offrent Internet. Je préfère promouvoir mes comptes professionnels que de passer du temps à courtiser une audience à travers les médias traditionnels que je ne peux même pas contrôler », dit l’artiste qui fait actuellement la promotion de son dernier album BICsyonè. Pour lui, il suffit d’une bonne gestion permettant d’exploiter efficacement les privilèges qu’offre chaque plateforme digitale.

L’alternative Diskòb  

Conscients de cette réalité, certains jeunes viennent de lancer, le 31 juillet dernier, l’application Diskòb. BIC se dit prêt à s’engager si les conditions lui sont favorables. Au local de Banj, où a été organisé le lancement, Andy John W. Antoine raconte que Diskòb est un espace qui devra désormais permettre à un artiste haïtien de vivre intégralement de ses œuvres. « La culture haïtienne vit de la musique. Les artistes font notre fierté en Haïti comme ailleurs. De ce fait, nous avons réfléchi à une alternative qui empêcherait les créateurs de se prostituer », déclare le porteur du projet « Diskòb ».

Un jeune arborant un T-shirt du start-up Diskòb. Photo: Facebook Diskòb

Le plus grand souci des responsables de Diskòb a été, selon Andy Antoine, d’établir un modèle économique permettant aux consommateurs de l’application web et mobile d’acheter facilement les musiques. « Au final, nous avons découvert Cash Mobile, un service de paiement par téléphone mobile. À partir de ce mode de paiement, le client pourra facilement payer l’un des trois plans disponibles sur l’application Diskòb », toujours selon les affirmations d’Andy Antoine. Il révèle que son staff va entamer des pourparlers avec les compagnies de téléphonie mobile du marché pour élargir son service de paiement.

Malgré l’absence de la loi réglementant la production musicale sur Internet, Diskòb a tout de même contacté le Bureau haïtien des droits d’auteur (BHDA). « C’est l’instance légale chargée de résoudre un éventuel cas de conflit entre Diskòb et un créateur sur les droits d’auteurs », prolonge Andy Antoine. Mais, jusqu’ici les marges restent minces, car « il n’y a aucune loi régissant le streaming. »

Le BHDA et les artistes jouent la carte de méfiance

Rejointe par téléphone, Emmelie Prophète, la directrice du BHDA est d’un avis contraire. L’organisme, selon elle, possède toutes les dispositions légales leur permettant d’assurer le droit d’auteur sur Internet. Pour illustrer son propos, la romancière cite le décret de 2005 portant sur le Droit d’auteur en Haïti (PDF). « Ce document fait référence à toute situation de diffusion sans préciser le canal de transmission », dit-elle. Cependant, elle estime que ce sont aux artistes de porter plainte auprès du Parquet lorsque leurs droits sont lésés par une tierce partie. Dans ce cas, si l’artiste est enregistré auprès du BHDA, l’organisme se constituera en partie civile pour l’accompagner dans sa démarche.

Le Bureau haïtien des droits d’auteur dispose actuellement des moyens technologiques permettant de vérifier les contenus diffusés sur les radios locales. « Nous les soumettons régulièrement des rapports », affirme Emmelie Prophète qui révèle que l’institution qu’elle dirige a récemment soumis son dernier rapport trimestriel. Elle estime que c’est aux artistes de se mettre en branle, « de former des syndicats afin de forcer les stations de radio à les payer pour les heures de diffusion », même si elle se rend compte de la fragilité économique qui affecte les médias. Emmelie Prophète croit, cependant, qu’il est du rôle du Parlement de voter des lois réglementant au mieux le marché musical en Haïti.

BIC se montre conscient du rôle que veut jouer le BHDA sur le marché musical en Haïti, mais l’organisme n’est pas encore prêt à assurer pleinement ses responsabilités. « Le problème reste entier malgré la velléité de le résoudre », lâche-t-il. Pour s’assurer plus de protection, l’interprète de «Devan li ye » a inscrit ses œuvres à la Société des auteurs, Compositeurs et Éditeurs de Musiques (SACEM), en France. Cet organisme défend ses droits de diffusion à travers le monde, sauf en Haïti, puisque le pays ne s’est pas encore adapté aux principes de diffusion internationale.

Le streaming, la nouvelle mode de consommation sur Internet

Adieu les plateformes de ventes en ligne. Les internautes préfèrent dorénavant le streaming, cette technique qui permet « de lire un média en direct ». L’intérêt des consommateurs pousse les géants du marché tels que Apple, Spotify, Youtube, Microsoft, etc. à la créativité et la diversification. «En créant les plateformes de ventes en ligne, les géants d’Internet ont réalisé que le flux de vente n’allait pas assez vite. Ils ont donc parié sur le streaming comme alternative économique », lance Aly Acacia.  

Les artistes inscrits sur une chaîne streaming reçoivent un montant ne dépassant pas généralement 1 centime chaque fois qu’un abonné consomme son produit. Ce sont les vedettes comptant une très large audience qui bénéficient gracieusement de ces plateformes. Les artistes haïtiens sont doublement barrés par le manque de structure du marché et la faible audience utilisant l’internet en Haïti.

En effet, les statistiques (2016) d’Internet World Stat, reprises dans l’enquête de Ayiti Mizik, présentent Haïti comme le pays ayant le plus faible taux de pénétration d’internet dans toute la région. Sur 10 228 410 habitants, seulement 1 308 290 utilisent Internet. «Haïti ne peut plus continuer à vivre isolé du monde. Les avancées socioéconomiques et technologiques du monde sonnent l’heure de la grande décision en Haïti », conclut Aly Acacia.

Journaliste et communicateur

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