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Frederick Mangonès, une vie dédiée aux monuments historiques haïtiens

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L’architecte Frederick Edmond Mangonès s’est confié à Ayibopost sur ses nombreux accomplissements. Un regard sur cet homme qui a travaillé sur plusieurs projets d’architecture en Haïti

À 75 ans l’architecte Frederick Mangonès conduit sa voiture tous les matins pour se rendre à son cabinet à Pétion-Ville. Il œuvre avec d’autres collègues architectes à la firme Architecture et Développement (AD) qu’il préside depuis 2010.

Frederick Mangonès a travaillé sur plusieurs projets en Haïti. C’est lui qui a tracé le plan de la Teleco Pont Morin devenu maintenant Natcom.

Ce qui constitue pour l’architecte une grande satisfaction dans son travail c’est le fait que ses œuvres sont toutes un peu différentes et ne se ressemblent pas. «  Parfois, on me fait ce reproche. Mais je leur dis que je fais des maisons pour les clients pas pour moi », dit-il en souriant.

Mangonès a érigé des maisons gingerbread de style moderne en référence aux gingerbread historiques. « J’ai commencé ces types de travaux vers les années 1978-1979 quand j’ai créé une maison pour Hans Peter Hackenbruck, un Haïtien descendant d’une famille allemande établie en Haïti depuis longtemps. Cet ouvrage était tellement réussi qu’il a été publié dans les livres d’architecture caribéens. Après ce travail, beaucoup d’autres clients m’ont demandé de construire des maisons du même style pour eux. J’ai ainsi construit la maison de Prosper Avril à Juvénat », révèle l’architecte qui a créé sa propre maison à Pèlerin.

Cet ouvrage était tellement réussi qu’il a été publié dans les livres d’architecture caribéens. Photo: Archives Frederick Mangonès

Plus de trente ans consacrés à la restauration des monuments historiques

Frederick Mangonès a 26 ans quand il rejoint son père, Albert Mangonès, dans les travaux de restauration de la Citadelle Laferrière en 1972. On le voit sur une photo en tenue Rock n’roll déplaçant des canons avec d’autres jeunes gens qui avaient probablement son âge. Il est resté dix-huit mois à dormir à même le sol avec les travailleurs sur le site de la Citadelle.

On le voit sur une photo en tenue Rock n’roll déplaçant des canons avec d’autres jeunes gens qui avaient probablement son âge.

Le projet a débuté en 1972 avec l’Organisation des États américains (OEA). En 1976, il a pris une autre tournure parce que l’UNESCO s’est mise de la partie. En 1979, l’ISPAN a été créé pour mener les travaux avec l’UNESCO. Le projet ISPAN-UNESCO a pris fin en 2004. Albert Mangonès qui en est l’instigateur est mort en 2002. Mais Frederick Mangonès a suivi le projet jusqu’à son terme en 2004. Il le considère d’ailleurs comme un chapitre important dans sa vie.

Frederick Mangonès a également travaillé dans d’autres bâtiments historiques aux Cayes et à Jacmel. Jusqu’à présent l’architecte continue d’assister l’ISPAN dans ses travaux.  

La maison de Frederick Mangonès

Un lien étroit avec son père et son grand-père

Frederick Mangonès n’est plus fonctionnaire de l’ISPAN, même s’il assiste l’institution dans certains projets. À présent, l’architecte se concentre sur les travaux de ses clients.

Pour rencontrer Mangonès, il faut se rendre dans son cabinet à Pétion-Ville. Dans ce bâtiment, son espace privé se trouve entre un salon vert et son bureau de travail. L’architecte expose en ces lieux la plupart de ses travaux, des cartes, des dessins, des cartables, des tableaux. Le bureau principal de Frederick Mangonès est pour lui l’endroit du bâtiment où il a le plus d’attachement.

L’homme aux cheveux blancs garde dans cet endroit des objets qui lui sont précieux notamment des sculptures en miniatures du marron inconnu que son père Albert Mangonès a créé. Le nègre marron est présent sur plusieurs formes dans le bureau de l’architecte. Il est en encadré en photo, il est en bois, mais aussi en verre. « C’est une position difficile à reproduire », dit-il du monument historique avant d’ajouter qu’il n’était pas présent quand son père a créé le marron inconnu en 1968. « J’étais à l’université aux États-Unis », rajoute-t-il.

Il n’était pas présent quand son père a créé le marron inconnu en 1968. Photo: Ayibopost / Widlore Merancourt

Mangonès garde aussi dans son bureau une chaise de son feu grand-père, Edmond Mangonès qui a eu beaucoup d’influence sur lui. Quand on rentre dans son bureau, on aperçoit une veste sur la chaise en bois pendant qu’il travaille sur un siège assis genou derrière son pupitre. Pour accorder une entrevue vidéo à Ayibopost, l’architecte n’a pas voulu s’asseoir sur une autre chaise que celle de son grand-père. « J’étais très proche de lui, c’était d’ailleurs mon parrain », dit-il de son grand-père Edmond Mangonès.

Frederick Mangonès explique que son grand-père était un passionné de l’histoire d’Haïti en particulier et de l’histoire du monde en général. « Il me racontait l’histoire en faisant parler les personnages comme s’il était présent quand les événements ont eu lieu. Il trouvait toujours un lien entre ce qui se passe ici et ce qui se passe ailleurs dans une même période. Mon grand-père a beaucoup contribué à ce que je suis aujourd’hui. Ses instructions m’ont beaucoup aidé. »

Frederick Mangonès connaîtra ce moment intime avec son grand-père jusqu’à l’âge de 12 ans quand il laisse Haïti pour aller vivre en Colombie avec sa mère et son beau-père. Mais il garde de bons rapports avec sa famille paternelle. « Je revenais passer les vacances d’été en Haïti »,  relate Frederick Mangonès qui a d’ailleurs emprunté les mêmes chemins que son père, Albert Mangonès. Ils ont tous les deux étudié l’architecture à Cornell University aux États-Unis.

«  Si tu veux étudier l’architecture, ne le fais pas pour moi, fais-le pour toi  », parole d’Albert Mangonès à Frederick Mangonès

Frederick Mangonès souligne que l’architecture a toujours été une profession qui l’intéressait. «  Quand j’ai pris la décision d’aller étudier l’architecture, mon père m’a demandé de le faire pour moi et non pour lui », se rappelle l’architecte qui considère que la remarque a été importante pour lui. Car pour Frederick Mangones, l’architecture est comme un sacerdoce, on ne peut pas le faire à moitié.

« L’architecte a pour rôle de créer un espace physique adapté au climat et a son client. Ce professionnel doit être conscient de son environnement, mais aussi de son histoire », argumente le sexagénaire.

Le duo père et fils avait pour ambitions d’agir sur le problème de l’habitat dans le pays, mais ils ne sont pas parvenus à le faire. « Nous avons créé Haïti Habitat en 1979 en vue de garantir l’accès au logement décent à un faible coût. Nous avons en effet construit des maisons à proximité du club Djumbala. Mais en 2006, j’étais obligé de renvoyer tous nos employés parce qu’il n’y avait plus de travaux à cause des troubles politiques qui sévissaient le pays. »

Laura Louis

Laura Louis est journaliste à Ayibopost depuis 2018. Elle a été lauréate du Prix Jeune Journaliste en Haïti en 2019. Elle a remporté l'édition 2021 du Prix Philippe Chaffanjon. Actuellement, Laura Louis est étudiante finissante en Service social à La Faculté des Sciences Humaines de l'Université d'État d'Haïti.

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