Le centre de rétention de Haina se retrouve en bordure de la côte caribéenne, jouxtant le parc industriel et une raffinerie de pétrole, Refidomsa
Haina, connu comme le plus grand centre de rétention de migrants en situation irrégulière en République Dominicaine, fait l’objet d’une attention soutenue depuis l’annonce de déportations massives de la République dominicaine en début d’octobre.
Le complexe – ou centre de vacances de Haina – se retrouve dans la ville éponyme, située à San Cristóbal, au sud de la République dominicaine.
Depuis des années, les fonctionnaires responsables de l’espace sont critiqués pour des cas de violations de droits humains documentés par des organisations du pays voisin, dont l’Observatoire des Droits Humains.
Deux avocats révèlent à AyiboPost le fonctionnement de ce centre de rétention, construit en 1977 sous le régime du président dominicain Joaquín Balaguer. Ces professionnels défendent le droit des migrants en République dominicaine et ont l’habitude de visiter les lieux pour assister des personnes retenues.
Lire aussi : Des Haïtiens piégés entre la déportation massive de la RD et l’insécurité en Haïti
Haina reçoit les migrants en attente d’expulsion ou de vérification de documents. Les Dominicains déportés de l’étranger y sont aussi accueillis.
Le gouvernement dominicain veut déporter 10 000 migrants par semaine.
Mais « la capacité d’accueil d’Haina est dépassée et les conditions de rétention y sont inhumaines » déplore à AyiboPost Vladimir Jojo Fleurimé, un avocat haïtien évoluant en terre voisine depuis 2012.
Le responsable dénonce le manque de nourriture, la promiscuité, l’insalubrité, et les délais d’accès à l’assistance juridique pour les personnes détenues.
la capacité d’accueil d’Haina est dépassée et les conditions de rétention y sont inhumaines
Une fois par mois, l’organisation Promotion d’appui aux immigrants haïtiens et dominicains d’ascendance haïtienne (PAYIDAH) dont maitre Fleurimé est le coordonnateur apporte un soutien humanitaire aux haïtiens retenus par la migration.
« Des gens passent des jours à Haina sans pouvoir obtenir l’assistance de leurs familles ou de leurs avocats » explique Fleurimé à AyiboPost.
Il n’existe pas de chiffres officiels sur le nombre de personnes détenues dans ce centre.
Des étrangers arrêtés dans l’est du pays, à Santo Domingo, à San Cristobal, Bani, San Pedro de Macoris, et d’autres villes sont envoyés dans ce centre, selon Carlos Sánchez Diaz, avocat dominicain et défenseur des droits humains installé dans la ville de Haina.
D’après Sánchez Diaz, qui travaille depuis plus de vingt ans dans cette ville, le complexe, mesurant 25 000 à 30 000 mètres carrés, comprend aujourd’hui deux centres d’études : la Pura Rijos et l’Institut Polytechnique d’Haina (IPHA). Ces institutions accueillent ensemble plus de cinq cents étudiants.
Des gens passent des jours à Haina sans pouvoir obtenir l’assistance de leurs familles ou de leurs avocats
Le centre de rétention de Haina se retrouve en bordure de la côte caribéenne, jouxtant le parc industriel et une raffinerie de pétrole, Refidomsa.
Initialement conçu comme un lieu de villégiature pour des enseignants et leurs familles, l’espace s’est transformé au fil du temps.
En 1997, la Direction générale de la Migration dominicaine aménage une partie des lieux pour en faire un centre de rétention et de rapatriement de migrants en situation irrégulière.
Deux pavillons ont été construits à cet effet. Un pour les hommes, l’autre pour les femmes, ainsi qu’un espace pour les enfants qui sont retenus avec leurs parents.
D’autres centres du pays comme celui de Dajabon et de Santiago accueillent également des migrants en attente de déportation.
Me Fleurimé, évoque des préoccupations quant à l’exiguïté des pavillons du centre de Haina face à l’augmentation du nombre de migrants arrêtés par la migration.
Ce qui, selon le responsable, est très préoccupant. « L’infrastructure des pavillons n’est pas adaptée pour accueillir et retenir plus de 400 personnes », selon Sánchez Diaz.
Pourtant, poursuit-il, « parfois on y garde un millier de personnes pendant plusieurs jours ».
L’avocat dénonce la passivité des autorités dominicaines face à cette situation, en dépit des multiples appels lancés par les organisations et d’autres personnalités dans le pays.
« Il n’existe pas de protocoles de santé ni de prévention des maladies, ce qui constitue des conditions minimales pour garantir la dignité humaine » confie Sánchez Diaz interviewé par AyiboPost.
De l’arrestation à la déportation, en passant par la rétention au centre, les conditions de respect des droits de l’homme ne sont pas respectées, selon les deux défenseurs des droits humains.
Il n’existe pas de protocoles de santé ni de prévention des maladies, ce qui constitue des conditions minimales pour garantir la dignité humaine
« Des camions, prévus pour transporter 50 personnes, en transportent une centaine, y compris des enfants et des femmes enceintes » poursuit maitre Sánchez Diaz.
Les Haïtiens, au nombre de 700 000 en République dominicaine selon des statistiques officielles, sont particulièrement touchés par ces mesures migratoires.
Retenu à Haina en 2023, l’écrivain haïtien Jhak Valcourt se rappelle la surpopulation de l’espace.
L’homme a été arrêté par la migration dominicaine au moment où il ne disposait pas de ses pièces d’identité. Il sera relâché quelques heures plus tard, dit-il à AyiboPost, grâce à ses relations.
« Le processus de vérification des documents est très lent, témoigne Valcourt. Vous pouvez avoir des documents légaux et passer plusieurs jours en attente ».
La situation n’est pas la même partout, selon l’écrivain.
Par exemple, le centre de rétention de Santiago offre de meilleurs traitements aux migrants, selon Valcourt, dont le beau-père y a été détenu.
Le caractère discriminatoire des interpellations et les multiples instances de violences contre les personnes noires mettent en lumière les ravages du racisme institutionnel en République Dominicaine.
Des migrants sont parfois arrêtés en possession de leurs papiers d’identité en règle.
L’avocat Fleurimé déclare avoir personnellement assisté ce mois-ci un migrant haïtien muni de ses pièces d’identité arrêté par les agents de la migration.
Des migrants sont parfois arrêtés en possession de leurs papiers d’identité en règle.
Les conditions de détention dans le système carcéral dominicain préoccupent à l’échelle internationale.
Selon le groupe de recherche Global detention project, bien que la loi générale sur la migration du pays garantisse une protection contre la détention pour les femmes enceintes, les mères allaitantes, les personnes âgées et les enfants, la réalité est tout autre.
La surpopulation et la corruption sont parmi les plus grands défis du système carcéral dominicain.
L’environnement d’Haina demeure également une préoccupation.
En 2006, Bajos de Haina ou ville de Haina, a été classée parmi les dix endroits les plus pollués au monde, lui valant le surnom de « Tchernobyl dominicain », en référence à la catastrophe nucléaire de Tchernobyl en 1986, symbole de contamination et de crise environnementale en Ukraine.
Cette pollution est l’œuvre d’une ancienne usine de recyclage de batteries appelée Metaloxa, ayant cessé ses activités à la fin des années 1990.
La mauvaise gestion des déchets toxiques a laissé des niveaux de plomb extrêmement élevés dans les sols et l’air, exposant les habitants à de graves risques pour la santé.
Aujourd’hui des dizaines de compagnies et au moins deux parcs industriels opèrent à Haina où vivent plus de 150 000 habitants, selon des statistiques de 2012.
« Nous nous préoccupons de la santé des personnes vivant dans le Centre, en particulier les personnes détenues, en raison de la pollution et de la chaleur générée par les industries et la raffinerie qui bordent le centre » s’inquiète à AyiboPost Carlos Sánchez Diaz du comité Dominicain des Droits de l’Homme.
Le 17 octobre 2024, des centaines de migrants haïtiens retenus au centre de rétention de Haina ont protesté pour dénoncer les conditions de rétention et exiger leur déportation en Haïti.
Les autorités ont expliqué que le 17 octobre étant un jour férié, il ne pouvait y avoir de déportation.
Nous nous préoccupons de la santé des personnes vivant dans le Centre, en particulier les personnes détenues, en raison de la pollution et de la chaleur générée par les industries et la raffinerie qui bordent le centre
Des mesures de sécurité ont été adoptées afin de « dissuader les retenus et d’empêcher que leurs revendications bruyantes ne déclenchent une situation plus complexe », selon une note de la direction de la migration dominicaine obtenue par AyiboPost.
Selon le protocole d’accord signé entre les deux pays en décembre 1999, les autorités dominicaines de migration ne doivent pas réaliser le rapatriement pendant la nuit entre 18h et 8h du matin, les dimanches et les jours fériés.
Les autorités dominicaines ne peuvent non plus séparer les familles nucléaires (parents et enfants mineurs) dans le processus de rapatriement.
Mais selon Peterson Monpremier, responsable programme du Réseau frontalier Jeannot Succès (RFJS), des migrants haïtiens sont déportés la nuit par les autorités.
De plus, pour la période allant 10 au 21 octobre 2024, plus de 500 enfants non-accompagnés sont arrivés en provenance de la RD par les différents points frontaliers, selon le réseau.
En vertu de cet accord, les autorités dominicaines de la migration s’engagent à effectuer les rapatriements à destination d’Haïti exclusivement par les postes-frontières de Malpasse/Jimani, Ouanaminthe/Dajabón, Belladère/Elias Piña et Anse-à-Pitres/Pedernales.
De son côté, le gouvernement haïtien s’engage à renforcer et à installer des postes d’inspection migratoire à ces points frontaliers pour accueillir les rapatriés.
Les autorités haïtiennes se sont engagées également a installer des postes de contrôle migratoire le long de la frontière afin d’éviter le flux illégal de leurs ressortissants vers la République Dominicaine.
Cependant, cela n’est toujours pas appliqué dans la pratique.
De nombreux Haïtiens migrent encore illégalement vers la République Dominicaine.
« Les conditions de déportation sont inhumaines. Aucune institution étatique [ haïtienne ] n’est présente dans ces points officiels, et les migrants n’ont reçu aucune assistance de la part de ces autorités », déplore le responsable du programme de RfJS.
Plusieurs institutions documentent un nombre élevé d’agressions physiques sur des migrants à Haina.
Un rapport publié en septembre 2013 par l’Observatorio de derechos humanos en RD, évoque un incident ayant lieu en août de la même année où le corps sans vie d’un migrant a été retrouvé noyé dans le récif à l’arrière du centre.
Des témoins rapportent à l’observatoire avoir vu des agents de l’immigration frapper à la tête des personnes détenues, la veille.
L’observatoire dénonce la non-inclusion de ces cas de bastonnade et de meurtre dans les rapports des autorités sur le centre.
Plus de 22 000 personnes sont déjà déportés en Haïti depuis le début des déportations massives annoncées le 2 octobre, selon des statistiques de l’Organisation Internationale pour les Migrations.
Cette vague de déportation opérée par la migration dominicaine est motivée par la décision du gouvernement de « faire face à la situation générée par la pression migratoire massive haïtienne » avait déclaré le représentant permanent dominicain auprès de l’OEA, Radhafil Rodríguez.
Des responsables haïtiens, comme la ministre des Affaires étrangères, Dominique Dupuy, et le représentant permanent d’Haïti à l’organisation des Etats américains, Gandy Thomas, critiquent les mesures migratoires de la RD.
À l’initiative du mouvement socialiste dominicain, plus de 500 personnalités dominicaines et internationales ont envoyé une lettre au président Luis Abinader pour demander la cessation des déportations et la réintégration des personnes dénationalisées en 2013 par une cour constitutionnelle dominicaine.
« Nous continuerons d’exiger de meilleurs traitements pour les migrants haïtiens » conclut l’avocat Carlos Sánchez Diaz à AyiboPost.
AyiboPost a contacté par courriel la Direction générale de la migration dominicaine. Elle n’a pas réagi avant la publication de l’article.
Par Wethzer Piercin & Fenel Pélissier
Cet article a été modifié en vue de remplacer le terme de « détention » par celui de « rétention », en référence aux lieux réservés aux migrants en attente de régularisation ou d’expulsion. Le 30.10.2024 à 2 heures : 28 minutes.
Image de couverture | Des Haïtiens regardant à travers la porte d’un centre d’immigration à Santo Domingo, en République Dominicaine, le 9 octobre 2024. © REUTERS – Erika Santelices
► AyiboPost s’engage à diffuser des informations précises. Si vous repérez une faute ou une erreur quelconque, merci de nous en informer à l’adresse suivante : hey@ayibopost.com
Gardez contact avec AyiboPost via :
► Notre Canal Telegram : cliquez ici
► Notre Channel WhatsApp : cliquez ici
► Notre Communauté WhatsApp : cliquez ici
Comments