Pour la énième fois, le président de la République crée un comité pour organiser le dialogue entre Haïtiens. Retour sur les infructueuses tentatives du chef de l’État pour mettre en place cette concertation tant recherchée, mais toujours pas trouvée.
C’est un leitmotiv. Depuis son accession au pouvoir, le président de la République, Jovenel Moise, n’a cessé de clamer sa volonté d’organiser un dialogue entre Haïtiens. Pour matérialiser cette volonté, le chef de l’État a déjà effectué diverses tentatives. Pourtant, commission après commission, comité après comité, le dialogue est au point mort. Pendant ces deux dernières années, le pays a à plusieurs reprises connu des situations qui montrent clairement que cet échange recherché, s’il est nécessaire, n’est pas sur la bonne voie.
L’idée de rassembler tous les acteurs de la vie nationale autour d’une même table n’est pas nouvelle. Son échec non plus. Si aujourd’hui encore la concertation nationale est un sujet d’actualité, c’est parce qu’elle n’a jamais vu le jour. Depuis Turneb Delpé, ancien sénateur de la République, grand défenseur de la conférence nationale haïtienne, jusqu’à Jovenel Moïse, les différentes tentatives politiques d’organiser le « chita pale » se sont révélées vaines.
États généraux sectoriels : un échec lamentable
Les États généraux sectoriels constituent la première tentative du président Jovenel Moise. Déjà lors de sa longue campagne électorale, il annonçait vouloir organiser ces rencontres où tous les secteurs de la société seraient représentés. Installé le 28 mars 2018, le comité de pilotage et d’organisation des États généraux a connu des démissions en cascade en moins de 3 semaines. Monseigneur Louis Kébreau, son président, Michèle Duvivier Pierre Louis, Jacques Édouard Alexis ont chacun renoncé à leur charge au sein du comité de pilotage. C’était donc un organisme mort-né, décrié dans sa mise en place, tentant tant bien que mal de réaliser une promesse électorale.
Le secrétaire exécutif des États généraux, Dr Louis Naud Pierre, a constaté l’échec. Dans une entrevue accordée à Ayibopost, il dresse la liste des difficultés rencontrées. Par la même occasion, le docteur Naud a dénoncé le manque de volonté des acteurs politiques de s’asseoir et l’égoïsme des membres du comité qui selon lui ne défendent que leurs propres intérêts. Près d’un an après, plus personne n’entend parler de cette structure qui était censée mener les États généraux de la nation.
Deux missionnaires pour une seule mission
Après les manifestations meurtrières du 18 novembre 2018, dans une adresse à la Nation, Jovenel Moise a demandé à son Premier ministre Jean-Henry Céant de prendre toutes les mesures nécessaires pour lancer un processus de dialogue. En parallèle, le président a aussi confié au maire des Cayes, Jean Gabriel Fortuné, la mission d’amener les acteurs de la crise à la table des discussions.
Pour beaucoup, c’était la marque d’un manque de confiance dans les capacités de Jean Henry Céant à conduire le « prédialogue », qui devait aboutir au lancement du dialogue national le 7 février dernier. D’ailleurs, le 22 janvier 2018, au Centre de convention de la BRH où le forum était lancé par le Premier ministre, Jovenel Moise a publiquement montré son insatisfaction des efforts de la Primature. Selon le chef de l’État, certains acteurs importants n’étaient pas présents lors de l’évènement.
L’échec ne fut pas total cependant. Le chef du gouvernement a pu formuler une proposition dite « pacte de gouvernabilité », constituée de 7 grands points, allant de la politique à la justice. Le second émissaire, Gabriel Fortuné, a lui aussi remis son rapport, dans lequel figurent une dizaine de points.
Après l’opération « peyi lòk » lancée le 7 février dernier par des membres de l’opposition politique, le président Moïse a estimé qu’il fallait emprunter à nouveau le chemin du dialogue. En ce sens, il a désigné « Religions pour la paix » comme médiateur dans les pourparlers entre pouvoir et opposition. Avec encore dans la bouche le goût amer de ses tentatives de médiation sous l’ancien président Michel Martelly, la plateforme interreligieuse a cependant décliné l’invitation.
Jovenel Moise prend les rênes
Face à ces insuccès, Jovenel Moise a décidé d’ouvrir les échanges lui-même en initiant fin février début mars 2019 des consultations avec d’anciens chefs d’État comme Jocelerme Privert, Boniface Alexandre, et des membres du secteur économique. Entre-temps, un nouveau comité dénommé Comité de facilitation du dialogue interhaitien a été créé. En l’espace de 90 jours, ce comité devra fournir au président des solutions conjoncturelles et structurelles capables de sortir le pays de la crise sociale et économique dans laquelle il s’enfonce chaque jour davantage.
En plus, ce comité doit aussi s’impliquer dans un processus devant conduire à « la mise en place d’un gouvernement inclusif à même de répondre aux aspirations de la population », selon le communiqué de presse annonçant son installation. Ce mandat extensif menace sa pérennité. Le nouvel organisme a déjà enregistré une démission, celle de Charles Suffrard qui dénonce la mission confiée au comité de faciliter l’avènement d’un nouveau gouvernement.
Un « dialogue » sans vis-à-vis
Le secteur démocratique et populaire, ainsi que les autres groupements d’opposition ont toujours décliné leur participation aux échanges demandés par le président de la République. Pour eux, aucun dialogue n’est possible sans la mise en jeu du mandat présidentiel : d’abord la démission de Jovenel Moise, ensuite le dialogue.
Cette attitude est l’une des raisons pour lesquelles aucune discussion n’a jusque-là été entamée entre le pouvoir et la branche intransigeante de l’opposition politique. Il faut aussi noter que les petrochallengers, s’ils ne sont pas en opposition catégorique au pouvoir, exigent que la lumière soit d’abord faite sur l’implication du président dans le scandale Petrocaribe, avant toute initiation de dialogue
Jameson Francisque
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