Nous sommes au mois de mars et je souhaite déjà que l’année tire à sa fin. Connaissez-vous cette sensation insipide s’installant dans votre être, vous empêchant de voir clairement le cours de votre vie (et quelle vie !) ? Ce découragement qui vous happe, et ceci bien avant que vous sortiez de votre lit ? Quid de cette crainte d’entamer la journée qui s’annonce déjà remplie de ce stress intense caractérisant si bien la vie à Port-au-Prince ?
C’est cet amalgame d’émotions qui tiraille mon âme en ce moment. Un mélange de doute, de cynisme et de peur.
Mon livret d’épargne en main, je suis comme une automate la file qui me conduira sous peu à l’une des caisses de cette succursale bondée d’une des banques de la capitale.
Un simple calcul mental me permet de voir qu’il me restera à peine quelques gourdes de mon salaire lorsque j’aurai acquitté les factures de ce mois.
Et dire qu’il y a un an de cela, la jeune femme de 25 ans que j’étais, avait considéré comme une aubaine, le poste décroché dans le staff de marketing d’une institution privée… mais le panneau m’indiquant le taux du jour 1$ us : 70 Gourdes me rappelait ma naïveté.
Ma situation ne s’arrange pas…bien au contraire.
Je dois admettre qu’une fois, je me suis laissée tenter par cette pensée de faire comme plusieurs de mes jeunes collègues de travail … qui se font pratiquement entretenir par des hommes ayant 2 fois leur âge. Oui je l’avoue, cette pensée m’avait traversé l’esprit lorsque mon petit ami de longue date, avec lequel je menais une paisible relation avait sans crier garde, rompu il y a deux mois de cela. Quelques jours plus tard aux Etats-Unis, il a épousé une « diaspora » pour l’obtention d’une « green card ».
« A quoi bon nourrir des sentiments sincères pour quelqu’un qui les foulerait au pied dès qu’il aurait trouvé profit ailleurs ? » Je m’étais presque convaincue qu’il valait mieux avoir une relation basée sur des intérêts, les règles seraient au moins fixées dès le départ et éviterait ainsi les déceptions et les cœurs brisés.
Je ne pouvais, malgré tout, me résoudre à me laisser acheter par un homme. Je ne juge pas pour autant mes collègues et amies. Je ne me sentais pas prête à devenir une « madan-papa ». De toute façon, qui suis-je pour faire la morale dans une société aussi corrompue que la nôtre ?
Mais quand je pense à toutes ses valeurs que maman m’a inculquées, je me ravise. Elle qui m’a accompagnée à toutes les étapes de ma vie afin que je devienne cette femme bien éduquée que je suis aujourd’hui. Ceci, sans l’aide de mon père qui, après leur divorce, contribuait très peu financièrement à mon éducation. Ses amis et ses soirées arrosées au rhum en compagnie de jeunes femmes étaient devenus son principal centre d’intérêt. Je ne pouvais tout simplement pas me transformer en un parasite qui prendrait d’un homme ce que celui-ci consent à peine à donner à ses propres enfants … comme l’avait fait mon père.
Un pas de plus, je suis presqu’arrivée à cette maudite caisse!
Toujours plongée dans mes réflexions, je repense à ma voiture, notre voiture, je la partage avec maman. Je devrai personnellement l’emmener chez le garagiste ce mois-ci pour soulager un peu les dépenses que maman doit assumer pour l’entretien de la maison. Je repense au fait que je dois quand même essayer de faire des économies pour finalement partir faire cette maitrise…et que ce mois-ci, je ne pourrai me permettre aucune grande sortie, vu les prix exorbitants en dollars qu’affichent la plupart des soirées…. Je repense au prêt que j’avais consenti à faire à ma bonne amie. Elle se remet à peine d’un divorce, qui avait suivi un somptueux mariage et la naissance de son enfant âgé aujourd’hui de 2 ans.
J’arrive finalement à la caisse, j’effectue mes différentes transactions la mort dans l’âme et un sourire contrit sur les lèvres; sourire auquel répond la caissière avec un regard entendu.
Toutes mes transaction faites, je monte dans mon véhicule avec un soupir de soulagement, remerciant le ciel que je sois sortie de la banque sans me faire agresser.
Je remarque qu’il ne me reste à peine quelques minutes de ma pause de midi. Inspirant profondément, j’essaie de trouver en mon for intérieur assez de courage pour terminer cette longue journée qui m’attend au bureau.
Qu’il est dur d’être une jeune femme de la classe moyenne haïtienne en 2017!
Milady Auguste
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