Régulièrement, la PNH diffuse les photos de suspects sur les médias sociaux sans confirmation de leur culpabilité. C’est une violation de leurs droits.
Il était minuit environ le 28 aout dernier. Des fêtards, jeunes et moins jeunes, étaient perdus dans une ambiance bruyante à Albert Jorde, situé entre Caradeux et Puits-Blain. Les uns buvaient. D’autres chantaient et dansaient. Le moment s’y prêtait. C’était l’anniversaire de « Choumie », une jeune demoiselle venue à peine des États-Unis.
Soudain, une rafale d’armes automatiques se fait entendre dans les parages. La foule s’est dispersée pour se mettre à l’abri.
La suite relève de la controverse.
Sur son compte Facebook, la Police Nationale d’Haïti rapporte une quarantaine d’arrestations, une dizaine de morts dont un des leaders du dangereux gang Krache Dife et plusieurs équipements saisis.
Sur internet cependant, une histoire bien différente se racontait. Des internautes influents dénonçaient une intervention musclée, à peine professionnelle, ayant abouti à l’arrestation puis la publication sur internet de photos de citoyens innocents, parmi d’autres potentiellement membres de gang.
Trois artistes appréhendés ce soir-là ont depuis été libérés, sans qu’aucune charge soit retenue contre eux. Ce qui, sans remettre en cause l’opération en elle-même, suggère une utilisation abusive de la diffusion d’image de suspects dans le cadre des enquêtes de la police. D’autant plus que les images persistent sur le compte Facebook de la PNH, même après la libération des concernés.
Selon les experts, ce comportement de l’institution policière est une sorte de procès « préjudiciaire », prohibé par la législation haïtienne qui diffère les compétences de la PNH de celles du ministère de la Justice et de la Sécurité publique, duquel elle est auxiliaire.
« La Police nationale d’Haïti viole le droit de ses inculpés quand elle les présente devant les caméras comme étant des bandits et des délinquants, alors qu’elle devrait utiliser le conditionnel pour parler des infractions qu’on leur reproche», selon maître Péguy Jean, avocat au Barreau de Port-au-Prince.
Selon le juriste qui détient une formation sur les Droits humains, « même si la PNH avait surpris le concerné en flagrant délit en train de commettre son forfait, seul un juge de siège est compétent pour prononcer la vérité judiciaire, celle qui aura à condamner ou innocenter. »
En réalité, un inculpé bénéficie du principe de la présomption d’innocence tant que sa culpabilité n’a pas été légalement démontrée par un juge de siège lors de la tenue d’un procès judiciaire équitable. Et même à ce niveau de la procédure, précise Jean, l’inculpé demeure innocent dans la mesure où le délai prévu par la loi pour contester la décision n’est pas encore épuisé.
Pourtant, la photo de multiples citoyens se trouve sur la page Facebook de la PNH sans qu’ils soient reconnus coupables des faits reprochés, et souvent, sans avoir été surpris en flagrant délit de commission d’un acte criminel. En cas d’erreur de la part de la police, les conséquences peuvent être permanentes et dramatiques pour la réputation des individus mis en cause.
L’artiste François Wellborn, membre du collectif Powèt Revòlte, était parmi les « suspects » présentés sur Facebook et dont la photo demeure sur la page des autorités, malgré sa libération.
« Je ne connais pas Choumie, commence Wellborn, lors d’une entrevue accordée à AyiboPost. J’étais invité à son anniversaire par la mère de mon enfant qui m’a dit être sa cousine. »
Pour se rendre à l’évènement intitulé « Black party », selon la police, Wellborn se fait accompagner de Stanley Dronette (Stan), Asthange, son frère et son cousin Obenson Destiné.
« En entendant les coups de feu, on cherchait tous un endroit pour nous mettre à couvert, rapporte Wellborn. Obenson, et un policier en civil qui était à la fête, ont été tous deux abattus alors qu’ils tentaient de sauter un mur pour sauver leur peau », poursuit le rappeur.
Wellborn s’est allongé sous un lit pendant toute la nuit jusqu’à ce que des policiers viennent et emmènent tout le monde.
« Il était 5 heures du matin environ, dit l’artiste. Je me suis identifié. Je leur ai dit que je suis un artiste. Ils ne m’ont pas menotté jusqu’à mon arrivée au commissariat. Les gens qui m’accompagnaient aussi. À mon arrivée, ils m’ont posé des questions. Je leur ai répondu avec honnêteté, puis ils m’ont relâché deux jours après les démarches de mes parents ».
Ce n’est pas l’arrestation qui a choqué Wellborn. « La PNH faisait son travail », reconnait-il. Mais, les photos de lui circulant sur les réseaux sociaux comme bandit présumé arrêté par les forces de l’ordre resteront probablement à jamais en ligne. « C’est un manque de respect pour ma personne », dit l’artiste.
Ce n’est pas la première fois que la PNH se trouve accusée d’abus envers des suspects dont les images sont diffusées dans les médias.
En 2005, l’institution a mis sur pied une initiative baptisée « Allô La Police ». Il s’agissait d’une émission télévisée — non diffusée depuis environ un an — au cours de laquelle étaient divulguées l’identité et l’image de suspects arrêtés par les policiers.
À chaque « Allo La Police », des individus sont interrogés par des policiers et parfois par des journalistes. « C’est une violation du droit de la victime à témoigner en présence de son avocat ou d’un témoin qu’il a choisi de son propre gré », analyse Me Péguy Jean.
Il existe aussi une forte inégalité de traitement des suspects par la PNH.
Sardau-Francisco Lafrance (Cisco), l’un des artistes qui ont été arrêtés au cours de l’intervention policière à Albert Jorde, témoigne à AyiboPost que cet incident l’a beaucoup impacté sur le plan psychologique.
« Je n’étais pas dans la fête, dit Cisco. J’étais dans les parages assis dans ma voiture quand les policiers sont venus et m’ont intimé l’ordre de les accompagner. On était huit à s’empiler à l’arrière d’une Toyota Land Cruiser “zoreken” sans portes. Puis, un policier est venu nous accompagner à l’arrière de la voiture, et nous a obligés de lui laisser une place décente. Il faut qu’il se sente confortable dans son siège nous a-t-il dit.»
Dans l’intervalle, un photographe qui accompagnait les policiers prend la photo des individus appréhendés. Les photos de Cisco sont encore sur la page de la PNH, même après sa libération pure et simple.
« Je ne suis pas un bandit, se défend Cisco. Ça m’a beaucoup choqué, car je sais que je suis un artiste qui sert mon pays ».
Cisco a collaboré avec BIC, Jean Jean Roosevelt, Bélo et tant d’autres stars du milieu.
« Mes parents ont pleuré une rivière quand ils ont vu mes photos circuler sur la toile, témoigne Cisco. Et malgré le support du public, les photos sont encore là. À jamais elles resteront sur la toile, même quand je suis libre aujourd’hui ».
Photo de couverture : Wellborn participant à une manifestation le vendredi 17 septembre 2021 devant les locaux du ministère de la Justice et de la Sécurité publique pour demander la libération de Stanley Dronette. Photo: Carvens Adelson / AyiboPost
Une première version de ce texte contenait une information imprécise sur la présentation de Clifford Brandt à travers Allo La Police. Elle a été enlevée. 8.32 18.9.2021
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