La chaine télévisé américaine CNN a rendu public vers la mi-novembre 2017 une investigation révélatrice d’un scandale ignoble qui se passe en Afrique. A l’aide de caméras dissimulées, l’existence d’une vente aux enchères d’africains noirs subsahariens capturés en Libye par des trafiquants criminels et vendus comme esclaves fut prouvée. Ceci en plein 21ème siècle !
Un crime qui révolte les consciences
Il y a de ces nouvelles qui me laissent de prime abord muet, horrifié, traumatisé et révolté. De voir dans la pénombre de la vidéo des hommes noirs vendus comme des têtes de bétail pour quelques centaines de dollars me ramènent brutalement à mes manuels d’histoire d’Haïti, à cette compréhension globale et pénible de l’esclavage déshumanisant qui me fût enseigné pendant toutes mes années d’études classiques.
De voir la vente d’humains exactement comme elle fut pratiquée il y a de cela quelques siècles fit gronder en moi un volcan de colère. De la colère de voir des africains qui vendent et achètent leurs propres frères. De la colère contre la cupidité et la folie des hommes. De la colère envers l’humanité qui apprend si peu et si difficilement les leçons universelles d’amour et de solidarité qu’enseignent les myriades de religions et de spiritualités. De tels crimes similaires peuvent assurément exister dans d’autres pays, mais d’obtenir une telle évidence mérite le souci d’une réflexion.
Une réaction de la présidence…
Cette désagréable nouvelle fût également relayée par nos médias nationaux. Je ne m’attendais pas à un tollé général sachant combien le pays est éprouvé par ses propres maux politico-sociaux qui le hantent quotidiennement. Cependant, je souhaitais que le gouvernement se montre préoccupé par cette ignominie esclavagiste des temps modernes, tout comme le Président Moïse fut récemment préoccupé contre toute attente par les velléités d’indépendance de la Catalogne.
C’est donc avec satisfaction que j’ai lu sur la page Facebook du chef de l’état le 20 novembre 2017 un bref message pour : « condamner le retour aux chaînes qui se fait en Libye » en proclamant que « Haïti dénonce de toutes ses forces le racisme et le retour aux pratiques esclavagistes ». C’était une déclaration appropriée que le président se devait de faire en la circonstance et je l’en félicite. Mais doit-on considérer que cette annonce puisse remplacer une position officielle de l’administration Moïse-Lafontant en pareille circonstance ? Haïti, fille légitime et fière de l’Afrique, première république noire ayant vaincu l’esclavage, n’avait-elle rien d’autre à ajouter dans les annales de l’histoire contemporaine à ce sujet ?
Des réactions internationales…
Il n’avait fallu que quelques heures après la retransmission du reportage de CNN pour que l’activiste français-antillais Claudy Siar se montrant légitimement dégouté et révolté sur Facebook, organise énergiquement le lendemain une manifestation devant les locaux de l’ambassade libyenne assisté de 6,000 sympathisants pour exhiber leur indignation et exiger entre autres du gouvernement libyen l’arrestation des responsables de cette abomination. Tous mes compliments pour cette protestation ! Ils ont tout simplement fait ce qu’il y avait à faire. Pendant ce temps existait toujours globalement un silence éloquent des gouvernements africains, européens, nord-américains, caribéens dont celui d’Haïti.
Ce silence fût rompu adéquatement par le président du Niger, Mahamadou Issoufou, qui convoqua l’ambassadeur de la Libye dans son pays pour lui faire part de son indignation. Il fut suivi par le président guinéen Alpha Condé et d’autres dignitaires africains qui exigèrent que le sujet soit mis à l’ordre du jour du sommet de l’Union Africaine à Abidjan vers la fin du mois de novembre 2017. Dans de telles circonstances et malgré l’amplitude de ses propres défis, Haïti de manière officielle ne devait se taire mais plutôt s’armer de courage pour faire valoir l’idéal de liberté qui l’a mis au monde.
Un soutien international d’Haïti à la liberté des peuples
Cet idéal pour vivre libre motive encore aujourd’hui nos concitoyens progressistes et courageux pour lutter contre les nouvelles formes d’esclavage déguisé dans notre pays : celle de nos enfants en domesticité ou « restavek » ; celle de la soumission quasi-féodale des classes prolétaires aux intérêts de politiciens véreux et corrompus ; celle dont les chaînes lient notre souveraineté nationale aux diktats de ceux qui s’autoproclament les maitres du monde. Néanmoins, sur le plan mondial, Haïti a l’impérieux devoir de défendre sa féroce opposition à l’esclavage sous quelques cieux où il se trouve ainsi que de dénoncer toutes les flagrantes injustices faites aux peuples qui recherchent leur liberté. Ce ne serait qu’une continuation du cheminement de la politique internationale du pays.
Un bref rappel historique nous dévoile que la voix d’Haïti contre l’esclavage et le racisme était la voix de la raison. Dès la fin du 19ème siècle, l’éminent penseur politique et écrivain Anténor Firmin dans son ouvrage « De l’égalité des races humaines : anthropologie positive » établit scientifiquement une réhabilitation de l’ethnie noire allant à contre-pied des travaux anthropologiques de cette époque.
Haïti fut la seule entité de la Société des Nations (ancêtre de l’Organisation des Nations Unies – ONU) à s’être opposée avec fermeté contre le projet de Mussolini à envahir l’Ethiopie en 1930. Haïti s’est également positionné contre la guerre d’Algérie face à la France, souhaitant l’indépendance de ce pays africain. Concernant la Libye, autrefois victime elle aussi, notre pays a offert son soutien pour son indépendance quand cette nation se trouvait sous domination italienne. Haïti n’a donc pas lésiné à fournir son support moral pour défendre la cause des oppressés et se doit de poursuivre sur cette voie. *
Actions diplomatiques courageuses et visions d’avenir
Le gouvernement haïtien aurait pu officiellement soumettre une note de protestation au gouvernement libyen et réclamer des demandes similaires que celles lancées lors de la manifestation parisienne. Cela aurait eu plus de poids diplomatique qu’un simple billet sur un réseau social. Ce serait du même coup une occasion pour Haïti de se rapprocher du continent africain en défendant la juste cause d’une frange d’opprimés. En dernier lieu, en posant un tel acte, notre république aurait pu raffermir les liens solidaires avec l’Afrique et plus tard chercher à rouvrir le dossier de son intégration dans l’Union Africaine après son échec en 2016. Si cette intégration se concrétiserait dans le futur, elle pourrait offrir une nouvelle coopération politique, économique et culturelle sud-sud qui assurément serait profitable au pays.
Patrick André
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