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Il n’y a pas pénurie, mais détournement du carburant vers le marché noir, selon le ministre du Commerce et de l’Industrie

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Dans une interview accordée à AyiboPost, le ministre Ricardin Saint Jean annonce prendre des mesures pour contrecarrer les dérives

À un peu plus de 200 gourdes par gallon, Gardy, un chauffeur de taxi, déboursait 3 000 gourdes en tout pour faire le plein avec douze gallons de gazoline avant l’augmentation du prix du carburant par l’État et la rareté chronique du produit ces derniers mois dans le pays.

Aujourd’hui, il faut 1000 gourdes au marché noir pour se procurer un gallon de « gaz ». Ce qui demande au père de famille, 12 000 gourdes pour remplir son tank. Ce montant dépasse largement ce qu’il peut espérer gagner dans les meilleurs jours de travail, après avoir soustrait l’argent réservé au vrai propriétaire de la voiture.

Pour protester contre cette situation, Gardy, d’autres chauffeurs de taxis et des citoyens exténués ont été dans les rues de la capitale et certaines villes de province hier 13 juillet 2022.

Selon le ministère de Commerce et de l’industrie, il n’y a jamais eu de rareté de l’essence en Haïti durant les semaines précédentes. Dans une entrevue accordée à AyiboPost, le numéro 1 du MCI, Ricardin Saint Jean, déclare que l’essence ne pouvait pas arriver dans les stations de services à cause de sa livraison « ailleurs », ce qui débouche sur le marché noir.

Le ministre dit avoir pris des mesures pour contrecarrer ces trafics en demandant aux camions sortants des terminaux, la quantité de pétrole emporté et l’endroit où ils doivent les livrer. À date, ces mesures n’ont pas porté fruit.

« Deux bateaux qui transportent les produits pétroliers sont accostés dans la rade de Varreux à Cité Soleil, confie Ricardin Saint Jean. D’ici vendredi et samedi, les stations à essence seront alimentées. »

Selon les chiffres fournis par le MCI, ces navires-citernes déversent actuellement 55 000 barils de diesel et 95 000 barils de gazoline dans les terminaux de Varreux.

Questionné sur les affrontements actuels entre les gangs rivaux à Cité Soleil qui pourraient perturber la distribution, le ministre précise qu’il revient à la Police nationale d’Haïti (PNH) de prendre les dispositions qui s’imposent.

Pour garantir que les camions-citernes livrent directement le produit dans les stations de service, Ricardin Saint Jean relate qu’il va solliciter, cette fois-ci, auprès des conducteurs les informations liées à leur destination avant la livraison.

Mais, la rareté de carburant qui règne en maître en Haïti depuis plusieurs semaines affecte virtuellement tous les secteurs : transport, hôpital, industries… Gardy voit son salaire journalier se réduire considérablement, et se trouve dans l’impossibilité de prendre soin de sa famille. « Je n’arrive plus à faire le plein de mon véhicule », dit-il.

Francisco Jovin est un propriétaire de pompe à essence. « Le carburant vendu dans les rues provient des rares pompes à essence qui livrent le produit ou des camions de transport de produits pétroliers détournés », dit-il.

Jovin pense que l’État doit éliminer la subvention et ajuster le prix du pétrole sur le marché pour contrer le problème de manque à répétition de carburant.

« Le pays, dit-il, consomme plus de 20 000 barils de pétrole par jour, à raison de 42 gallons par barils. Une subvention par exemple à environ 100 gourdes par gallon représente des milliers de dollars [US] que l’État doit quotidiennement aux compagnies pétrolières. Le retard dans ce paiement représente le nœud gordien de ce problème. »

Le ministre du Commerce estime pour sa part que l’État n’a aucune dette envers les compagnies pétrolières à l’ère actuelle. Le gouvernement, souligne-t-il, a fourni un effort considérable pour acquitter ses dettes dans un délai raisonnable.

« D’après les rencontres que j’ai eues avec les compagnies pétrolières, le problème n’est pas une question de dette. Ils tentent de poser le problème de l’inaccessibilité du dollar pour passer les commandes du pétrole alors que la Banque de la République d’Haïti (BRH) les fournit une bonne partie. »

L’État haïtien alloue une subvention mensuelle de 9 milliards de gourdes aux compagnies pétrolières pour maintenir le même prix à la pompe, selon David Turnier, président de l’association nationale des distributeurs de produits pétroliers (ANADIPP). Turnier relate que le plus grand problème c’est que l’État paie les compagnies en gourdes alors que l’acquisition du carburant se fait en dollars.

Dans le document fixant le prix des structures pétrolières en Haïti, le taux moyen d’acquisition du dollar est fixé à 113 gourdes. « En réalité, les compagnies achètent le dollar à 125 gourdes ou plus. Ce qui non seulement représente un manque à gagner pour les compagnies, mais favorise aussi une baisse considérable dans la quantité de carburant commandé », confie-t-il à AyiboPost.

En décembre dernier, lorsque le gouvernement avait procédé à l’ajustement des prix des produits pétroliers à la pompe pour casser la subvention, le baril du pétrole se vendait à environ 70 dollars US sur le marché international. À présent, le prix du baril avoisine 120 dollars ou plus.

« L’État accepte encore une fois de subventionner tant bien que mal le produit pétrolier avec la montée des prix sur le marché international », fait savoir Ricardin Saint Jean.

À la fin du mois de juin 2022, le gouvernement de facto de Ariel Henry, avait annoncé qu’un ajustement graduel des prix à la pompe serait envisagé au moment opportun. « Le gouvernement ne pourrait plus continuer à supporter la subvention des produits pétroliers », avait déclaré dans la presse, le titulaire de facto du Ministère de l’Économie et des finances (MEF), Michel Patrick Boisvert.

Pour le ministre du Commerce du gouvernement de facto de Ariel Henry, les déclarations qui circulent dans les rues faisant croire que le prix du pétrole allait augmenter sont fausses. « C’est vrai que le ministre de l’Économie l’avait annoncé, mais à date, ce sujet n’est pas à l’ordre du jour au niveau du gouvernement », déclare le ministre du Commerce et de l’Industrie, Ricardin Saint Jean.

La photo de couverture est de Carvens Adelson pour AyiboPost.

Journaliste à AyiboPost. Communicateur social. Je suis un passionnné de l'histoire, plus particulièrement celle d'Haïti. Ma plume reste à votre disposition puisque je pratique le journalisme pour le rendre utile à la communauté.

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