Des mairies veulent connaître l’identité et le passé des nouveaux résidents qui souvent fuient des zones sous le contrôle des gangs.
À partir du 5 mai 2022, tout citoyen qui souhaite s’établir à l’Arcahaie doit d’abord se rendre à la mairie pour fournir des informations sur lui-même dans un formulaire. Ce n’est qu’à l’aboutissement de ce processus que l’individu se verra accorder la possibilité de s’établir dans cette commune du département de l’Ouest.
Par cette mesure, les autorités de cette localité veulent « contrôler la zone pour éviter que des membres de groupes mafieux se faufilent parmi la population », relate à AyiboPost Gitanie Revenge Guerrier, une ancienne mairesse de l’Arcahaie.
L’administration d’Ariel Henry a remplacé le cartel ayant pris la décision le 14 mai dernier, mais d’autres zones du pays introduisent progressivement des mesures pour vérifier l’identité des nouveaux résidents, en marge de l’installation progressive des gangs sur de nouveaux territoires, ce qui occasionne une migration interne importante.
Belladère se trouve dans le département du Centre, à proximité de la frontière avec la République Dominicaine.
« Nous avons mis en place une structure pour assurer la constante surveillance de la ville », fait savoir Maclish Ledoux, l’édile de la localité.
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La structure de « monitoring » est composée de membres de la communauté. « Il y a des choses que je ne peux pas vous dire, mais à date, Belladère a le contrôle de sa sécurité et ce résultat est le fruit du travail de la communauté sans l’accompagnement de la police. »
Selon des informations recueillies par AyiboPost, des agents de surveillance de Belladère détiennent des armes à feu pour effectuer ce travail. Ils ne sont pas des policiers, cependant.
« J’ai l’ordre d’arrêter et d’amener à la mairie toute personne suspecte fraîchement débarquée à Belladère », révèle un brigadier. Cette information provient d’une source qui n’a pas voulu dévoiler son nom pour des raisons de sécurité.
À cause de la proximité de Belladère avec la frontière, le maire Maclish Ledoux estime qu’il s’avère impératif d’agir. Encore plus lorsque le greffier et le juge de paix de la ville sont en grève. « On ne peut même pas les solliciter pour un constat alors que la police est quasi-inexistante dans la ville », déclare Ledoux.
La suspicion gagne aussi le sud-est du pays. À Jacmel par exemple, il est interdit, dès le lundi 23 mai 2022, de circuler dans la ville sans sa carte d’identité. Les contrevenants risquent d’être arrêtés.
Par cette décision, la mairie de Jacmel entend combattre l’insécurité et le banditisme. Macky Tessa, le maire titulaire de Jacmel, était injoignable au téléphone avant la publication de cet article.
La guerre des gangs engendre un déplacement interne de masse. Cette forme de migration est nouvelle en Haïti, selon le sociologue Jean Robert Joseph. « Il n’est plus question de parler d’exode rural durant ces dernières années. À présent, ce sont les résidents des régions urbaines du pays qui partent vers le milieu rural. »
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Les initiatives des municipalités pour contrôler la croissance démographique dans leur ville ne sont pas nécessairement une mauvaise chose. « Tout pays en voie de développement adoptera une pareille décision afin de mieux fournir à la population les services de base comme la distribution de l’eau, de l’électricité, l’assainissement », dit Joseph.
Cependant, les mairies pratiquent, via leur décision, un contrôle stigmatisé. « Les [nouveaux] habitants sont considérés comme de potentiels suspects, analyse le sociologue. Ils prétendent que les gens sont probablement des complices des bandes armées qui souhaitent trouver un endroit pour se cacher ».
À part les villes, beaucoup de quartiers en Haïti adoptent une posture presque hostile aux nouveaux venus. Certains propriétaires refusent carrément de louer leurs maisons aux inconnus.
Jerry Mayas habite à Santo dans la Croix-des-Bouquets depuis 29 ans. Les bandes armées 400 Mawozo et Chen Mechan se sont renforcées et s’entredéchirent pour le contrôle de la zone.
Mayas et sa famille veulent quitter la localité, mais les multiples tentatives du jeune musicien pour louer une nouvelle maison dans les zones de Juvénat et à Siloe dans la commune de Delmas n’ont pas abouti. « Les propriétaires refusent d’avoir affaire avec nous prétextant que nous sommes des étrangers et qu’on doit nécessairement avoir un résidant de la zone comme référence », se plaint le tambourineur.
Photo de couverture : Carvens Adelson pour AyiboPost
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