POLITIQUE

Hypocrisie, violence… spécialiste et petrochallengeur analysent le discours de Jovenel

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Le 25 septembre 2019, vers deux heures du matin, le président de la République Jovenel Moise s’est adressé à la nation. L’analyse de ce discours qui n’annonce aucune mesure concrète fait émerger les véritables intentions du chef de l’État.

Une nouvelle fois, Jovenel Moise s’est adressé à la nation. Dans un message d’environ 15 minutes, le président de la République a voulu réagir après deux semaines de chaos. Deux semaines depuis que le pays fonctionne au ralenti.

Au cours de ce qui a été un autre « peyi lòk », divers évènements sont venus augmenter la grogne populaire contre l’équipe au pouvoir. Le président de la République, silencieux depuis des mois, n’avait pas d’autre choix que de parler au peuple.

Comme les autres fois, son discours n’a rien calmé. Il a au contraire multiplié le mécontentement de ceux qui demandent sa démission. Des sujets brûlants comme le procès des fonds Petrocaribe ou les massacres de La Saline n’ont pas été mentionnés. D’autant que pendant ces 15 minutes, Jovenel Moise n’a pas annoncé de mesures concrètes, capables un tant soit peu de calmer la situation.

Selon Jeffsky Poincy, petrochallenger, le discours du président était la copie quasi conforme de tous les autres qu’il a prononcés. « Je n’avais aucune attente, dit-il. Comme toujours le président a fait un déni de la réalité du pays, et il a cherché des boucs émissaires, qu’il a transformés en bourreaux. »

C’est aussi ce que pense Ralph Emmanuel François, analyste en leadership, charisme et influence politique. Le jeune universitaire, par des techniques utilisées en neuroscience, s’est aussi attelé à l’analyse du discours de Jovenel Moise. Les deux hommes ont recherché des implicites et des non-dits, dans l’adresse à la nation du président.

Chronique d’une dictature annoncée ?

D’après Jeffsky Poincy, il est à craindre que l’administration de Jovenel Moise devienne autoritaire.

Il fait deux constats qui l’orientent dans ce sens. D’une part, dans son allocution, le président a fait référence à la violence. « J’ai fait la promesse de ne pas répondre à la violence politique par la violence », a dit le chef de l’État.

Il est à craindre que l’administration de Jovenel Moise devienne autoritaire.

Le petrochallenger croit que le président veut dire qu’il peut réagir avec violence. « C’est en général ce qui arrive à tout régime dont la fin est proche, affirme Jeffsky Poincy. Il devient autoritaire et rappelle sa force. »

« D’autre part, poursuit le jeune activiste, la façon dont Jovenel Moise a parlé du Sénat fait craindre le pire. Il a pris acte de l’échec des sénateurs à installer un gouvernement depuis 7 mois. Il a donc l’intention d’installer un gouvernement sans passer devant la Chambre haute. Il prendra pour prétexte qu’il est le garant de la bonne marche des institutions de l’État. De fait, le Parlement deviendra totalement caduc. »

Ralph Emmanuel François abonde dans le même sens. « Quand il parle de la violence qu’il s’est promis de ne pas exercer, Jovenel Moise fait une affirmation d’autorité. Il signifie qu’il a le monopole et les moyens d’y arriver. C’est aussi une façon de dire que malgré les pressions exercées contre lui, il est prêt à tout pour ne pas céder. »

Quand il parle de la violence, c’est aussi une façon de dire que malgré les pressions exercées contre lui, il est prêt à tout pour ne pas céder

Pour ces raisons, les jours qui viennent seront difficiles. « Je suis sceptique quant au futur. La répression des mouvements populaires va augmenter. C’est peut-être pour cela que tout de suite après le discours, le président a remplacé le ministre de l’Intérieur et le directeur général de ce ministère. Il veut contrôler le territoire. Il souhaite montrer à la communauté internationale qu’il prend les choses en main », croit Jeffsky Poincy.

Jovenel Moise fuit ses responsabilités

En février 2019, le chef de gang Arnel Joseph a curieusement été vu dans les rues de Port-au-Prince, pendant une manifestation de l’opposition. Lors de son allocution à la nation, après cet épisode de « peyi lòk », Jovenel Moise s’en était pris à l’opposition les accusant de se promener main dans la main avec les bandits.

C’est une constante, dans les discours du chef de l’État. « Le président cherche toujours à se dédouaner, explique Jeffsky Poincy. Rien n’est jamais de sa faute. Hier il accusait les membres de l’opposition de trafic de drogue, aujourd’hui il accuse les sénateurs d’incompétence. »

Lire aussi : OPINION: Alors que tout le monde dort, Jovenel Moïse admet son échec

Ralph Emmanuel François croit que les méthodes scientifiques peuvent prouver que le chef de l’État n’assume jamais ses responsabilités. « Dans le discours de Jovenel Moise, le pronom Nous a été utilisé 75% de fois plus que les autres pronoms. La science politique conseille aux leaders de bannir l’utilisation de ce pronom dans un discours de crise. Le Nous est vague, imprécis et ne fixe pas de responsabilités. »

« Quand on utilise le pronom Je, cela signifie qu’on est conscient du rôle qu’on doit jouer, poursuit le jeune boursier de l’université Yale. Chaque fois que Jovenel Moise parle de ses droits, de ses prérogatives, il utilise le Je. Dès qu’il faut parler de ses devoirs, ses responsabilités, il se fond dans le Nous. Même le contexte de l’adresse à la nation est lâche. Le président a attendu qu’il soit 2 heures du matin pour la diffuser. On peut dire que c’est un discours tyrannique, en ce sens qu’il met de la distance entre lui et son audience et qu’il se cache. »

Chaque fois que Jovenel Moise parle de ses droits, de ses prérogatives, il utilise le Je. Dès qu’il faut parler de ses devoirs, ses responsabilités, il se fond dans le Nous.

Le chef de l’État est un manipulateur

Le discours politique est toujours chargé d’implicites et de non-dits. Son rôle est de manipuler. Jovenel Moise le fait bien, en faisant croire qu’il a la main tendue, quand en réalité elle ne l’est pas. D’après Jeffsky Poincy, le président ne veut aucun dialogue, même si le mot revient dans tous ses discours.

Pour dialoguer, il faut savoir fixer sa part de responsabilité. « Le président dit qu’il faut que tous les acteurs se parlent, mais il sème des embûches sur le chemin du dialogue. Il attaque les parties qui devraient s’asseoir avec lui, en même temps qu’il les invite.

D’après Jeffsky Poincy, le président ne veut aucun dialogue, même si le mot revient dans tous ses discours.

Par exemple, le Sénat de la République ne peut en ce moment être exclu d’aucun processus de dialogue. Pourtant, il attaque le Sénat dans ses fonctions. Il fait pareil avec l’opposition », dit le petrochallenger.

« Il essaie de rester ferme, poursuit-il. Il ne veut pas réellement de négociations. Jovenel Moise cherche à raffermir son pouvoir, son égo. Je crois que dans les jours qui viennent, nous verrons beaucoup de décisions unilatérales. »

Temps et précarité économique : des alliés

Dans son discours, Jovenel Moise prouve qu’il a compris que la précarité peut affaiblir les revendications du peuple. « Il s’est mis dans la tête que la population ne pourra pas tenir le coup, explique Ralph Emmanuel François. Le même scénario du mois de juillet 2018 va se reproduire. Le président pense que le temps joue en sa faveur, puisque le Haïtien ordinaire vit au quotidien. »

Jeffsky Poincy reproche au président de jouer sur l’émotion. « Il parle des enfants qui ne peuvent pas aller à l’école par exemple. C’est une constante dans le discours des politiciens. De plus, le président cherche à faire comprendre que la population ne sait pas réellement ce qu’elle veut, qu’elle est victime de manipulation. »

Dans le discours du président de la République, on peut déceler qu’il n’est pas rassuré. « C’est un président qui a peur, dit Ralph Emmanuel François. Il sait que s’il démissionne, il peut être arrêté et jugé. Il n’a pas beaucoup d’amis en ce moment. Il n’a pas d’attaches à l’extérieur du pays. Jovenel Moise ne peut pas garantir une stabilité politique et sociale au pays parce qu’il n’a pas de pouvoir ni de moyens économiques énormes. Tout ce qui lui reste c’est la peur, et cela le rend dangereux. »

« C’est un président qui a peur, dit Ralph Emmanuel François. Il sait que s’il démissionne, il peut être arrêté et jugé. Tout ce qui lui reste c’est la peur, et cela le rend dangereux. »

Quant aux véritables intentions du chef de l’État, le jeune universitaire croit pouvoir les déceler. « Après son discours, il a pris des mesures, mais elles ne concernent que des postes dans son administration. Il ne s’agit pas de modifier sa politique macro. C’est parce qu’il veut gérer l’instant présent. Le président veut faire face au court terme, même si dans quelque temps d’autres crises peuvent émerger. »

Jovenel Moise souhaite donc rester dans l’expectative politique. Il espère pouvoir accomplir son mandat en éteignant ça et là les feux qui s’allument, ou en laissant la précarité économique et le temps s’en charger.

Cet article a été mis à jour. 25 sept 2019 | 20:38

Journaliste. Éditeur à AyiboPost. Juste un humain qui questionne ses origines, sa place, sa route et sa destination. Surtout sa destination.

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