Les motocyclettes ont envahi les rues du pays depuis presque une décennie. Être chauffeur de moto est devenu un emploi à temps plein qui, pour certains, rapporte assez d’argent pour assurer le quotidien de leur famille.
Julien Junior, dit Jojo, conduit une moto-taxi depuis plus de cinq ans. Sa « base », la station d’où il attend ses clients, est à Delmas 33. Là, entouré de ses collègues qui comme lui s’adonnent à la moto, il se sent chez lui, à son aise.
Envers cet homme très gentil, on éprouve tout de suite de la sympathie. Comme il se plaît à le dire, il est l’homme de tout le monde. Ce père de famille passe le plus clair de son temps à sillonner les rues de Port-au-Prince qu’il connaît comme sa poche. Ses clients, nous assure-t-il, le connaissent. Lui aussi, il a la mémoire des visages.
« La première fois que je rencontre un client, j’essaie de le mettre à l’aise, raconte-t-il. Je lui parle de moi, je prends de ses nouvelles. Cela crée des liens. La prochaine fois qu’il aura besoin d’une moto, il me choisira. » Pour lui, conduire une motocyclette est un vrai métier.
Un revenu non négligeable
Une motocyclette neuve coûte entre 65 000 à 75 000 gourdes. Pour Julien qui est père de famille, il s’agit d’un gros investissement. Il l’a obtenue à la fin d’un contrat avec un propriétaire à qui il devait rapporter 250 gourdes par jour pendant un an. « Quand les affaires marchent bien, je rentre chez moi avec 1 500 gourdes au moins, après les dépenses en carburant. En période de vache maigre, il me reste entre 500 à 750 gourdes. En milieu de journée j’apporte un peu d’argent à ma femme », explique Julien.
1 500 gourdes par jour, c’est environ 45 000 gourdes par mois. Il y a les réparations à effectuer et des imprévus, mais c’est une somme qui permet de vivre. Pourtant, comme beaucoup d’autres Haïtiens avant lui, Jojo est parti pour le Chili.
Chili lui a tout pris
En septembre 2017, Julien Junior embarque dans un vol de la compagnie aérienne Law à destination de Santiago, capitale du Chili. « J’ai vendu ma moto. J’ai aussi pris part à un « sòl » pour réunir l’argent ».
Contrairement à d’autres compatriotes qui sont partis au Chili, plus de 100 000 cette année-la, Jojo avait des amis qui l’attendaient. Les premiers jours, il a essayé de s’acclimater. Un mois après, en octobre 2017, il est obligé de rentrer au pays parce qu’il n’a pas trouvé de travail. L’expérience chilienne l’a complètement ruiné. Sans moto, il n’a plus les moyens de subvenir aux besoins de sa famille.
Quelques mois après son retour, il loue une moto et revient parmi ses camarades qui l’accueillent avec des moqueries quotidiennes. « C’est dur de travailler pour un patron quand on a eu sa propre moto », souligne-t-il amèrement. Mais il attend avec impatience le jour où son contrat prendra fin. La moto deviendra sienne. Il ne pense pas à quitter le pays, du moins, pas pour le moment.« J’ai appris », dit-il, en hochant la tête.
La migration haïtienne au Chili
Les Haïtiens ont toujours tenté de laisser le pays en quête de meilleures conditions de vie. En 2017, environ 400 Haïtiens sont arrivés au Chili chaque jour. Cela fait bien plus de 100 000 immigrants attirés par la relative santé économique de ce pays, 44e PIB mondial en 2016. Dans une économie dont le taux de chômage oscille entre 6 et 7 pour cent en 2018, ils espèrent trouver du travail. C’est sans compter des difficultés comme la discrimination à laquelle ils font souvent face.
Jojo n’est qu’une victime de plus d’un pays qui ne prend pas les bonnes décisions pour assurer le quotidien de sa population. Julien Junior n’était pas riche, mais il pouvait manger à sa faim. Pourtant il a cru que partir serait le mieux pour lui. Qu’en est-il de ceux qui n’ont aucune activité génératrice de revenu? Notons que depuis trois mois environ, les autorités chiliennes ont lancé un programme de retour volontaire pour les ressortissants haïtiens qui le souhaitent.
Jameson Francisque
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