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Hector Hyppolite, seul peintre à avoir sa place publique en Haïti

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Hector Hyppolite a eu une courte carrière. Mais son œuvre a grandement contribué à faire la renommée de la peinture haïtienne à l’échelle internationale

À l’angle de l’avenue Lamartinière et la rue Alix Roy, à proximité de la Natcom, un petit espace à part, boisé, arbore le buste du peintre Hector Hyppolite. C’est l’ancienne place de la Téléco que la mairie de Port-au-Prince a rebaptisée place Hector Hyppolite en 2008. Le buste de l’artiste a été sculpté par le célèbre peintre et sculpteur haïtien, Ludovic Booz.

L’année 2008 marquait le soixantième anniversaire du décès d’Hector Hyppolite, parti le 9 juin 1948. À cette occasion, le gouvernement haïtien avait décrété l’an 2008 « Année Hector Hyppolite ». Un comité portant le nom du peintre a été créé pour prendre en charge toutes les activités culturelles qui devaient avoir lieu lors du soixantième.

« Hector Hyppolite est le seul peintre haïtien dont une place publique du pays porte le nom », selon Sterlin Ulysse, professeur d’Histoire de l’art. Mais, ce n’est pas l’unique fois qu’Hyppolite a reçu un hommage posthume dans le pays. En 1949, soit un an après le décès du peintre dit naïf, le président Dumarsais estimé — dont l’artiste avait fait le portrait — avait honoré sa mémoire par une médaille d’or lors de l’inauguration des travaux effectués au Bicentenaire.

Depuis la popularisation de ses travaux à partir de 1945 par l’américain Dewitt Peters et Philippe Thoby-Marcelin, à sa mort subite en 1948, l’artiste aurait peint plus de 200 tableaux. Il a, entre autres, peint des toiles de chefs d’État haïtiens et de héros de la nation. « Hector Hyppolite demeure le plus célèbre des artistes haïtiens », pour Michel Philippe Lerebours, docteur en histoire de l’art et archéologie.

La place a été rebaptisée place Hector Hyppolite en 2008 sous la présidence de René Préval à l’occasion de la commémoration du soixantième anniversaire du décès de l’artiste

Artiste subversif 

Hector Hyppolite est cet artiste qui a osé coucher sur une toile un nu féminin alors qu’à son époque, une telle image pouvait être problématique. « Il a fait une révolution iconographique, relate Sterlin Ulysse. C’est l’un des rares artistes à peindre une dame qui se voue à des plaisirs solitaires. »

« Le peintre a expérimenté, tant sur le plan formel que thématique, une série de propositions nouvelles à l’époque dans l’univers haïtien de la création plastique », avance pour sa part Carlo Avierl Célius, historien de l’art. J’ai mis en évidence dans un article combien, par exemple, il pose un regard tendre, amusé et surtout décomplexé sur les relations amoureuses et sexuelles. Il a su, dans cette perspective, saisir au plus près l’amour lesbien. »

Célius met au clair que les toiles de l’artiste consacrées à cette thématique témoignent d’une posture qui dit toute la portée subversive de sa vision et de sa démarche.

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Mais Hyppolite est aussi connu comme « le » peintre du vaudou. Il s’est lui-même souvent présenté comme un houngan ou « doktè fèy ». Le peintre assurait avoir une liaison amoureuse avec la sirène, une divinité de la mer, en Haïti. Bien que l’artiste Rigaud Benoît, le mari d’Ermite, l’unique fille d’Hyppolite, dira plus tard que son beau-père n’était pas houngan, il est à remarquer que le vaudou occupe une place importante dans son œuvre.

Ses tracés vèvè pour le livre de Milo Marcelin intitulé Mythologie vaudou : rite arada peuvent en témoigner. L’artiste disait tirer son inspiration des paroles que des divinités lui avaient confiées dans ses rêves. Il affirme même avoir fait un voyage en Afrique même si aucun document ne peut le prouver.

Dans ses toiles, Hyppolite marie le vaudou au catholicisme. Dans Peintres D’Haïti, Marlène Paillère interprète l’un des tableaux de l’artiste appelé La Dauration Lamour. On y voit un Christ noir cloué avec des hounsis blanchissantes inclinés devant lui en guise de personnages évangéliques.

Par ailleurs, Hyppolite peint séparément la vierge Marie et Erzulie. Son œuvre fait un clin d’œil au passé colonial de l’Haïtien qui vénère la Vierge Marie à la messe et salue la maîtresse Erzulie dans les danses loas.

Malgré la diversité et la complexité des travaux d’Hector Hyppolite, la valeur de son œuvre ne réside pas dans sa qualité esthétique. D’ailleurs, son travail paraît souvent hâtif et inachevé. Dans Haïti et ses peintres, de 1804-1980, Michel Philippe Lerebours explique que les travaux d’Hyppolite ne revêtent pas la finesse et la précision de son contemporain Philomé Obin.

L’œuvre d’Hyppolite, écrit Lerebours, « nous frappe cependant à cause de ses qualités intrinsèques, de la profonde harmonie qui s’en dégage et en fait oublier les imperfections, et surtout de l’indéfinissable atmosphère poétique qui la baigne. » Ces qualités lui ont beaucoup rapporté. Michel Philippe Lerebours explique, dans le même texte, qu’en janvier 1948, Hyppolite a été le premier des artistes du Centre d’art à avoir, pour lui seul, une exposition à New York.

Passage au Centre

Le Centre d’Art dirigé a l’époque par un de ses initiateurs, l’américain Dewitt Peters, était décisif dans la renommée d’Hector Hyppolite. Avant son arrivée au centre, Hyppolite était inconnu du public lettré et amateur d’art en Haïti et ailleurs. Il n’était pas lui-même un fin connaisseur de ces choses. Certains auteurs le présentent comme un analphabète, d’autres préfèrent dire qu’il n’a pas fait de longues études. D’ailleurs, les critiques ne retiennent ni une date ni un lieu précis pour sa naissance.

À l’adolescence, Hyppolite pratiquait le métier de cordonnier. Mais il était épris de la peinture. À l’âge adulte, il est devenu peintre de bâtiment et décorait des portes. C’est d’ailleurs grâce à l’une de ses peintures sur une barrière que Dewitt Peters et Philippe Thoby-Marcelin, un écrivain haïtien, l’ont découvert en 1945. De passage à Montrouis, Peters avait vu la décoration de la barrière d’un bar et avait demandé à Philippe Marcelin de partir à la recherche de celui qui l’avait dessiné. C’est ainsi que Hyppolite qui vivait à l’époque à Saint-Marc est venu s’installer à Port-au-Prince pour exposer ses œuvres au Centre d’art. L’institution a mis à des documents à disposition d’AyiboPost dans le cadre de cet article.

Hyppolite était fougueux. Il peignait hâtivement et ne se souciait pas des principes académiques de la peinture. Philippe Thoby-Marcelin lui demandait de passer plus de temps sur ses travaux. Mais Hyppolite ne voulait pas s’enfermer dans le cocon des principes élémentaires de l’art. C’est d’ailleurs cette attitude qui a attiré l’attention du célèbre écrivain français André Breton.

Lors d’une visite au Centre d’art en 1946, Breton, chef de file du surréalisme, l’a consacré comme le plus grand peintre haïtien. Lors du séjour d’André Breton, Carlo A. Celius affirme que Hyppolite a été le seul artiste du Centre d’art qu’il a choisi de promouvoir. Breton lui a acheté cinq toiles qui, selon lui, « apporteraient du neuf à la peinture française qui en a grand besoin ».

L’artiste est décédé brusquement le 9 juin 1948 d’une crise cardiaque. Mais jusqu’à aujourd’hui, son œuvre est exposée dans de grandes galeries et des musées d’art à l’étranger. Plusieurs livres lui ont été consacrés. L’un d’eux est une compilation de textes et d’œuvres de l’artiste, parue en 2011 aux éditions Capri. Cette publication a eu lieu grâce au Musée du Louvre qui l’a inscrit dans l’exposition « Le musée monde », en hommage à Jean Marie Gustave Le Clézio, Prix Nobel de la littérature.

Laura Louis

Photo de couverture: Le buste d’Hector Hyppolite se trouve sur l’ancienne place de la Téléco située à l’angle de l’avenue Lamartinière et la rue Alix Roy. Images Laura Louis / AyiboPost

Laura Louis est journaliste à Ayibopost depuis 2018. Elle a été lauréate du Prix Jeune Journaliste en Haïti en 2019. Elle a remporté l'édition 2021 du Prix Philippe Chaffanjon. Actuellement, Laura Louis est étudiante finissante en Service social à La Faculté des Sciences Humaines de l'Université d'État d'Haïti.

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