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La DINEPA utilise quatre fois plus de «clorox» pour traiter l’eau de P-au-P à cause des dégradations

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Les constructions anarchiques du morne l’Hôpital mettent en péril les sources qui alimentent Port-au-Prince en eau potable

Outre l’exploitation de l’eau de la nappe phréatique de la Plaine du cul-de-sac, la région métropolitaine de Port-au-Prince est alimentée en eau potable par dix-huit sources.

Situées au pied du morne l’Hôpital, ces sources s’étendent de Mariani, dans la commune de Carrefour, à Route de Frères et à Pétion-ville.

Sur ces dix-huit sources, une est déjà fermée et quatre autres sont sur une mauvaise pente, indique le directeur de l’Office régional de l’eau potable et de l’assainissement de l’Ouest (OREPA – Ouest), Raphaël Hosty.

L’urgence demeure palpable selon les estimations de l’OREPA-Ouest. « La dégradation de l’environnement est si désastreuse aujourd’hui que [le débit de] la majorité des sources que nous avons au pied du morne l’Hôpital diminue de 50 % en moins de vingt ans ».

La diminution du débit des sources est due aux constructions anarchiques qui ont envahi le morne précise Dominique Francisque, responsable des bassins versants au Ministère de l’Agriculture, des Ressources naturelles et du Développement rural (MARNDR).

« Les arbres favorisent le remplissage de la nappe aquifère lorsqu’il pleut, tandis que les maisons favorisent le ruissellement de ces eaux. Donc, plus il y a d’arbres sur les bassins versants, plus il y a infiltration d’eau et plus la nappe est alimentée. Plus il y a de maisons, plus il y a de ruissellement et moins il y a d’eau dans les sources », explique Dominique Francisque.

Pour vérifier les débits et la salinité des eaux en Haïti, il est confié à l’Unité Hydro métrologique (UHM) la tâche de réaliser chaque semestre, des études piézométriques des sources et nappes phréatiques du pays.

Le coordonnateur de cette structure, Marcelin Esterlin dévoile que faute de moyens et à cause de l’insécurité, l’UHM n’a jamais procédé à l’évaluation des sources du morne l’Hôpital.

Surplus de matières fécales dans les sources

L’OREPA-Ouest est l’une des quatre entités régionales de la Direction nationale de l’eau potable et de l’assainissement (DINEPA). Selon son directeur, Raphaël Hosty, les constructions anarchiques qui colonisent le morne hôpital impactent non seulement la quantité, mais aussi la qualité de l’eau que la région métropolitaine de Port-au-Prince utilise pour assouvir sa soif.

« Contre deux tonnes de chlore nécessaires par le passé pour traiter l’eau destinée aux ménages, nous sommes passés aujourd’hui à environ huit tonnes pour contrecarrer certains problèmes physico-chimiques, dus notamment à la présence de matière fécale dans les captages ».

Mais la solution du chlore n’est pas la meilleure non plus. « Il y a une quantité de chlore à ne pas dépasser dans le traitement de l’eau. Ainsi, quand la concentration des éléments physico-chimiques devient insoutenable, on ne peut que passer à la phase de fermeture de la source », explique le directeur de l’OREPA-Ouest.

Lire aussi: P-au-P risque une pénurie d’eau à cause de suspicions de corruption à la DINEPA

La « source Cerisier », située dans la zone de Juvénat à Pétion-Ville, n’est ainsi plus fonctionnelle. Une autre source, « Plaisance », en amont de la rivière « Bwadchenn », prend déjà la « route critique » parce qu’elle se trouve en contrebas de Jalousie, s’alarme Raphaël Hosty.

Sur la liste des points d’eau à risque, Hosty cite « Tête de l’eau » à Pétion-Ville, « Tunel » à Carrefour Feuille, et la source de Turgeau.

La contamination des sources du morne l’Hôpital est due au manque de respect des périmètres de protection, analyse l’agronome Etienne Staillev. Il a travaillé comme chef de service d’aménagement et de supervision à l’Organisme de Surveillance et d’Aménagement du Morne Hôpital (OSAMH), entre 2012 et 2014.

« Aujourd’hui, puisque ces périmètres sont bâtis anarchiquement, l’eau, même bouillie, ne sera pas de bonne qualité, car elle est remplie de coliformes-totaux », regrette le spécialiste en ressources naturelles.

Il rappelle que selon le décret de 1986, le propriétaire d’un terrain dans la partie protégée du morne hôpital n’a le droit de construire une maison que sur 30 % de sa parcelle. Le reste doit être consacré à la végétation.  

La politique du laisser-faire

La nonchalance de l’Etat est une cause principale de la dégradation du morne l’Hôpital, selon le responsable des bassins versants au MARNDR, Dominique Francisque.

Il souligne que les autorités politiques, incapables de prendre des mesures impopulaires par souci de garder le pouvoir, n’ont jamais laissé l’occasion aux techniciens de faire respecter les normes en vigueur en matière de construction en montagne.

Etienne Staillev se souvient encore de l’intervention de Jacques Édouard Alexis comme ministre de l’Intérieur dans la zone de Jalousie à Pétion-Ville. Voulant résoudre le problème de « Ravin Loye » qui déverse sur la route de Juvénat, le ministre s’est rendu dans la zone.

Cependant, un certain populisme de l’administration en place l’aurait empêché de venir à bout du problème démographique.

À cause de cette irresponsabilité de l’Etat, l’ancien « Château d’eau » de Port-au-Prince est devenu aujourd’hui « un véritable casse-tête », selon Dominique Francisque, surtout que le MARNDR n’intervient pas au niveau du morne.

Tâtonnement à tous les niveaux

Une loi a fait du morne hôpital une « zone protégée » le 27 août 1963. On a fini par déclarer la zone d’utilité publique par arrêté en 1978. Cependant, l’Etat haïtien fait marche arrière en 1979, en adoptant un autre arrêté reléguant le morne au statut de « zone protégée ».

Selon l’agronome Staillev, cette décision a été prise parce que l’Etat n’avait pas assez de moyens pour dédommager les propriétaires des domaines privés du morne.

En 1986, l’Etat fait un second bond en arrière en déclarant le morne de « zone d’aménagement spécial ». C’est pour répondre à cet « aménagement spécial » qu’un décret a créé l’OSAMH. Cette structure devait surveiller une superficie de 2 000 hectares, représentant la partie nord du morne. La partie placée sous la surveillance de l’OSAMH s’étend de Morne Calvaire, à Pétion-Ville, jusqu’à Diquini dans la commune de Carrefour.

Selon Etienne Staillev, l’OSAMH est aujourd’hui une structure morte. Il n’y a aucune rencontre entre les cinq ministres qui forment son conseil de direction, alors que le décret créant l’OSAMH prévoit une réunion chaque semestre.

Le ministre de l’Intérieur, le ministre des Travaux publics, le ministre de l’Agriculture, le ministre de la Justice et le ministre des Finances sont les responsables de l’OSAMH.

D’un autre côté, Staillev indexe la présence de groupes armés, la faiblesse institutionnelle et la limitation du budget de l’OSAMH comme les principaux défis à la gestion du morne.

Mais parfois, le désordre est provoqué par ceux qui ont la responsabilité de mettre de l’ordre. Etienne Staillev se souvient de sa surprise, alors qu’il était chef de service d’aménagement et de supervision à l’OSAMH.

« Un jour nous avons été informés qu’un particulier voulait créer une route sur le flanc même du morne l’Hôpital, raconte-t-il. Quand nous sommes arrivés sur les lieux, nous avons saisi un loader qui travaillait sur le chantier. Il appartenait au ministre de la Justice de l’époque. Il avait loué son engin à quelqu’un qui voulait endommager le morne alors qu’il est membre du conseil d’administration de l’OSAMH. »

Samuel Celiné

Photo couverture: Haiti Reporters

Cet article a été mis à jour avec des précisions sur la création d’une « zone protégée » au morne l’Hôpital. 13.41 22.09.2020

Poète dans l'âme, journaliste par amour et travailleur social par besoin, Samuel Celiné s'intéresse aux enquêtes journalistiques.

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