À
Derrière le Bicentenaire, à un jet de pierres de la Primature, il n’est pas encore 10 heures, ce matin. Un couple s’enlace dans une mer placide. On dirait les amoureux d’un classique hollywoodien. L’absence du moindre alizé, de sables fins sous les pieds ne semble pas altérer leur passion. Mais hélas, le plaisir n’aura duré que cinq minutes. Autour d’eux, flottent des préservatifs comme les drapeaux d’un match de foot. La fille, torse presque nu, slip
Les rapports sexuels sont une marchandise comme une autre, sur ce site abandonné qui porte un nom aux résonnances anciennes:
Malgré le poids des poussières, la
L’aprè
Tout à coup, deux jeunes filles s’avancent. La petite Sheelove, au premier plan. Ici, elle est connue – elle a laissé l’école en 3e secondaire parce qu’impécunieuse. Silhouette fluette, piercing sur le nez, elle se livre à des déhanchements en cascade au rythme d’un « rabòday » (4) pimenté en face du Fan’s club. L’autre, aux fesses rebondies, s’y met aussi. Mais timidement. « 250 gourdes, l’amour », lâche, d’entrée de jeu, Sheelove, d’un sourire de môme. À seulement 19 ans, Sheelove, exhibant fièrement un tatouage
Rue Capois… Delmas: la prostitution des trottoirs.
On monte le long de la rue
On emprunte la route de Nazon – dont les bordures sont remplies de bicoques – jusqu’à la bouche béante de Delmas, carrefour de l’aéroport où un pont à étagement peine à prendre corps depuis plus d’une année. En plus d’être fluide, l’artère est calme, éblouie par des lampadaires géants alors que des maisons aux alentours semblent noyées dans l’obscurité. À l’entrée de Delmas 41, des filles se vendent aussi.« 500 gourdes, ça marche », comme l’indique cette Haïtienne, 36 ans, bel embonpoint, qui regrette son choix.« Je déteste cette femme que je suis devenue », ré
Le plaisir multicolore de Pé
On monte, on monte, on monte.
– Mesye an al fèl, an n ale. (5)
– C’est où alors?
– Dans votre voiture ou alors dans ce corridor, répond l’une d’elles.
– Mais non, c’est incroyable, rétorque le client à bord de sa Suzuki blanche.
– Vous pouvez vous payer une chambre d’hôtel, si vous voulez, relance la fille d’un sourire goguenard. Le monsieur, dans un hochement de tête, redémarre à tombeau ouvert, laissant derrière lui des prostituées toutes logées à l’enseigne de la vulnérabilité.
Bien que leurs histoires soient différentes les unes des autres, les travailleuses du sexe sont unies pour la même cause: survivre. Léa, 32 ans, scotchée à une grille d’un restaurant huppé de la ville, se lâche, comme d’autres avant elle. Ici où mille gourdes peuvent faire l’affaire, tout n’est pas rose, tout n’est pas noir non plus. « Je joue ma vie ici depuis l’assassinat de mon mari en République dominicaine en 2008. C’est moi qui me charge, depuis, de mes deux enfants »,
À quelques pas de Léa, au Saxo club, rue Rigaud, la différence est sidérante. Les clients déposent leurs effets dans un casier sous le regard soutenu d’un agent de sécurité. Ils pénètrent dans la petite cour agrémentée d’une superbe piscine autour de laquelle des chaises sont rangées en
On s’arrête un peu, le temps d’une bière dans ce business qui,
Hier «
Un peu plus haut, à la rue Lambert, Doll House. « C’est magnifique », lance tout de go un visiteur épris du décor. Si les clients n’y sont pas légion en ce lundi soir frisquet, rien n’altère pour autant l’élégance des filles emportées dans des déhanchements fous, ensorcelants. À l’intérieur, tout s’écrit en espagnol. Défilent des blondes aux cheveux frisés qui stimulent les clients; on observe des scènes érotiques dans une petite salle vitrée destinée aux VIP…Même tarif qu’au Saxo: 100 dollars américains pour deux heures et 150 pour une idylle de dix heures de temps. Darling, une Dominicaine de 29 ans, dit avoir atterri en Haïti grâce à une compatriote qui lui a fait miroiter des jours plus cléments. C’est le cas alors? « Après déjà un mois au pays, je peux donc dire: un peu oui »,
« Même pour voir une fille danser nue devant nous, vous avez besoin de mille gourdes », dit un Pé
Comme Darling, à Doll House, elles sont plus d’une vingtaine de Dominicaines à tirer leur épingle du jeu au grand marché de la prostitution, encadré par aucune loi, où les Haïtiennes se calent dans la vulnérabilité, tantôt dans des bordels crasseux, tantôt sur des trottoirs. Qu’
Lui aussi n’occulte pas le fait que les Dominicaines – une fois qu’elles atteignent la trentaine – sont souvent renvoyées au bas de la ville. De cette plongée dans les entrailles, qui mène des cimes à l’océan, où l’argent se raréfie plus on s’approche de l’eau. Sur le littoral de
Vivant à Cité Soleil, la native de Jacmel dit venir à
Juno Jean Baptiste
Images: Jeanty Junior Augustin
Après avoir remporté un prix à la Fokal à
Port-au-Prince avec cet article, Juno Jean Baptiste et Jeanty Junior Augustin viennent d’être récompensés du prix Philippe Chaffanjon en France le 2 avril 2015 dernier.
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