Avec la pièce « Port-au-Prince et sa douce nuit », la comédienne succède à l’auteur Jean D’Amérique, récompensé en 2021 pour « Opéra Poussière »
La pièce de théâtre « Port-au-Prince et sa douce nuit » embrasse les paradoxes ordinaires, déambule dans les rues parallèles d’une capitale ensanglantée où deux corps, brulants de volupté, s’inventent un lendemain incertain greffé sur un passé insaisissable.
Cette pièce, nostalgique par moment, de Gaëlle Bien-Aimé vient de remporter le 25 septembre le « Prix RFI Théâtre » 2022. L’auteure exulte. « J’ai pleuré lorsque j’ai reçu la nouvelle le 6 septembre », déclare-t-elle lors d’une entrevue téléphonique hier samedi.
Une semaine avant, Gaëlle Bien-Aimé subissait les bistouris de son médecin pour une opération à la hanche. En souffrance, elle était encore au lit lorsqu’une préposée de la Radio France Internationale lui annonce que des onze pièces de théâtres choisis pour le « round final », la sienne avait séduit le jury.
Il s’agit-là de deux victoires consécutives pour Haïti. En 2021, l’auteur Jean D’Amérique était primé pour « Opéra Poussière ». « Quelque chose s’est débloqué », remarque Gaëlle Bien-Aimé.
Haïti a produit beaucoup de pièces dans la dernière décennie, analyse la comédienne. Elle mentionne les efforts de l’écrivain Guy Régis avec l’Association 4 Chemins. « Il y a une urgence dans les textes, quelque chose de lourd, continue Bien-Aimé. On écrit du théâtre pour ne pas mourir. On a trop de choses à dire. »
L’impossibilité de vivre et l’impératif du départ traversent « Port-au-Prince et sa douce nuit ». Bien que romantique, la pièce évoque la macabre tragédie du réel haïtien. Par exemple, elle revient sur l’assassinat d’un bébé dans les entrailles de sa mère à Martissant en 2021. « Je questionnais ce qui s’est passé, dit Bien-Aimé. Je devais en parler pour la mémoire de ce bébé. Je ne sais pas combien de gens cette route a mangés. »
Pour développer ce travail, la comédienne avait reçu la résidence d’écriture Afrique Haïti 2022, proposée par l’Agence livre cinéma et audiovisuel en Nouvelle-Aquitaine et l’Institut des Afriques. Cette résidence s’est déroulée respectivement à La Rochelle, à Limoges et à Bordeaux.
« J’écris cette pièce parce que je meurs, déclare Gaëlle Bien-Aimé. Je suis à bout, je suis fatigué. Port-au-Prince me tue. Vous ressentez l’effet de la cruauté de la ville sur les personnages. »
« Port-au-Prince et sa douce nuit » aura peut-être une autre vie. L’auteure de Tranzit veut en faire un film. Pas tout de suite. « Je suis comédienne, et non cinéaste, remarque Bien-Aimé. Je vais prendre tout mon temps pour le faire. Je dois aller chercher les moyens techniques et financiers. »
Collaboratrice d’AyiboPost, Gaëlle Bien-Aimé touche au journalisme et à la dramaturgie. En 2018, elle met sur pied Acte, une école d’art. La comédienne est aussi membre de l’organisation féministe Nègès Mawon.
Photo de couverture : Élisabeth Roger / ALCA Nouvelle-Aquitaine
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