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Haïti a transféré aux Turcs un document controversé dans le dossier de Samir Handal

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Selon des documents obtenus de façon confidentielle et authentifiés par AyiboPost, Haïti a transféré au gouvernement turc une lettre qui démontre les difficultés rencontrées par la justice pour respecter les droits constitutionnels des individus arrêtés dans le cadre de l’assassinat de Jovenel Moïse

 Le nom de Samir Handal se trouve dans le rapport-fleuve de la Direction centrale de la police judiciaire pour ses liens avec des individus accusés dans l’assassinat spectaculaire de l’ancien président Jovenel Moïse. Handal prend donc place dans la liste des suspects officiellement recherchés par la justice haïtienne.

L’homme d’affaires se rendait discrètement en Palestine lorsqu’il a été arrêté en Turquie dans la nuit du 14 au 15 novembre 2021 en vertu d’une notice rouge de l’organisation internationale de police criminelle (INTERPOL). Les autorités turques ont ensuite demandé à Haïti les preuves de son implication dans le meurtre pour pouvoir décider du bienfondé de son extradition.

Dans la liste des documents transférés par Haïti se trouve une lettre datée de décembre 2021 du juge Garry Orelien adressée au ministre de la Justice, Bertho Dorcé. Dans cette correspondance traduite en turc, le juge explique que l’enquête sur l’assassinat de l’ancien président se trouve « heurtée à un obstacle majeur qui est celui de faire assister cesdits inculpés par un avocat ou d’un témoin de leurs choix comme le veut la Constitution de 1987. »

Dans les dossiers d’extraditions, la partie demanderesse présente généralement les éléments qui renforcent son argumentaire. Il n’est pas clair pourquoi une lettre pouvant soutenir la position des avocats de Samir Handal sur les faiblesses de l’appareil de justice en Haïti et ses moindres chances d’obtenir un procès équitable a été insérée dans le dossier. Le ministère de la Justice n’a pas répondu aux demandes d’interview avant la publication de cet article.

La haute cour pénale d’Istanbul, en Turquie, a rejeté le lundi 4 juillet 2022 la demande d’extradition produite par le gouvernement haïtien. Selon des rapports de presse, les juges ont décidé que le gouvernement n’a pas fourni assez de preuves pour établir les liens entre Samir Handal et l’assassinat de Jovenel Moïse. Rien ne vient indiquer l’importance accordée à la lettre controversée dans la décision finale.

« Handal est libéré parce que le Gouvernement d’Ariel [Henry] a délibérément produit une demande d’extradition bâclée qui n’avait aucune chance de réussir », a réagi sur Twitter l’ex-chancelier haïtien Claude Joseph le 4 juillet 2022.

Lire aussi : Samir Handal reviendra-t-il en Haïti? C’est compliqué.

AyiboPost a obtenu le dossier de l’extradition d’une source confidentielle. Le Cabinet Florvilus et Associés, constitué par Joverlein Moïse dans le cadre du dossier relatif à l’assassinat du Président Jovenel Moïse qui a reçu les mêmes documents d’un membre du gouvernent en a confirmé l’authenticité.

En dix-neuf pages, la demande du gouvernement haïtien comprend une correspondance du juge Garry Orelien présentant la situation de l’inculpé Samir Handal, une copie du mandat d’amener lancé contre lui par le juge Garry Orelien le 21 septembre 2021 ; une partie du rapport produit par la DCPJ et la lettre du 8 décembre 2021 qui étale le problème de représentation des Colombiens.

Le 22 décembre 2021, le Cabinet Florvilus et Associés a produit une analyse juridique sur le dossier communiqué au gouvernement turc par les officiels haïtiens. Selon un document de la firme marqué confidentiel et obtenu par AyiboPost, le dossier du gouvernement affiche des failles méthodologiques et techniques susceptibles de favoriser un rejet de la demande d’extradition de Samir Handal.

La lettre de Garry Orelien faisant état de la non-représentation des Colombiens par des avocats « n’avait aucun rapport avec la demande des autorités turques », selon l’analyse du cabinet Florvilus et Associés.

Seulement une partie du rapport de la DCPJ avait été transférée aux autorités turques. Le document de la firme d’avocats note que les extraits du rapport de la DCPJ (pages 24 à 27 et 124) étaient présentés de manière désorganisée et incompréhensible en raison des pages manquantes.

L’incident ayant rapport à la mort du président est décrit au dixième paragraphe de la note du ministère de la Justice et de la Sécurité publique (MJSP). « Cependant, il n’est pas décrit dans cette partie de la note certains éléments clés de l’incident, tels que : les dates de saisine des autorités judiciaires et la date à laquelle la DCPJ a soumis aux autorités judiciaires leur rapport. Il n’est pas non plus mentionné la date de départ de Samir Handal du pays pour établir qu’il était vraiment en fuite et qu’il tentait de se soustraire à la justice haïtienne. »

Lire également : Plusieurs juges « compétents » voulaient enquêter sur l’assassinat de Jovenel Moïse. Ils n’ont pas été choisis.

Toujours selon l’analyse des avocats, l’article 341 du Code pénal haïtien mentionné par le Magistrat instructeur dans le dossier ne traite nulle part des infractions pour lesquelles Samir Handal doit être poursuivi et des sentences rattachées à cette infraction.

L’analyse avait été transférée au gouvernement confirme Me Dieunel Fleury Jean, un des membres du trio du Cabinet d’avocats. Me Dieunel Fleury Jean travaille en collaboration avec Me Patrice Florvilus et Phillipe Larochelle sur ce dossier.

La première démarche des autorités haïtiennes pour obtenir l’extradition de l’homme d’affaires Samir Handal remonte le 21 novembre 2021, six jours après son arrestation.

Le porte-parole de la PNH, Garry Desrosiers, lors d’une conférence à la DCPJ, avait informé que trois agents de l’institution avaient été dépêchés en Turquie en vue de l’extradition de Samir Handal en Haïti. Cette démarche n’a pas abouti.

Aucun traité d’extradition n’est signé entre Haïti et la Turquie. Toutefois, une convention des Nations-Unies de 1973 dont Haïti et la Turquie sont signataires donne aux autorités haïtiennes la possibilité de demander l’extradition du présumé assassin, Handal.

Lire enfin : Ariel Henry fait partie des organisateurs de l’assassinat de Jovenel Moïse, d’après le juge d’instruction

Selon les principes régissant le processus d’extradition, régulé par la loi No 6706 de la Turquie sur la Coopération judiciaire internationale en matière pénale, le gouvernement haïtien avait pour obligation de transmettre aux autorités turques, avant le 21 janvier 2022, les documents et informations suivants :

Une garantie que les crimes qui sont à la base de la demande d’extradition ne requièrent pas la peine de mort ainsi qu’une notification sur le type de peine possible (peine d’emprisonnement, emprisonnement à perpétuité ou emprisonnement à perpétuité aggravé). Haïti devait indiquer la période de peine maximale, séparément pour chaque infraction qui constitue le fondement de la demande d’extradition, les textes de la loi où sont réglementées les infractions constituant la base de la demande, ainsi que leur traduction en langue turque.

Le 21 décembre 2021, le ministre des Affaires étrangères et des Cultes, Jean Victor Généus avait confirmé avoir remis tous les documents exigés aux autorités turques pour l’extradition de Samir Handal, qui fait l’objet d’un mandat d’amener du Parquet de Port-au-Prince.

Contacté par AyiboPost, Augustin Chenal, directeur de communication à la Primature, n’a pas souhaité réagir sur la mise en liberté de Samir Handal. « Il faut s’adresser plutôt au ministère de la Justice ou au ministère des Affaires étrangères et des Cultes », a-t-il dit.

Le responsable des affaires juridiques au niveau du ministère de la Justice et de la sécurité publique, Jean Nesly Élie, n’a pas souhaité non plus intervenir dans ce dossier. Le cadre du MJSP estime qu’il faut prendre contact avec les membres de la DCPJ qui ont mené l’enquête et les juges qui ont travaillé sur le dossier.

Une photo de Rodolphe Jaar, un autre mis en cause dans l’assassinat de Jovenel Moïse, a brièvement été utilisée pour illustrer une première version de cet article. Elle a été remplacée. 17.57 12.07.2022

Fenel Pélissier est avocat au Barreau de Petit-Goâve, professeur de langues vivantes et passionné de littérature.

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