Ce projet occasionne l’un des plus importants mouvements de solidarité populaire d’Haïti et de sa diaspora depuis le tremblement de terre du 12 janvier 2010
Président du Centre Investigation et Sécurité du Canada (CISC) et de l’Académie de sécurité du Québec, Michel Hilaire, un entrepreneur haïtien vivant au Canada, dit avoir donné un million de gourdes ainsi que divers outils pour appuyer la construction du canal sur la rivière Massacre.
Lancé en 2021, mais arrêté en marge de l’assassinat de Jovenel Moïse, le projet pour établir une prise d’eau au niveau de Pittobert afin d’arroser 3 000 hectares de terres de la plaine de Maribaroux a été relancé par la population de la zone à la fin du mois d’août 2023.
Si les Dominicains, avec qui Haïti partage la rivière, affichent leurs objections — le président Luis Abinader a en représailles fermé, puis partiellement rouvert la frontière — le projet occasionne l’un des plus importants mouvements de solidarité populaire d’Haïti et de sa diaspora depuis le tremblement de terre du 12 janvier 2010.
Sur place, la sueur se mêle aux chants, rythmant les efforts de centaines de citoyens de la zone et d’ailleurs. Tous disent leurs déterminations : «Kanal la p ap kanpe», répondent-ils aux multiples demandes d’arrêts des travaux lancés par le président dominicain, Luis Abinader, dont l’administration avait précédemment admis la régularité de la construction dans une note publique sortie le 27 mai 2021.
Comme plusieurs autres Haïtiens de la diaspora, Michel Hilaire s’est personnellement rendu sur place le 13 octobre 2023 pour constater l’avancée des travaux après avoir remis la partie cash de sa contribution à la chanteuse Anie Alerte, un des nombreux points de contact des supporteurs.
Mais l’entrepreneur veut aller plus loin. Il initie le 26 septembre le «Mouvman Kanal Pap Kanpe» (MKPK) à Montréal en vue de collecter des fonds. À terme, il espère mettre sur pied une banque agricole communautaire au service des planteurs afin de renforcer la production agricole dans la plaine de Maribaroux.
Un comité de gestion des Fonds pour le canal est mis sur pied le 19 septembre 2023 pour recevoir et gérer une partie de l’argent et des dons reçus. Selon l’avis de son trésorier, Gaston Étienne, la construction de l’ouvrage représente « la récupération de la dignité nationale ».
Au 6 novembre 2023, le comité a reçu plus de 23 millions de gourdes et 94 000 dollars américains selon leur plateforme en ligne de collecte de fonds. Les dépenses s’élèvent à dix-sept millions de gourdes.
Des membres de la population ont mis des entrepôts à la disposition du comité pour stocker les dons de matériaux, selon le comité.
Des ingénieurs volontaires sont chargés de sélectionner la main-d’œuvre qualifiée pour travailler sur le chantier. Les travailleurs reçoivent entre 3 000 à 7 500 gourdes par semaine et au moins un plat chaud par jour, confie Gaston Étienne à AyiboPost.
La multiplication d’initiatives privées de collectes de fonds au nom du canal inquiète sur le chantier et soulève des questions de redevabilité, selon des entrevues menées par AyiboPost auprès d’acteurs du projet. La chanteuse Anie Alerte a été contactée par AyiboPost avant publication, mais elle n’a pas répondu aux sollicitations.
Plusieurs dizaines d’agents de la «Brigade de Sécurité des Aires protégées» (BSAP) se relaient pour sécuriser le chantier. Ils reçoivent des dons directement pour leurs présences, selon le comité.
«Nous ne nous laissons pas intimider par la parade des soldats dominicains», déclare à AyiboPost un agent BSAP qui ne souhaite pas que son nom soit cité. L’homme affirme travailler depuis plusieurs années sans rémunérations. Il se réjouit de «recevoir à manger et à boire» de la population.
Des agents affectés au Conseil d’administration de la section communale Haut-Maribaroux participent également à la sécurisation du site de travail, selon le porte-parole du Conseil, Bijoux Benson.
Le mardi 7 novembre, les autorités dominicaines ont effectué une démonstration de force à la frontière. À Ouanaminthe, des soldats ont franchi un mur – considéré dans la zone comme une ligne de démarcation entre les deux pays – tandis qu’au moins un hélicoptère sillonnait le ciel.
Dénio Ulysse, un habitant de Bas-Maribahoux présent sur les lieux, a dénoncé l’irruption d’environ quarante militaires dominicains sur le « territoire national », ce qui pourrait être assimilé à une violation de l’intégrité de l’espace haïtien.
« Les agents de la BSAP étaient complètement désarmés, à l’exception d’un seul qui a été rapidement maîtrisé par près de trente militaires dominicains », souligne Ulysse.
Suite à cet incident, le directeur du Nord’Est de la BSAP, Samson Camiel, a été physiquement agressé par la population d’Ouanaminthe car il avait désarmé les membres du corps un peu plus tôt dans la matinée, rapporte Ulysse.
Il n’est pas clair si les soldats dominicains ont effectivement foulé le sol national.
Pour Edwin Paraison, ancien ministre des haïtiens vivant à l’étranger et ancien consul d’Haïti en République Dominicaine, « la clôture n’est pas la frontière ». Le docteur Maismy-Mary Fleurant va dans le même sens. Selon ce chercheur, dont certains travaux portent sur la frontière, la République dominicaine a construit son mur à trois ou cinq mètres de la ligne de démarcation. De plus, l’espace entre le mur et les bornes frontalières, où patrouillent les soldats dominicains, appartient à la république voisine, et non à Haïti, affirme le spécialiste.
Il est à noter que les Dominicains ont franchi la frontière en 2021 pour intimider les travailleurs du canal.
La mairie de Ouanaminthe n’est pas impliquée dans les travaux, d’après le trésorier du comité de gestion des Fonds pour le canal Gaston Étienne. Contacté par AyiboPost, le magistrat Demetrius Luma n’a pas répondu aux demandes d’interview.
Le gouvernement veut s’impliquer dans la construction du canal, devenu un contentieux diplomatique avec le pays voisin.
Le samedi 28 octobre 2023, une réunion entre une équipe technique engagée par le comité du canal et une délégation envoyée par le gouvernement a été avortée. D’après des membres du comité, cette rencontre a été soldée en échec par rapport à la présence des figures politiques locales décriées par la population.
L’initiative bénéficie d’une forte présence féminine. Certaines comme Emmeline Anténor, 22 ans et originaire de Cerca-Carvajal, dans le département du Centre, arrivent sur le chantier à la faveur de l’actualité.
Pourtant dès son arrivée, Anténor rapporte avoir été happée par « l’ambiance du travail collectif et la détermination de tout un chacun pour la construction du canal ».
Milourie Sylfrard se distingue par sa fougue et son savoir-faire. Originaire de Mont-Organisé, commune du Nord-Est, la dame travaille comme contremaître sur le chantier.
Le projet, selon Milourie Sylfrard est d’une « importance capitale puisqu’il permettra de renforcer la production agricole pour la consommation locale. »
Un argument repris par Joasa Jésula, habitante de Ferrier. S’engager dans le projet représente « la meilleure façon de donner sa contribution pour l’irrigation prochaine de la plaine Maribaroux, réputée dans la riziculture », dit-elle à AyiboPost.
À cause de la pénurie d’eau en cours dans la plaine, Jésula révèle avoir perdu la saison dernière, des récoltes de riz évaluées à 200 000 gourdes. « Je travaille ici gratuitement, tout ce que je veux c’est la finalisation du canal », déclare-t-elle.
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Par Rolph Louis-Jeune & Jean Feguens Regala
Junior Legrand a participé à ce reportage
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