Nous rencontrons Philippe Falardeau sur la véranda de l’hôtel Oloffson dans le cadre de la tournée haïtienne de son film, ‘’Guibord s’en va-t-en guerre’’. Il revient du nord du pays où le film a été diffusé à Versailles, mythique salle de cinéma du Cap-Haitien, et à l’alliance française. Le public Capois, grand consommateur de cinéma, n’a pas caché ses émotions pour un film qui a porté les projecteurs sur ce coin du pays. Un grand sourire anime ses lèvres et il nous gratifie d’une chaleureuse poignée de main. Très heureux d’être dans le pays pour honorer cette promesse qu’il avait faite de revenir diffuser le film en Haïti. Le public haïtien découvre Philippe Falardeau pour la première fois. Le réalisateur québécquois a fait d’Haïti sa toile de fond pour agrémenter sa comédie politique.
« Guibord s’en va-t-en guerre » n’est pas un coup pied contre le système politique, avoue Philippe Falardeau c’est plutôt une façon de montrer que tout n’est pas blanc et noir. Le film met en scène Steve Guibord, député fédéral indépendant du comté de Rapides-aux-Outardes. Il se retrouve sans avoir eu le temps de le prévoir être le député qui aura le vote décisif, décidera si le Canada part en guerre. Accompagné de Souverain Pascal, son stagiaire venu d’Haïti, il parcourt les routes pour rencontrer les électeurs afin de trouver une issue.
Nous vous proposons une partie de notre entrevue avec Philippe Falardeau et Irdens Exantus.
Comment Haïti s’est intégrée dans le décor de votre film ?
J’ai commencé l’écriture de ‘’Guibord s’en va-t-en guerre’’, il y a 7 ans de cela, j’avais en tête l’idée d’un film politique où un politicien indépendant se retrouve avec la balance du pouvoir au parlement sur un vote décisif. Je n’arrivais pas à aller au-delà des 30 premières minutes, il me fallait une deuxième idée. Après une discussion politique avec un Haïtien à Montréal, j’ai eu le déclic de faire rencontrer ces deux mondes. Un deuxième personnage qui débarque d’Haïti avec son bagage, avec sa vision, son instruction, sa candeur. De là un détour dans l’histoire, un jeune étudiant en sciences politiques qui devient l’assistant d’un politicien aguerri, mais qui ironiquement connait plus sur la théorie de la politique que le politicien.
Ta première expérience de tournage en Haïti, raconte-nous ?
C’était un peu ambitieux car au début, nous n’étions pas certains de tourner certaines portions en Haïti. Mais reproduire le décor d’un cyber café haïtien aussi coloré dans un studio à Montréal n’était pas évident, on a préféré venir sur le terrain. Un membre de l’équipe est venu débroussailler le chemin, faire des auditions et grâce à lui, en un an, on a pu trouver des comédiens et des lieux de tournage. Nous avons tourné en une semaine les segments haïtiens. C’était vraiment important de venir tourner en Haïti et de capter l’énergie dans sa forme la plus entière.
En quoi cette relation basée sur la complicité entre le député Steve Guibord et son stagiaire Souverain Pascal était importante pour le film ?
Une relation qui s’est faite au départ par accident, Souverain croit qu’il vient pour faire le stage, Guibord quoi qu’il reçoit quelqu’un pour une entrevue et ne se rend pas compte que Souverain débarque de Port-au-Prince. La relation de travail commence d’abord entre les deux puis s’en est suivi une relation d’amitié un peu complice. La relation d’amitié était pour moi plus importante dans le film que la relation de travail. Donc j’ai créé un film où une relation d’amitié nait entre un politicien de 49 ans et un jeune haïtien dans la vingtaine qui veut apprendre davantage sur la politique mais qui théoriquement a lu Jean Jacques Rousseau, Montesquieu et qui n’a aucune expérience sur le terrain.
Un député qui n’a pas de pouvoir et qui subitement se retrouve avec la balance du pouvoir au parlement avec son vote décisif. Envoyer ou pas un pays en guerre ?
Il aurait été facile de faire un film sur un politicien corrompu. Il y en a partout d’ailleurs, ce n’est pas un fait nouveau. Ce que moi j’ai voulu montrer c’est un politicien qui n’a pas de pouvoir mais qui a de bonnes intentions, qui a beaucoup d’expérience de terrain mais qui n’a pas lu les philosophes, qui n’a pas lu les grands ouvrages qui ont fondé la démocratie occidentale et qui se retrouve devant un étudiant qui n’a aucune expérience de terrain mais dont Jean Jacques Rousseau est le livre de chevet.
Lors de la première impasse politique, l’étudiant va lui suggérer de faire des assemblées démocratiques pour consulter la population, démarche tout à fait utopique. J’ai mis en scène un étudiant étranger qui en connait plus sur la politique canadienne que la plupart des Canadiens et pour moi c’était important. Et c’est aussi vrai de rencontrer à Montréal des Haïtiens qui sont souvent plus au fait de la politique et des mécanismes institutionnels que les Canadiens qui eux s’en foutent. Le Canadien n’a pas les mêmes rapports avec la démocratie que l’Haïtien, parce que nous on se dit qu’on est né dedans, que c’est un acquis. Neuf personnes sur dix ne connaissent pas leur système politique. Ça pourrait expliquer le peu de succès financier du film au Québec, les gens se sont sentis bousculés, expulsés de leur zone de confort. Au fond, ils s’attendaient peut-être à un film qui était très critique. Mais c’est un risque que j’ai voulu prendre de mélanger ces deux genres, la politique et la comédie.
Si tu devais faire un film sur Haïti, ce serait quoi ?
Ce serait une histoire d’amour, pas du genre sirupeuse ou mélodramatique. Je ferais en sorte que le canevas soit fort, social. Par exemple une histoire d’amour en pleine crise politique. On me pose souvent cette question, quand je reviens tourner en Haïti. Mais honnêtement je crois que ce sont les haïtiens qui doivent écrire des scenarios, qui doivent tourner leurs films. Je trouve que c’est une bonne idée si le réalisateur et le scénariste sont aussi haïtiens.
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‘’Guibord s’en va-t-en guerre’’ a été bien reçu par les critiques de la presse québécoise. Le film n’a pas explosé le box-office, mais il nous a fait exploser de rire. Philippe semble avoir adoré son moment en Haïti. Et pour Irdens, il a eu la chance d’entrevoir ce qu’aurait pu être sa vie en Haïti si ses parents n’avaient pas émigré au Canada.
Rappelons qu’Irdens a remporté le prix Gala du cinéma québécois comme meilleur acteur de soutien aux côtés de Patrick Huard. Irdens Exantus pour qui ce rôle représentait un challenge, notamment celui d’incarner toute une communauté, d’entrer dans la peau d’un Haïtien qui vient d’Haïti alors que son enfance s’est déroulée au Canada. Il s’est dit soulagé d’avoir pu faire honneur à sa seconde patrie. Une première expérience au grand écran qui s’est révélée être une aventure extraordinaire. Pendant l’entrevue, Irdens nous a laissé comprendre qu’il avait reçu d’autres propositions pour d’autres projets.
Soucaneau Gabriel
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