Haïti a participé à sa manière dans les deux grandes guerres mondiales. Lors de la seconde, l’effort de guerre du pays a été considérable.
Au lendemain de la Première Guerre mondiale, l’Allemagne vaincue est dans une situation difficile. Elle est contrainte à payer de lourdes indemnités aux pays vainqueurs. Le pays rend des territoires comme l’Alsace et la Lorraine à la France. L’armée allemande est réduite à sa plus simple expression par le Traité de Versailles.
Un sentiment d’injustice règne chez les Allemands. En 1934 Adolf Hitler prend le pouvoir. Il décide de conquérir des territoires, en violation des accords d’après-guerre. Hitler est accompagné dans cette folie néocoloniale par l’Italie de Mussolini et le Japon de Hirohito. Respectivement ces deux pays envahissent l’Albanie et la Mandchourie puis la Chine. C’est la création de l’axe Allemagne-Italie-Japon.
Les pays européens, lassés et affaiblis par la Première Guerre laissent faire. La Société des Nations, mise sur pied après la Grande Guerre, est encore trop faible pour s’opposer. Le 1er septembre 1939, Hitler envahit la Pologne. Cette fois, immédiatement, le 3 septembre, la France et le Royaume-Uni sont obligés de déclarer la guerre aux Allemands, aux Japonais et aux Italiens. C’est le début d’un conflit qui fera plus de 50 000 000 de victimes.
L’accueil des Juifs
Lorsque l’Allemagne envahit la Pologne, c’était pour Hitler le début d’un long processus d’élimination de races jugées inférieures. L’aversion du Führer pour les juifs l’a conduit, lui et ses officiers nazis, à concevoir la « solution finale ». C’était une méthode conçue pour exterminer les juifs en masse. Les nazis les confinaient dans des ghettos, puis des camps de concentration, dans lesquels on les tuait avec du gaz. 5 à 6 millions de juifs seront ainsi assassinés en Europe.
Haïti a proposé son aide à ces hommes et femmes persécutés. Le pays accordait la nationalité haïtienne à tous les juifs qui le voulaient. Des juifs auraient même été nommés consuls, pour délivrer un passeport haïtien. Mais rapidement c’est devenu une occasion de corruption. « Au début on pourrait croire que l’action était totalement humanitaire, dit Joseph Bernard Junior, historien qui a consacré plusieurs ouvrages à la question. Mais cela a vite dégénéré, car les juifs devaient déposer 5000 dollars à la Banque Nationale. Ils devaient aussi montrer leur intérêt à investir dans l’industrie nationale. Des sociétés fictives, sous le nom d’Haïtiens, ont été créées pour faciliter tout cela. »
Des descendants de juifs en Haïti
Carlo Schomberg, Haitien, a récemment découvert les origines juives de sa famille. « J’ai des membres de mes deux familles, maternelles et paternelles, qui ont été en difficulté lors de la Seconde Guerre mondiale, dit-il. Certains sont morts dans des camps de concentration. C’est une histoire que l’on a découverte en cours de route. Mais, j’ai été élevé dans le catholicisme. C’est le cas dans ma famille, depuis deux ou trois générations. »
D’après Carlo Schomberg, le rôle qu’Haïti a joué pour sauver des centaines de personnes de la déportation intéresse des juifs qui vivent à l’étranger, avec lesquels il est en contact. Il salue l’initiative du pays d’avoir aidé ces gens en détresse, même s’il regrette que la corruption s’en soit mêlée.
Ce passé est douloureux
Des années après la guerre, la plaie reste encore vive dans la mémoire de beaucoup de juifs. Ils ne sont plus persécutés, ils ont même construit leur patrie, l’État d’Israël, mais l’histoire ne s’est pas effacée. « Les anciens ne nous parlaient pas de nos origines juives, assure Carlo Schomberg. J’ai des amis qui ont découvert ces origines, mais qui refusent d’en parler aussi. C’est assez douloureux pour eux. »
Selon Carlo Schomberg, cela s’explique assez facilement. « Je crois qu’il y a deux catégories de juifs dit-il. Premièrement il y a ceux qui ne renient jamais leurs croyances, quelle que soit la situation. Ils pratiquent leur foi, même s’ils sont sous le couvert du christianisme. Mais aussi il y a ceux qui préfèrent abandonner leurs traditions, après les horreurs qu’ils ont connues. Ce n’est pas facile. »
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En Haïti, il n’y a jamais vraiment eu de synagogues, si ce n’est à l’époque coloniale. Selon Carlo Schomberg, la ville de Moron était le domaine d’Isaac Moron Henriquez, un juif. Il y avait alors une synagogue dans la ville. Les juifs d’Haïti, selon Joseph Bernard Junior, viennent surtout de la période coloniale, car ceux que le pays avait accueillis pendant la guerre sont pour la plupart partis. Haïti était un pays de transit.
Haïti entre en guerre
Le 7 décembre 1941, le Japon attaque les États-Unis en bombardant le Pearl Harbor, base navale américaine. Les Américains déclarent alors la guerre aux puissances de l’axe. Le conflit devient réellement mondial. Des pays jusque-là non concernés décident de fournir un effort de guerre. Haïti, comme pour la Première Guerre mondiale, mobilise l’appareil de l’État. Le pays se met aux côtés du puissant voisin et déclare lui aussi la guerre à l’Allemagne nazie et ses alliés.
Selon Georges Michel, historien, Haïti a fourni de gros efforts. « Nous avons installé une base [militaire] au Môle Saint-Nicolas, dit-il. On tirait sur les sous-marins allemands qui passaient. » Ces sous-marins, selon l’historien, rejoignaient le canal du vent. Haïti n’en a coulé aucun, mais les tirs des canons de l’armée haïtienne les forçaient à plonger.
Une participation active
« Le pays a construit plusieurs terrains d’aviation notamment à Anse-à-Pitres et à Belladère, poursuit Georges Michel. La piste de l’aéroport de Bowen-Field [Ndlr. Près de la baie de Port-au-Prince] a été construite et asphaltée. Elle permettait le transit d’avions américains qui allaient ravitailler des troupes en Italie et en Afrique. À la fin de la guerre, Haïti a signé l’Accord de Londres, pour juger les criminels nazis. »
Le pays ne s’en est pas arrêté là. Des Haïtiens sont allés se battre aux côtés des Français, et certains membres de l’aviation haïtienne sont allés se former aux États-Unis. D’après Joseph Bernard Junior, les biens des Italiens et des Allemands qui se trouvaient dans le pays ont été confisqués. Ces ressortissants étrangers ont été arrêtés et emprisonnés.
Haïti a aussi participé financièrement. Elie Lescot, président proaméricain, a accordé au nom du pays un chèque de 1 000 000 de dollars aux États-Unis. «Les dépenses du pays dans la guerre sont estimées à 20 millions de dollars, dit Joseph Bernard Junior. C’est une belle somme. »
Photo couverture: US Marines débarquant à Guadalcanal, août 1942.
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