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Haïti: Les femmes les plus pauvres ont en moyenne 5.4 enfants

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Les liens entre pauvreté et fécondité ont fait l’objet de nombreuses recherches qui attestent une corrélation positive entre le nombre d’enfants des ménages et leur niveau de vie. En Haïti, la majorité des familles nombreuses sont des conséquences directes de la pauvreté et vice versa.

 

En 2015, la population haïtienne était estimée à 10 911 819 habitants, dont 2 360 771 ménages. Ce sont les résultats du IVe Recensement général de la population et de l’habitat (RGPH) de l’Institut haïtien de statistiques et d’informatique. Ces chiffres étaient répartis presque équitablement entre les zones urbaines et les sections rurales. Dans l’Enquête Mortalité, Morbidité et Utilisation des Services EMMUS-VI (2016-2017), du MSPP, l’Indice synthétique de fécondité était estimé à 3 enfants par femme en 2017. Cet indice mesure le nombre moyen d’enfants nés vivants qu’aurait une femme. L’ISF, selon ce rapport, est plus élevé en milieu rural (3,9 enfants par femme) qu’en milieu urbain (2,1 enfants par femme). Tout dépend du niveau de vie des ménages, l’ISF varie. Ainsi, les femmes du quintile de bien-être économique le plus bas ont, en moyenne, 5,4 enfants contre 1,6 enfant par femme parmi celles des ménages du quintile le plus élevé. Un quintile représente un cinquième de l’échantillon considéré.

L’Indice synthétique de fécondité a significativement diminué, de 1995 à 2017, passant de 4,8 à 3,0. Il reste cependant l’un des plus élevés de la région, au même niveau que des pays comme le Belize, le Guatemala ou le Honduras. L’Unité d’observation de la pauvreté et de l’exclusion sociale (UOPES), organisme du Ministère de la Planification et de la coopération externe, dans son rapport « Monographie — Famille nombreuse et pauvreté en Haïti » (mai 2014), a recherché les liens qui existaient entre le niveau de pauvreté des ménages, et leur fécondité. Les résultats ont montré une corrélation positive. Plus les ménages haïtiens sont pauvres, plus ils seraient féconds, même si d’autres facteurs sont aussi à prendre en compte pour expliquer le phénomène.

 

Les enfants sont une source de revenus

La société haïtienne, en grande partie, a intériorisé des formules telles que pitit se richès. D’après ces croyances, plus on a d’enfants, plus on a de chance de sortir du cercle vicieux de la pauvreté. Il faut donc enfanter le plus possible. Cela s’observe plus en milieu rural qu’en milieu urbain. Les explications sont diverses. C’est premièrement une garantie de plus de revenus. Ainsi, en milieu paysan, les enfants participent activement à l’entretien des terres de leurs parents. Ils s’occupent du bétail et du petit commerce, dans le cas où le ménage en exploite un.

Deuxièmement, toujours selon l’UOPES, le nombre d’enfants est une parade pour contourner le faible accès à un système d’assurance-vieillesse. « Moins de 3 Haïtiens sur 100 bénéficient d’une protection sociale minimale à travers les assureurs privés, la pension civile, et surtout par le biais de l’OFATMA et de l’ONA » lit-on dans le document Famille nombreuse et pauvreté. Pour beaucoup de ménages, il s’agit donc d’une assurance-vieillesse. Ils espèrent tirer un bénéfice des revenus futurs de leur progéniture.

Dans un troisième cas, une descendance nombreuse est une stratégie de mobilité et d’intégration sociale. Dans la même idée d’assurance-vieillesse, les parents s’imaginent que si l’un de leurs enfants réussit socio-économiquement, ils pourront eux aussi bénéficier de l’ascenseur social. Pour arriver à cette mobilité, il faut passer par l’éducation. L’institution scolaire est vue comme une garantie de promotion sociale, dont les retombées pourront aider les parents. Cette recherche de mobilité et d’intégration sociale se concrétise aussi dans le mariage des enfants. La plupart des parents veulent que leurs enfants, surtout les filles, choisissent des partenaires ayant une vie plus aisée que la leur. Pour les familles les plus pauvres, c’est aussi une stratégie de lutte contre le cycle de la pauvreté.

L’accès à la contraception ou l’utilisation d’une méthode contraceptive quelconque sont des facteurs non négligeables du taux de fécondité élevé. Cet accès ne concerne pas uniquement les familles les plus pauvres. L’enquête EMMUS-VI indique qu’environ 34 % des femmes interviewées utilisent une méthode contraceptive. Les probabilités de tomber enceintes et d’avoir plusieurs enfants sont donc élevées. Plus la mère est jeune au moment de la naissance, plus cette probabilité est élevée. 10 % des filles de 15-19 ans sont déjà tombées enceintes.

 

Comment inverser la tendance ?

Les conséquences d’un taux de fécondité élevé sont multiples. Pour la période d’octobre 2017 à février 2018, la Coordination nationale de la sécurité alimentaire (CNSA) estimait le nombre de personnes en situation de crise ou d’urgence alimentaire à 1,32 million. Dans un tel contexte, une famille pauvre et nombreuse est plus vulnérable. La suffisance alimentaire de ces ménages est faible. L’accès à l’éducation est une difficulté supplémentaire. Il est vrai que les familles pauvres tendent à miser sur une bonne éducation de leurs enfants. Mais dans un pays où 80 % de l’offre scolaire est privée, les coûts liés à l’éducation sont élevés. Le cycle de la pauvreté est donc difficilement brisé. L’accès aux soins de santé, l’épanouissement individuel des membres de la famille, sont aussi des paramètres à considérer.

Les liens entre pauvreté et famille nombreuse doivent être pris au sérieux. L’UOPES fait des recommandations qui pourraient limiter le phénomène, indépendamment de son aspect sociologique. L’État, lit-on dans le rapport, devrait prendre en charge les jeunes, qui sont un facteur important dans la lutte contre la pauvreté. Ils sont un bonus démographique important, qu’il faut exploiter. Des campagnes de sensibilisation pour limiter les naissances, l’accessibilité des intrants de planification familiale, la responsabilisation des pères, par la loi sur la paternité responsable (promulguée en 2014), la pension familiale et l’accompagnement juridique des femmes, peuvent améliorer la situation.

Les ménages ne planifient pas toujours d’avoir beaucoup d’enfants. Mais beaucoup de familles pauvres tirent parti de leur situation pour accroître leur faible niveau de vie.

Parfois, la pauvreté n’est pas non plus la source directe de cet état de fait. La religion, le stress, l’oisiveté sont aussi des causes du phénomène.

Jameson Francisque

Journaliste. Éditeur à AyiboPost. Juste un humain qui questionne ses origines, sa place, sa route et sa destination. Surtout sa destination.

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