SOCIÉTÉ

Être nègre en Haïti…

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« Oh tèt ou pa bon! Ou lèd! Mwen deja di’w moun nwa tankou’w pa met koulè sa yo nan cheve yo. Li fè w’ parèt pi nwa, li fè bouch ou pi ròz. Epi tou ak koze natural hair sa… »

Ce sont les paroles de la mère d’une amie à sa fille qui s’est coloré les cheveux cette fin de semaine. Enervée par ces propos, des commentaires « bien piqués » (qui me valurent le qualificatif de mal élevée) sortirent de ma bouche. Mais ce qui m’irrita le plus, fut le silence de ma chère amie. Je ne comprenais pas son absence de réaction et son acceptation résignée chaque fois que sa couleur de peau était abordée.

Bref! Tout ceci me porta à réfléchir sur la notion de « colorisme » et sur cette tendance que nous avons en Haïti à auto-dénigrer nos traits de négritude. Après des heures de réflexion, je conclus (le cœur lourd) que ces commentaires et ces attitudes sont en fait la norme pour nous. Je suis sure que plusieurs pointeront du doigt certaines de leurs connaissances, en se convainquant qu’ils ne font jamais de critiques sur la couleur de peau et sur le type de cheveux, et que le problème n’existe que chez les autres. Manti! Menm si nou pa fè l’ nou wè on moun kap fè l’, epi nou chwazi pa di anyen! J’ai moi aussi agit ainsi plusieurs fois et je n’en suis pas fière.

En Haïti, la culture du « colorisme » est bel et bien vivante et profondément ancrée dans notre quotidien. Nous qui nous enorgueillissons d’être le premier peuple noir à avoir conquis son indépendance, sommes aussi un peuple qui veut « mettre du lait dans son café » pour atténuer la grossièreté de nos traits nègres.

« Bèl grimèl la », « on gwo mesye nwa », « on ti pitit nwa kou chabon », « devan moun nwa ou pa nwa »,  « li gen on ti koulè sòs poul », « men lajè ponm nen li », « fèy zòrey li lajè on pla men », « bouch li pwès, tèt li grennnnnnnn…. » sont des expressions qui, bien que dénigrantes, sont couramment utilisées pour identifier une personne. On préfère la particularité et l’ambivalence d’être un peu mais pas complètement Noir à la trivialité des traits négroïdes.

Nos différentes teintes de noir influencent beaucoup la façon dont on nous reçoit pour la première fois quelque part et parfois même la qualité des services pour lesquels nous payons (sans oublier le pouvoir de l’argent qui lui vient bien sur, avant la pigmentation cutanée!). Si votre hôte ne fait pas allusion à vos traits de nègre, sa secrétaire ou sa femme de ménage y pense. Nous ne sommes pas racistes mais nous sommes à l’aise ainsi, car c’est la norme et surtout, parce que regard des autres ne s’attardera pas sur nous longtemps puisqu’il y aura toujours plus nègre et plus foncé que nous.

Ce problème est probablement une séquelle des idées véhiculées pendant la colonisation, qui faisaient des Blancs des êtres supérieurs aux Noirs et qui voulaient que toute personne ayant des traits plus  « raffinés » et une peau plus pâle soit plus acceptable qu’un Noir tout noir (j’en suis sure!).

Nous vivons dans un monde au sein duquel être femme et noire est un handicap, et être homme et noir un combat. Nous haïtiens, avons de nombreux conflits qui nous divisent en tant que peuple. Laisser nos 50 nuances de noir diviser notre peuple est déjà aberrant; leur permettre en plus de diviser nos familles et de complexer nos enfants est franchement exagéré! Enfin! Nous sommes les premiers à critiquer ceux qui choisissent de se dépigmenter la peau. Nous réconcilier avec notre négritude pourrait contribuer à nous faire gagner en tant que société. Mais, au lieu de reconnaître que sommes responsables des regards haineux que se portent nos enfants quand ils sont face à leur reflet dans le miroir, nous préférons nous conforter avec les expressions que nous ne connaissons que trop bien : « yo pa renmen tèt yo », « yo pa fè tèt yo konfians », « yo pa konn jan yo bèl » parce que « se pa janm nou ki pwoblèm la, se toujou yo ! ».

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Aurélie Fièvre

 

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