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La loi du béton est toujours la meilleure !

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Philippe n’avait pas vu la catastrophe venir, sinon depuis bien longtemps il aurait foutu le camp du pays et disparu dans la nature. Voilà que maintenant, il se trouvait dans la merde jusqu’au cou! Le gouvernement haïtien, conduit par une illuminée avait pris une décision folle: on allait juger tous les fonctionnaires et gestionnaires des deniers publics de l’Etat suspectés de corruption durant ces 20 dernières années.

Dès qu’il avait appris la nouvelle dans les couloirs du Parlement, il avait éclaté de rire en croyant à un coup de bluff. Le nouveau président après son premier trimestre au pouvoir, avait sûrement évalué la catastrophe ambulante à la tête de laquelle il s’était fait élire. Et, réalisant que le pays était un chaos et qu’on courrait allègrement vers le néant, il avait tout simplement commencé par faire la première chose que nos hommes d’Etat faisaient pour cacher leur incompétence ou leur incapacité: de la diversion.

Mais lorsque le processus commença à se mettre en place, le gouvernement l’appuya en y mettant tous ses moyens. Valérie Paratonnerre, la Ministre de la Justice se disait responsable de juger ceux qui avaient mis le pays à genoux, et elle semblait prête à aller jusqu’au bout de sa lubie! Lorsque Philippe s’est rendu compte que c’était du sérieux, il avait commencé avec ses collègues parlementaires à rassembler les troupes, d’abord pour convoquer la Ministre et son supérieur hiérarchique à venir s’expliquer au Parlement. Ces derniers y avaient répondu certains du bien-fondé de leur décision et conscients de leur force avec une majorité dans les deux chambres. Ce fut au grand désarroi de la Commission Justice du Parlement, à qui ils exposèrent durant deux bonnes heures toutes les raisons et preuves qui les poussaient à initier une telle démarche.

La majorité des membres du Parlement, étaient conscients que si cette illuminée allait jusqu’au bout de sa bêtise, qu’ils resteraient intouchables car protégés par l’immunité. Mais, ils avaient des boss ayant fait partie d’anciens gouvernements ou des personnes qui travaillaient encore dans la fonction publique qu’ils devaient protéger, protégeant ainsi leurs propres intérêts… Car en vérité, ces procès auxquels la ministre de la justice se referait comme le « Procès du Siècle », avaient créé la panique dans les plus hautes sphères de l’Etat et du secteur privé; dans l’esprit des hommes et des femmes qui avaient tété goulûment les mamelles de la vache maigre et qui se croyaient à l’abri après deux décennies.

Les concernés par le Procès du Siècle avaient d’abord commencé par appliquer la formule «Chak koukouy klere pou je w». Quelques-uns avaient quitté le pays dès que la nouvelle était tombée. Ceux-ci faisaient partie de ceux qui savaient que Valérie Paratonnerre était de la génération des politiques qui se prenaient pour Dessalines, prête à mourir pour une cause. Et cette cause, serait son cheval de bataille.

Puis, ils avaient eu une illumination et comprirent ce que signifiait ce slogan ridicule sur le drapeau haïtien: l’union fait la force. Alors, partout dans le pays les concernés se mirent à se concerter pour décider de la stratégie à adopter pour faire échec à ce qui semblait être passé du stade de projet à réalité. On se réunissait discrètement dans des restaurants huppés de la république, dans des villas dans les hauteurs de Port-au-Prince… c’était une vraie valse. Lors d’une réunion, un parlementaire proposa qu’on organise un colloque de trois jours pour débattre de la stratégie à adopter, on le traita d’imbécile. “Tant que nous y sommes pourquoi ne pas inviter la presse? », avait craché un important commerçant de Jacmel.

Certains gros potentats qui tenaient sous leurs griffes l’économie du pays, convoquèrent des parlementaires pour leur rappeler que si l’un d’entre eux tombaient qu’ils tomberaient aussi, ou encore pour leur rappeler le montant de la facture de leur campagne électorale et la provenance de l’argent qui l’avait financée. D’anciens parlementaires, ministres et fonctionnaires de l’Etat se croisaient dans des couloirs d’hôtels en échangeant des regards inquiets de bêtes traquées. Tout ce beau monde finit par se mettre d’accord sur une stratégie. Il ne manqua que la cérémonie du Decameron pour sceller leur décision.

La première étape fut donc la convocation et la destitution de Valérie Paratonnerre. Ils avaient décidés de l’accuser de persécution politique. Crime de haute trahison envers ceux qui avaient servis l’Etat avec abnégation. Mais d’abord il fallait semer le chaos question de détourner l’attention de la population … La montée de l’insécurité fut un excellent prétexte pour démontrer l’incompétence de Paratonnerre.

Ils commencèrent leur campagne avec une force de frappe qui avait su prouver sa capacité depuis le départ de Duvalier: le béton. Des shaloms se mirent à circuler dans les maisons de familles, les bidonvilles de Port-au-Prince, de l’Artibonite, du Cap et des Cayes sans oublier Les Gonaïves, bastion de la stratégie bétonique.

L’égalité de genre et le salaire minimum d’un coup devinrent réalité : on payait indistinctement hommes et femmes 1000 gourdes par jour pour prendre le béton. Pour la population de ces villes, ce fut une vraie manne, elle qui vivait avec moins de 64 gourdes par jour. On leur intima l’ordre d’aller défendre leur liberté, leurs vies. Rele anmwey, rele aba ! Il fallait faire tomber cette femme qui venait servir la cause de la bourgeoisie. C’était quand même évident qu’étant une grimèl, elle ne venait que faire la chasse au pitit sòyèt et détruire l’œuvre du Dr. François Duvalier qui avait su  évincer les mulâtres de la classe politique haïtienne avec maestria.

“Avec tous les problèmes que nous connaissons nous, habitants des bidonvilles:  le chômage, la faim, l’insécurité, le manque d’hôpitaux, pas d’écoles pour nos enfants, comment cette femme peut-elle nous parler de procès, RIDICULE!” avait vociféré Philippe en haranguant les chefs de file des cités qui allaient faire trembler le béton.

Ceux-ci n’étant pas cons avaient compris que cela faisait longtemps que Philippe ne partageait plus les mêmes problèmes qu’eux et que cette lutte n’était pas la leur. Mais puisque les hommes comme Philippe étaient ceux grâce à qui de l’argent arrivait dans les cités – même si c’était seulement quand ils avaient besoin de leurs habitants pour déchaîner la violence- et que foutre la majorité de ces hommes en prison signifierait un énorme manque à gagner pour eux, ils acceptèrent.

La première journée du pran beton fut le premier jour de classe pour mieux flanquer la pagaille et annoncer la couleur. Les médias en parlèrent comme d’une journée noire, certains leaders d’opinions firent comme s’ils n’arrivaient pas à comprendre pourquoi une partie de la population manifestait parce le gouvernement avait décidé de juger des personnes qui avaient pillé les caisses de l’Etat.

Lorsque Momo du haut de ses dix ans vit les images à la télé, il se tourna vers sa mère et demanda: “Maman, c’est pourquoi cette manifestation?” Sa mère, Lou, chercha prudemment ses mots, incapable d’expliquer l’absurdité de la situation: “Vois-tu mon chéri, on va faire comme dans tes histoires de bandes dessinées et imaginer que c’est une manifestation… contre la corruption.”

Jowànn

Image: Jean Marc Hervé Abelard

J'écris parce que le monde est dégueulasse. Le jour où il ne le sera plus, je me mettrai au chant!

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